Aujourd’hui, matinée plutôt reposante pour tout le monde. Dixième journée déjà à Rio de Janeiro et nous commençons gentiment à nous sentir comme à la maison. Comme chaque matin, nous nous donnons rendez-vous dans le hall d’entrée où, tous les jours, nous attendons les retardataires, ou plutôt, la retardataire. Le coup de 11h30 sonne et nous prenons le taxi pour rejoindre Fabricio que nous avions rencontré quelques jours plus tôt dans le cadre d’un atelier intitulé “Social communication and presentation skills”. Nous traversons la ville et nous sommes ébahi·e·s par le contraste de chaque coin de rue. Les favelas, situées sur les collines, semblent nous suivre de loin et nous continuons à garder nos distances sans vraiment savoir ce qu’il s’y passe à l’intérieur. Aux pieds d’une de ces collines se trouve cet immeuble dans lequel se cachent de nombreux bureaux que nous sommes sur le point de visiter. Nous retrouvons enfin toute l’équipe du projet ainsi que Fabricio qui nous conduit dans les locaux de 42 Rio où il exerce le métier de community manager.
Entre les Favelas et le port maritime, le building comporte à l’intérieur un univers à l’écart du monde que nous avons exploré jusqu’à présent. Identités vérifiées, nous nous apprêtons à nous aventurer dans les bureaux de 42 Rio. Créé en 2013 par l’entrepreneur français Xavier Niel, fondateur et actionnaire principal d’Iliad, groupe de télécommunications français, 42 se trouve être un programme innovant offrant une formation d’ingénieur·e·x·s logiciels. Dès notre arrivée, nous sommes impressionné·e·s par la modernité des différents espaces que nous visitons de par l’ameublement, l’architecture sophistiquée et la grandeur du lieu. Nous nous rendons dans une salle où les sièges sont positionnés en forme de rond tout autour d’une place centrale où Fabricio prend la parole et nous explique les conditions d’entrée de l’école. Ce réseau regroupant des centres de formations de développeur·euse·x·s dans plus de 40 pays du monde entier, celui-ci est ouvert à tous et toutes à la seule condition d’être majeur·e·x et motivé·e·x. Les étudiant·e·x·s, surnommé·e·x·s les “Cadets et Cadettes”, se lancent alors dans la “piscine”. Il s’agit de quatre semaines de travail ultra intensives où celles et ceux qui y entrent se lancent dans une matrice d’auto-disciplinarité et de productivité et sont noté·e·x·s en XP (point d’expérience) comme dans les jeux vidéo. Une étape importante que très peu de cadets et cadettes arrivent à surmonter.
Cette compétition est prônée au sein de l’école encourageant chaque élève à être un vrai “self made man”. Chaque étudiant·e·x présent·e·x prend ensuite la parole pour nous faire part de son expérience chez 42 Rio. Leurs témoignages sont plus positifs les uns que les autres et tous ont un point commun : leur vie en a été fortement impactée.
Cette réalité sans pareille, digne de la célèbre série Black Mirror, provoque chez nous un certain malaise. Nous poursuivons la visite dans les locaux où certain·e·x·s entrepreneur·euse·x·s nous présentent leur projet. Une équipe de jeunes hommes nous montre la mise en place d’un programme sur lequel ils travaillent : un système de badge connecté à une montre que porteront des ouvrier·ère·x·s afin que leur sécurité soit renforcée. Leurs mouvements pourront alors être détectés en cas de danger. Mais ça ne s’arrête pas là. Ces montres interfèrent dans leur travail pour détecter leur moindre mouvement et leur productivité. Un classement sera par la suite effectué pour évaluer le travail de chaque employé·e·x. Ce projet nous semble dépourvu de toute réalité sociale mais semble pourtant leur provoquer beaucoup d’enthousiasme. De notre côté, nous sommes abasourdi·e·s par l’absurdité de leur projet prônant l’ultra productivité et la marchandisation des travailleur·euse·s. Cependant, ce n’est que l’expression de notre époque néolibérale. Une réalité très proche de celle en Suisse puisque l’école 42 existe également à Lausanne à la différence de la transparence des discours sur le fonctionnement de l’établissement et plus particulièrement des différentes innovations. Nous nous attendions à retrouver quelque chose de similaire à nos innovations sociales mais ce ne fut pas tout à fait le cas.
Changement d’ambiance, nous poursuivons notre journée par l’incontournable activité du Brésil : la samba. “And one, two, three, one, two, three… » : voici les paroles que Bruno, notre professeur de samba, nous répète à l’infini. Nos pieds s’emmêlent sur la complexité du rythme mais nous parvenons peu à peu à comprendre les pas de danse. À cet instant, nous nous sentons comme de vrai·e·s Carioca. Mais la musique accélère et notre optimisme baisse progressivement. Pour bien finir le cours, Bruno nous fait une petite démonstration du danseur de samba professionnel qui a le rythme dans la peau, contrairement à nous. Nous repartons alors plus motivé·e·s que jamais pour danser dans les rues de Rio de Janeiro.
Nous terminons notre journée en beauté dans un restaurant de musique Bossanova où les plus courageux d’entre nous se lèvent pour bouger au rythme de la célèbre chanson “Mas Que Nada” et entraînent leurs nouveaux pas de danse. D’autres mélomanes nous rejoignent également et nous commençons une petite “partido” comme de vrai·e·s brésilien·ne·s avant de rentrer à nouveau à l’hôtel pour une partie d’entre nous et de faire un karaoké dans un second bar pour l’autre partie.
Manon Bourcoud et Tringa Xhuli