Doctorant en neurosciences à l’UNIL et comédien, il a remporté la finale internationale du concours de vulgarisation « Ma thèse en 180 secondes » à Paris le 30 septembre. Portrait.
Nous profitons d’un des rares moments ensoleillés de ce pâle été 2021 pour discuter à l’extérieur, assis à une table dans le jardinet du Pavillon 4, quartier du CHUV. C’est là où Yohann Thenaisie, doctorant à la Faculté de biologie et de médecine, étudie les neuroprothèses dans le cadre de la maladie de Parkinson, caractérisée par de la raideur musculaire et des mouvements lents, et causée par la mort des neurones censés fabriquer la dopamine.
Prévenant, notre interlocuteur apporte de l’eau… servie dans des verres à vin ! Il semblerait que le neuroscientifique fan des arts de la scène (il fait notamment partie de l’Association vaudoise des ligues d’improvisation) aime les décalages. Il accompagne souvent ses paroles de gestes et d’expressions du visage, ou parfois se lève brusquement de sa chaise pour accentuer un propos.
Est-il facile de mener une double vie entre thèse et pratique théâtrale à un niveau préprofessionnel ? « En gros, c’est labo la journée et théâtre le soir et le week-end. Comme je suis un peu hyperactif, j’optimise mon temps. Je ne cuisine pas, je ne regarde pas de séries… Et même trouver un moment pour faire les courses est difficile », lâche celui qui a attrapé le virus du théâtre à l’âge de quatre ans, lors d’un atelier dans le village de Saint-Branchs, en France, où il a passé son enfance.
Apprendre à vulgariser
N’était-ce pas un peu de la triche, pour un comédien, de remporter la finale UNIL de « Ma thèse en 180 secondes » (MT180) puis la finale suisse en 2021 et enfin la finale internationale cette même année, ce concours dont le but est d’expliquer sa recherche en trois minutes ?
« Ma pratique théâtrale m’a aidé pour la présence scénique et la communication non verbale. Cependant, vulgariser un sujet complexe, on ne l’apprend pas en cours de théâtre. Nous avons été coachés par la Conférence universitaire de Suisse occidentale. »
Interviewé avant sa participation à la finale internationale, il nous avait confié: « Les candidats helvétiques me mettent un peu mis la pression pour que je gagne. Je suis pour le moment plus enthousiaste que stressé. Le trac viendra les minutes précédant ma présentation. D’ailleurs, mes répétitions juste avant MT180 UNIL et suisse étaient terribles, elles excédaient les trois minutes 30 ! »
En aparté : petits conseils de Yohann Thenaisie pour vaincre le trac
« Il y a bien sûr des exercices de relaxation et de respiration. Mais le principal est lié à l’état d’esprit. Le trac, c’est : « Les spectateurs vont me juger, je mets en jeu mon image publique, je ne dois pas me rater. » Je pense plutôt : « Je suis là pour partager ma passion à des gens qui s’y intéressent, pour le plaisir, sans enjeu. » »
Des douaniers en manque de dopamine
Le doctorant travaille au centre Neurorestore, géré par la Fondation defitech, l’EPFL, le CHUV et l’UNIL, et dirigé par Jocelyne Bloch (UNIL-CHUV) et Grégoire Courtine (EPFL). Pour sa thèse, Yohann Thenaisie cherche des solutions basées sur l’intelligence artificielle pour aider les personnes atteintes de la maladie de Parkinson à mieux marcher, via une stimulation cérébrale profonde. Il propose une métaphore : « Le cortex envoie des ordres au corps. Les ganglions de la base, qui se nourrissent de dopamine, jouent le rôle de douaniers à la frontière entre le cortex et le corps. Quand ils en ont assez mangé, ils bossent bien. Mais lorsqu’ils n’en ont pas en suffisance, ils font grève et bloquent le passage à la douane. Cela entrave les mouvements, qui ne passent plus du cortex au corps : ce dernier se fige. Jusqu’à ce qu’on leur redonne de la dopamine. Nous, électriquement, on casse leur grève. Attention à ne pas trop les gaver de dopamine, sinon ils sont euphoriques et laissent passer tout le monde, ce qui se traduit par des mouvements désordonnés. »
L’émerveillement des débuts
Les recherches du scientifique avancent bien.
«Chez certains patients, on arrive à trouver cette fameuse « fausse note » dans l’orchestre de leur cerveau, celle qui fait que leurs jambes se figent.»
Le chercheur travaille sur des patients atteints de parkinson et non des rongeurs. « On ne peut pas couper le cerveau des humains, ce qui rend les choses plus compliquées pour comprendre les mécanismes. Mais ils coopèrent mieux que les souris et exécutent des tâches plus complexes », précise-t-il, pince-sans-rire.
Yohann Thenaisie a commencé sa thèse en 2018. Résumer en 180 secondes des années de travail, n’est-ce pas frustrant ? « Non, cela me permet de prendre du recul et de me rappeler pourquoi je passe mes journées à analyser des données sur un ordinateur sans contacts sociaux. Quand je vois de l’émerveillement dans les yeux des gens auxquels j’explique mon travail, cela me permet de me rappeler mon propre enchantement, qui s’est un peu banalisé. » Le doctorant rappelle qu’une thèse est une plongée dans un domaine précis, dans lequel on découvre parfois juste le nouveau paramètre d’un sous-système.
De l’utilité des Post-it
Ce sont le « pouvoir d’émerveillement puissant de la science » et la vulgarisation qui ont poussé Yohann Thenaisie à suivre cette voie. « Assez jeune, je lisais Science & Vie et La Recherche. Puis, j’ai découvert des youtubeurs scientifiques, tels que DirtyBiology, qui simplifient des thèmes complexes. »
Le Français, d’abord intéressé par le fonctionnement de la conscience, a ensuite bifurqué vers les neurosciences. À 20 ans, alors en Bachelor de biologie à l’École normale supérieure de Lyon, il découvre le travail sur les neuroprothèses du professeur Grégoire Courtine. Fasciné, il note tout cela sur un Post-it qu’il colle à son bureau. Master en poche, il s’installe à Lausanne pour effectuer une année prédoctorale à l’EPFL. Il entre en 2018 au centre Neurorestore, fidèle à la promesse notée sur le bout de papier.
Si la recherche autour des neuroprothèses séduit Yohann Thenaisie, elle l’effraie aussi. « Le cerveau est une machine, que l’on peut moduler, brancher, lire et reprogrammer, par exemple en effaçant des phobies grâce à du neurofeedback inconscient depuis un appareil IRM (article en anglais pour en savoir plus). Pallier les handicaps, c’est bien, mais cela pose la question de l’humain augmenté et du transhumanisme. » Il cite le cas de soldats états-uniens qui apprennent mieux une tâche via un jeu vidéo avec stimulation transcrânienne à courant direct. « On est déjà dans le domaine de l’homme augmenté », lance le neuroscientifique. Il apprécie d’être actif sur ce terrain, « pour identifier d’un point de vue éthique et social là où cela peut dégénérer ».
Entrer dans la transe
Le jeune homme évoque avec passion d’autres avancées des neurosciences, mais comme le temps file, nous l’aiguillons sur la cohabitation en lui du scientifique et du comédien. « Avec mon domaine d’étude, j’ai été formaté à agir rationnellement, un corps absent et un cerveau bouillonnant. Quand je fais du théâtre, l’opposé se produit. C’est pareil pour ceux qui décompressent avec de la musique ou du sport après le boulot. » Il ajoute que son côté scientifique le pousse à théoriser le théâtre, notamment sur son blog.
Yohann Thenaisie a notamment joué dans des pièces de théâtre, participé à des courts-métrages et comédies musicales, coaché des étudiants lors d’ateliers sur la prise de parole en public à l’EPFL, organisés par l’association Model United Nations, ou encore assuré des stages de clown, lui-même y ayant été initié en 2017. « Il existe plusieurs approches. La mienne est d’avertir les élèves que dès qu’ils auront mis leur nez rouge en coulisses, puis qu’ils seront revenus sur scène, il va se passer des choses qu’ils ne pourront pas contrôler. Si ça va trop loin, je dis à la personne d’ôter son nez et elle revient à elle. » Le comédien rapporte :
« Cela donne des choses parfois exceptionnelles. Des amis auxquels j’ai donné des formations de clown ont eu des expressions du visage que je ne leur avais jamais vues, d’autres sont devenus violents ou, au contraire, très poétiques. »
L’artiste explore en ce moment les facettes du trance mask, qui, comme le nez de clown, permet de retrouver une liberté enfantine grâce à l’autohypnose, un état de conscience modifié. Il explique : « Gamins, on était assez libres, on pouvait d’un coup sauter sur cette table, c’était considéré comme mignon. Puis, nous avons développé un juge intérieur qui nous inhibe en permanence. Comment le faire taire ? On revêt un masque qui couvre les yeux et le nez, on se regarde dans un miroir et on pousse un cri guttural. » L’accessoire prend alors possession de l’acteur et l’état hypnotique le conduit à lâcher prise, à sauter sur la table à pieds joints. Cet art, inspiré de rites tribaux d’Asie et d’Afrique, implique de ne jamais ôter le masque face au public, ou de ne pas le ranger face contre terre, au cas où de mauvais esprits s’y logeraient. Que pense le neuroscientifique de ces superstitions ? « Ces croyances contribuent à tromper le cerveau pour atteindre l’hypnose. Donc je m’y plie volontiers, même si au fond de moi je sais que le masque ne renferme pas d’esprit… car c’est moi qui l’ai fabriqué avec du papier mâché. » Il organise ces temps, avec des amis, des ateliers de trance mask à Lausanne.
Devenir quelqu’un d’autre
Yohann Thenaisie booste aussi son taux de dopamine en pratiquant des jeux de rôle grandeur nature. Sans public, les participants costumés donnent vie à leur personnage dans un univers fictif, coupés du monde pendant quelques heures ou une semaine, dans un château par exemple. « On vit l’existence de quelqu’un d’autre ou de quelque chose d’autre. J’ai joué un enfant dans un monde sans adultes, un personnage de La Horde du contrevent d’Alain Damasio, un chien et même un parapluie ! » rigole-t-il. Une expérience marquante ? « J’ai incarné une sorte d’idiot du village, simplet mais sensible, lors d’un jeu se déroulant pendant l’occupation allemande. Mon personnage devient ami avec un occupant. Ce dernier lui annonce qu’il s’en va, puis tourne les talons et part. Là, j’ai fondu en larmes, je me suis écroulé par terre. Ce n’était pas calculé, c’est venu tout seul, alors qu’au théâtre c’est très dur à faire. » Il a pu expérimenter ces immersions autant en Suisse qu’en Italie ou en République tchèque.
Une fois la thèse défendue, normalement en 2022, le chercheur choisira-t-il la voie du postdoctorat ou celle du théâtre encore plus poussé ? « J’aimerais plutôt partir sur la communication scientifique, pourquoi pas en tant que journaliste ou coach de vulgarisation et de prise de parole publique ? Voire tourner des vidéos YouTube ? s’interroge-t-il. Je ne sais pas encore. » Mais une chose est sûre, Yohann Thenaisie ne compte pas suivre les sentiers battus et n’a pas fini d’étonner.
Bio express
- 1994 : naissance le 17 mai à Saint-Jean de Braye, dans le Loiret (près d’Orléans)
- 1998 : découverte du théâtre à l’âge de quatre ans
- 2016 : stage à l’Université de Duke, aux États-Unis, dans un laboratoire spécialisé en neuroprothèses
- 2017 : Master en biologie, spécialisation en neurosciences, immunologie et ingénierie des tissus, à l’École normale supérieure de Lyon
- Depuis 2018 : doctorat UNIL en neurosciences, au centre Neurorestore
- 2020-2021 : formation préprofessionnelle de théâtre, à l’Appartement à Lausanne.
Pour aller plus loin…
- Site de Yohann Thenaisie
- Finale suisse de MT180 en mai 2021, avec toutes les présentations: