Voir et comprendre le vivant comme jamais auparavant

Inauguration du Centre d’imagerie Dubochet (22 novembre 2021), qui propulse le trio UNIL-EPFL et Unige au sommet de la recherche mondiale en cryomicroscopie.

Quand la structure de la protéine Spike du SARS-Cov-2 se donne à voir d’une façon unique obtenue grâce au plus puissant microscope électronique du monde, on pense à Jacques Dubochet, dont les travaux et le Prix Nobel reçu en 2017 ont boosté la recherche dans le domaine de la microscopie électronique, plus particulièrement la cryomicroscopie (cryo-EM). L’inauguration du Centre d’imagerie Dubochet (DCI) témoigne ainsi du dynamisme de ce champ scientifique et illustre l’étroit partenariat entre les trois acteurs principaux : EPFL, UNIL et Unige.

Quelques noms pour commencer : le professeur Henning Stahlberg (physicien et biologiste UNIL/EPFL, directeur scientifique du DCI Lausanne), son collègue de l’Unige, le professeur Robbie Loewith (directeur du DCI Genève), les trois dirigeants de l’UNIL-Unige-EPFL, les professeurs Frédéric Herman, Yves Flückiger et Martin Vetterli, ainsi que la conseillère d’État Cesla Amarelle et bien sûr le professeur lauréat du Prix Nobel Jacques Dubochet. Autant de personnalités, parmi les plus éminentes, réunies le 22 novembre 2021 pour ouvrir officiellement le Centre d’imagerie Dubochet, ou Dubochet Center for Imaging.

Situé dans le bâtiment Cubotron, le DCI Lausanne se déplacera en 2023 dans une nouvelle annexe à proximité du Génopode. En 2026, il trouvera sa résidence définitive au sein du futur centre des sciences de la vie, dont le projet de crédit d’ouvrage est en préparation, selon la conseillère d’État, qui se réjouit des retombées scientifiques et économiques pour le canton de Vaud et l’arc lémanique. L’industrie pharmaceutique, par exemple, est déjà un gros client potentiel.

Cette plateforme centralise, maintient et met à disposition des chercheurs une expertise en cryo-EM ainsi que des instruments de pointe, soit trois microscopes : un Glacios pour le contrôle préliminaire des échantillons et deux Titan Krios G4 pour les structures à très haute résolution à Lausanne. Le recteur Frédéric Herman souligne que ce nouveau pôle d’excellence « annonce de nombreuses avancées dans le domaine des sciences du vivant ».

Un Titan hyper-sensible

Les Titan G4 sont actuellement les microscopes électroniques les plus puissants du monde pour l’étude des échantillons biologiques. Leur coût, à l’unité, se situe entre 7 et 13 millions de francs, et on ne trouve leur équivalent qu’à Oxford, Francfort, aux États-Unis et en Chine. Ils sont si sensibles qu’une différence de température d’un degré dans des coins opposés de la pièce peut perturber leur bon mode de fonctionnement. En plus d’un contrôle permanent des paramètres environnementaux (taux d’humidité, température, vibrations et bruits), ils doivent également être protégés des champs électromagnétiques qui traversent le campus. Les scientifiques peuvent y placer jusqu’à 12 échantillons biologiques préalablement préparés par vitrification, et refroidis en continu par de l’azote liquide à -196 °C.

La protéine Spike du SARS-Cov-2 photographiée par irradiation dans le microscope Titan G4 qui nous en révèle une image atomique jamais vue. © DCI Lausanne
La protéine Spike du SARS-Cov-2 photographiée par irradiation dans le microscope Titan G4 qui nous en révèle une image atomique jamais vue. © DCI Lausanne
Échantillons photographiés par irradiation

Une fois inséré dans la colonne du microscope, l’échantillon est irradié par un faisceau d’électrons de très haute énergie : les échantillons sont ainsi photographiés par irradiation. Une caméra puissante mais aussi très sensible, située au point bas du microscope, est capable d’enregistrer chaque électron et, durant ce processus d’imagerie, les informations sont retransmises toutes les secondes à des ordinateurs produisant ainsi 3 téraoctets de données par jour.

Les travaux des professeurs nobélisés Jacques Dubochet, Joachim Frank et Richard Henderson prennent désormais tout leur sens : en permettant de préserver les spécimens biologiques dans des conditions proches de celles de leur origine par stabilisation dans de l’eau vitrifiée, pour les rendre plus résistants aux dommages causés par les fortes radiations des électrons, il est possible de les observer jusque dans leurs plus infimes et intimes configurations.

Enjeu majeur pour les traitements médicaux

Pendant l’inauguration, la présence de cinq ou six visiteurs dans le laboratoire d’un des Titan G4, devant la porte grande ouverte de l’enceinte où il réside, suffit à perturber l’hypersensible microscope. Expert en cryo-EM et membre de l’équipe du DCI Lausanne, dirigée par le docteur Alexander Myasnikov, le docteur Bertrand Beckert referme la porte : sur un écran externe réapparaît alors l’image tournoyante d’un ribosome d’Escherichia coli reconstitué en 3D à partir d’échantillons vitrifiés et imagés en direct. Les ribosomes sont des éléments clés de la fabrication des protéines dans nos cellules… et dans les bactéries toujours plus résistantes aux antibiotiques. L’enjeu est de mieux comprendre le mécanisme d’action des antibiotiques, notamment comment ces derniers peuvent être repoussés hors des ribosomes bactériens qu’ils sont censés désactiver. Il faut encore noter que les microscopes sont opérés à partir d’une autre salle, où l’équipe les contrôle à distance et programme leur bon fonctionnement 24h/24 et 7j/7.

Les bienfaits du Cemovis

« C’est là que l’intelligence artificielle prend son sens et nous impressionne, esquisse Jacques Dubochet, admiratif devant une telle résolution atomique. Là ça devient de la chimie », sourit-il. Lui qui avait « peur de la concurrence avec les autres », et s’était donc tourné vers un domaine relativement marginal, peut aujourd’hui savourer les retombées de Cemovis (cryomicroscopie électronique de coupe vitrée), la méthode qu’il a commencé à mettre au point et qui poursuivra son développement au DCI : il s’agit de découper en couches ultrafines les éléments biologiques en vue de la vitrification pour observer non seulement des protéines et des virus, mais désormais aussi des structures entières, comme des cellules ou des parties du corps.

Coupe dans un cerveau

Cette promesse de mieux voir ce qui se joue dans le cerveau, sous la peau et dans les organes malades fait briller l’œil du scientifique. Il rappelle qu’une telle coupe dans un cerveau a déjà permis d’identifier la maladie dégénérative qui a tué le patient, ou que l’observation de la multiplication d’un virus dans un organe permet de voir où et comment agit l’ARN de la vaccination. L’avenir de la cryo-EM concerne principalement la santé, les sciences de la vie, la chimie mais aussi d’autres secteurs comme l’imagerie, des domaines scientifiques qui s’inscrivent directement dans les objectifs des trois entités que sont l’EPLF, l’UNIL et l’Unige.