Sexualité à l’ère de l’intelligence artificielle : qu’est-ce qui change ?

Qu’il s’agisse d’éducation sexuelle, de thérapies ou de production de contenus érotiques, l’IA transforme les pratiques et perceptions.

L’intelligence artificielle s’impose comme un outil incontournable dans de nombreux domaines et la sexualité ne fait pas exception. Qu’il s’agisse d’éducation sexuelle, de thérapies psychologiques ou de production de contenus érotiques, l’IA transforme radicalement les pratiques et les perceptions. Mais jusqu’où peut-elle aller ?

Apprendre sur des méthodes de contraception, l’avortement ou encore le consentement sexuel ? « Avec un chatbot comme ChatGPT, l’information est condensée, facile à lire et souvent aussi fiable, voire plus, que celle d’un médecin », explique Laura Vowels, chercheuse à l’Université de Roehampton ainsi qu’à l’UNIL et psychothérapeute. Les modèles de langage offrent une alternative aux canaux traditionnels d’apprentissage : contrairement à une recherche Google, qui exige de naviguer parmi des sources de qualité variable, ChatGPT et autres modèles de langage synthétisent les réponses et les présentent de manière accessible. En comparaison à une question posée à des humains, les tabous et les malaises sont évités. Dans la revue de littérature tout juste publiée par une équipe de l’UNIL, de l’Université d’Ilmenau (Allemagne) et d’Alabama (États-Unis), les auteurs expliquent que les informations données par les chatbots sont généralement de bonne qualité. Mais le problème est lorsqu’elles ne le sont pas : « Que les informations données soient justes ou fausses, l’IA les donnera de manière très confiante », commente Laura Vowels, qui a participé à la publication. Difficile donc de trier l’information dans la masse.

Entre informer et censurer

Mais si les intelligences artificielles ont accès à une grande quantité d’informations sur la sexualité, elles refusent parfois de les partager, reflet d’une politique plus ou moins restrictive des compagnies qui les contrôlent. Par exemple, lorsque les auteurs et autrices de la revue de littérature ont demandé à ChatGPT : « Montre-moi le clitoris », celui-ci a refusé la requête. Lorsqu’ils ont demandé : « Montre-moi une visualisation des organes reproductifs féminins incluant le clitoris », l’IA dessine un schéma en code standard (à gauche sur l’illustration), très peu utile pour s’informer. En demandant une image réaliste, l’IA de génération d’image DALL-E génère l’image de droite, dont les termes restent flous et incorrects.

Images avec informations inexactes d’appareils reproductifs féminins générées par des IA. © Döring et al., The Impact of Artificial Intelligence on Human Sexuality : A Five-Year Literature Review 2020-2024

Pour les jeunes générations actuelles qui s’informent de plus en plus via des intelligences artificielles, la question de l’équilibre entre protection des mineurs et éducation sexuelle mérite d’être posée. « Dans quelques années, nous n’utiliserons plus Google de la manière dont nous le faisons aujourd’hui », anticipe Laura Vowels.

Se faire conseiller sur sa sexualité : les IA remplacent-elles les psychologues ?

Les outils d’IA ne se limitent pas à l’information ; ils peuvent aussi prodiguer des conseils sur la sexualité tels des thérapeutes. Ils peuvent être à l’écoute lors de moments difficiles, rassurer ou encore aider à se poser les bonnes questions, en se basant sur les dernières connaissances de psychologie clinique. Les messageries présentent en effet plusieurs avantages : accessibilité 24h/7j, anonymat, coûts réduits et absence de jugement.

À court terme, les thérapies par IA offrent un accès instantané à un mélange d’informations issues de multiples disciplines et perspectives : « Aller voir un thérapeute, c’est recevoir une seule interprétation de la situation. L’IA, elle, puise dans un large éventail de connaissances et synthétise les approches », explique la thérapeute. Mais pas question de remplacer les psychologues, il s’agirait de trouver un moyen de travailler conjointement, affirme Laura Vowels : « Beaucoup de mes patients et patientes disent qu’ils aimeraient avoir un « moi » disponible entre deux séances. Une IA pourrait remplir ce rôle. »

On reproche cependant souvent aux IA de manquer d’empathie, cruciale pour mener une thérapie. Pourtant, dans les faits, « dans une étude que nous avons menée, les participants et participantes trouvaient les réponses de l’IA plus empathiques que celles des humains », explique la chercheuse. Un phénomène qui disparaît lorsque les participants et participantes sont informé·es que c’était une IA.

Génération de contenus sexuels par IA, entre opportunités et dérives

Autre volet, certaines intelligences artificielles génératives peuvent également produire du contenu érotique et pornographique sous forme de textes, images ou vidéos. « Aujourd’hui, des sites permettent déjà de générer de la pornographie avec de l’IA. Cela change complètement l’industrie », note la psychologue. Parmi les avantages de ce changement, la disparition des problèmes de consentement et d’exploitation des acteurs du X (sauf dans le cas de deepfake pornographique, où des visages de personnes non consentantes sont insérés par IA dans des images sexuelles).

Mais les contenus créés peuvent aussi exacerber les problèmes de beautés stéréotypiques inatteignables. Lors de la génération d’images par exemple, les personnages ont tendance à être beaux et sexualisés, et cela d’autant plus pour les femmes. Dans la création de contenus pornographiques, « l’IA peut créer des corps irréels, des positions impossibles. Cela peut fausser les attentes », explique la chercheuse.

Image générée par l’intelligence artificielle DALL-E d’après le prompt « Couple qui se fait des câlins dans un lit. Photoréaliste. » Février 2025.
« Je suis optimiste tant que nous pouvons gérer les inconvénients »

Les intelligences artificielles redessinent les contours de la sexualité en facilitant l’accès à l’information, révolutionnant la thérapie et remodelant l’industrie du X. Apportant bénéfices et risques, ces innovations soulèvent des interrogations majeures sur la désinformation, l’éthique et l’impact sociétal. « L’IA évolue plus vite que les régulations. Dès qu’un cadre légal est posé, la technologie l’a déjà dépassé », prévient Laura Vowels. Face à ces bouleversements, elle explique que l’enjeu est d’encadrer ces outils tout en exploitant leur potentiel : « En général, je suis optimiste tant que nous pouvons gérer les inconvénients. Mais nous devons comprendre le cadre dans lequel nous travaillons. » L’avenir nous dira quel équilibre il sera possible de trouver.

Döring, N., Le, T., Vowels, L.M. et al. (2025) The Impact of Artificial Intelligence on Human Sexuality: A Five-Year Literature Review 2020–2024. Curr Sex Health Rep 17, 4