De nos jours il ne suffit plus de refaire « le » monde comme s’il s’agissait uniquement d’une toile de fond imposée par d’autres. Le festival Écotopiales, nouveau venu à l’UNIL, invite à un effort collectif pour réinvestir « notre » monde au croisement des sciences et des arts.
Au Centre de compétences en durabilité (CCD), Colin Pahlisch coordonne l’ORIA – pour Observatoire des Récits et des Imaginaires de l’Anthropocène. L’événement qu’il coorganise sous l’intitulé Écotopiales (1er et 2 novembre 2024) met l’accent avec plusieurs chercheurs et chercheuses sur l’écologie dans ses dimensions environnementale, sociale et psychique, pour citer Félix Guattari, un auteur qu’il affectionne. « C’est le rapport au lieu, aux autres et à soi », résume-t-il.
Un événement universitaire et populaire
Si le sous-titre des Écotopiales – Festival des récits et des imaginaires écologiques – renvoie d’abord aux études de Lettres, il faut souligner le caractère interdisciplinaire et interfacultaire de l’événement, ainsi que sa double dimension universitaire et populaire. Sans éclairage scientifique, la créativité artistique autour des questions écologiques pourrait s’enliser dans l’éco-anxiété ou la pure évasion ; il s’agit dès lors de lui apporter un cadre de réflexion lors d’une première journée dédiée à la recherche, le 1er novembre.
Conférences et tables rondes
Trois experts lanceront le festival au Vortex : Jan Blanc (UNIL) pour explorer les représentations du sujet dans l’histoire de l’art, Pierre Schoentjes (Université de Gand) pour questionner la littérature environnementale « entre opportunité et opportunisme », ainsi que Valérie Chansigaud (Université Paris Cité) pour exposer l’histoire longue de l’imaginaire écologique sous l’angle politique.
Se déplaçant dans l’après-midi à l’Amphimax, l’événement permettra ensuite de faire dialoguer des chercheurs et chercheuses en Lettres, SSP, FBM, HEC, FDCA et FGSE autour de quatre tables rondes dédiées aux récits de la post-croissance, aux interrelations réelles ou fantasmées avec la « nature » à travers les disciplines et les âges, à la santé physique et mentale confrontée elle aussi aux limites planétaires, ainsi qu’aux défis sociaux et politiques dans un contexte mondial bouleversé.
Isabelle Stengers et Alice Carabédian sur scène
Cette première journée sera suivie d’une soirée exceptionnelle au Théâtre Vidy-Lausanne, qui permettra d’entendre Isabelle Stengers, dont la pensée philosophique s’est élaborée au prisme d’un savoir cosmopolitique, scientifique, technologique et critique des catastrophes contemporaines, et Alice Carabédian, qui propose une utopie politique radicale pour affronter les crises de notre temps à partir des imaginaires de la science-fiction. Une double rencontre qui promet de partager en public des intuitions puissantes, voire dérangeantes, après une journée de la recherche aussi exigeante que stimulante.
Divers ateliers de création
Avec une série d’ateliers destinés au grand public (samedi 2 novembre), le festival veut favoriser la réflexion personnelle sur les possibilités d’échapper à la fatalité climatique et aux désastres écologiques associés à nos modes de vie. Comment surmonter notre inaction, mais également nos appréhensions envers des choix inédits qui pourraient paraître aussi inquiétants que les maux à combattre, sinon en essayant d’enchanter cette épineuse perspective ?
Quatre ateliers permettront d’explorer nos possibles à travers le cinéma associé à l’environnement (histoire et initiation au scénario), la bande dessinée (échanges graphiques, humoristiques, musicaux et cocréation d’une fresque), le jeu de rôle (participation accessible à une aventure climatique et héroïque) ou encore l’écriture collective, en divers lieux inspirants et sous l’impulsion artistique et/ou théorique de guides rompus à ce type d’exercices.
De nombreux partenaires
Ces deux journées initiées par le CCD et l’ORIA ne seraient pas possibles sous cette forme ambitieuse sans l’appui d’un Conseil scientifique interdisciplinaire ainsi que le soutien de nombreux partenaires dont La Grange UNIL, divers services de l’UNIL, le Théâtre Vidy-Lausanne, Plateforme 10, BDFIL, La Cinémathèque Suisse, Le Cinématographe, l’association ARS Ludendi ou encore le studio d’écriture La Zac au Village lacustre de Gletterens.
Histoire de monstre et drame familial
La plupart des événements et toutes les activités diurnes s’annoncent gratuits (sur inscription). La soirée de clôture à la Cinémathèque Suisse est payante avec la projection d’un film coréen qui mélange histoire de monstre, pollution envahissante et drame familial, The Host, de Bong Joon-ho (à qui l’on doit aussi la Palme d’Or cannoise Parasite).
Un enjeu démocratique
Selon Colin Pahlisch, cette première édition des Écotopiales a été conçue pour valoriser et susciter les recherches scientifiques autour des récits et des imaginaires menées dans la perspective des limites planétaires, mais aussi pour répondre à une demande estudiantine soucieuse de penser des futurs alternatifs et durables. L’événement associe également les gymnases du canton par le biais de la formation continue et s’ouvre, comme on l’a vu, largement à la population. « Le renouvellement de nos imaginaires paraît nécessaire pour construire un monde commun. C’est un enjeu démocratique », conclut-il.