Chacun de ses épisodes aborde un sujet en lien avec les spectacles proposés dans la salle. Ces conversations entre chercheurs et artistes, qui prolongent leurs travaux autant qu’elles en constituent la mémoire, sont orchestrées par la réalisatrice Julie Henoch.
Construire des passerelles entre art et sciences, tel est désormais le programme de La Grange, lieu de recherche à la croisée de ces deux domaines. C’est également celui de son podcast, éclos ce printemps. Baptisé « Récolte », il fait germer des discussions entre des interlocuteurs eux aussi issus de ces deux mondes, les invitant à s’intéresser à ce qui les relie, à questionner leurs pratiques. Bénédicte Brunet, directrice de La Grange, avec le soutien de Marie Neumann, cheffe du Service culture et médiation scientifique, a eu l’idée de ce programme. Son but : mettre en avant le changement de ligne de La Grange. D’une simple salle de spectacle située sur le campus, elle est devenue un véritable lieu de création et de recherche à la croisée des arts et des sciences, un terreau fertile où éclosent des projets vraiment originaux.
Julie Henoch n’est pas arrivée aux manettes de « Récolte » par hasard. Auteure et productrice indépendante, mais aussi programmatrice musicale au CityClub Pully, elle a travaillé dix ans comme réalisatrice à Couleur 3, a monté une installation sonore monumentale au CERN aux côtés d’un artiste, d’un musicien et de deux physiciens. Plus récemment, elle a réalisé l’exposition pluridisciplinaire « Faire route » à la cathédrale de Lausanne, avec plusieurs chercheurs de l’UNIL, dans le cadre du festival Histoire et Cité.
Rompue aux interactions art/science, elle avait à cœur de proposer un matériau facilement intelligible, accessible à un large public. D’où le choix d’un moyen format d’une trentaine de minutes où interviennent un nombre limité de voix. « Jamais plus de deux ou trois, portées par une matière sonore signée Christophe Calpini, l’un des chercheurs en production musicale les plus intéressants à la ronde », souligne Julie Henoch.
Puisant dans l’actualité des thèmes abordés dans les spectacles et les résidences, Bénédicte Brunet lui propose différents angles dans un premier temps. « Nous y réfléchissons ensemble dans un second, puis j’enregistre les interviews. Très ouvertes, elles donnent lieu à des résonances passionnantes », précise la réalisatrice, dont le travail dépasse bien entendu largement le simple fait de tendre un micro : « Pour être en mesure de transmettre un sujet compliqué, il faut avant tout comprendre de quoi on parle, et cela prend du temps. » Souvent, elle peut heureusement s’appuyer sur les connaissances acquises au fil de ses études de lettres. Ce fut notamment le cas avec des thèmes comme la fluidité de genre au Moyen Âge, dont traite l’épisode 3, ou avec le prochain, dont la sortie est agendée début novembre, qui s’intéressera à l’intersectionnalité des luttes. Cette fois, il est prévu de faire intervenir Eléonore Lepinard, professeure en études de genre à l’UNIL, pour apporter un éclairage sur le travail de la Compagnie Sörörö en résidence à La Grange.
« L’interview relève quasiment de la maïeutique, puisque j’essaie d’amener une personne ayant un savoir très pointu à le rendre accessible à d’autres qui ignorent tout ou presque de la question. Les chercheurs ne sont souvent pas de grands communicants ; je les invite à reformuler leurs propos, à les simplifier. C’est également nécessaire avec les artistes, qui ont, pour leur part, parfois du mal à exprimer leurs intentions hors de leur champ créatif », constate-t-elle. L’ensemble exige énormément de montage : tics de langage, phrases inachevées et autres balbutiements finissent à la corbeille : « Je ne conserve qu’un quart de tout ce qui a été dit. »
Mais le fruit de son travail vaut les efforts investis : les deux parties sont ravies de ces interactions. « Les chercheuses et chercheurs apprécient qu’on leur demande de répondre à des questions qu’ils ne se seraient jamais posées. Quant aux artistes, il leur est précieux de voir leurs intuitions se confirmer scientifiquement », conclut Julie Henoch. À l’heure où les seconds passent volontiers pour fantasques et les premiers pour des rêveurs déconnectés de la réalité, la démarche de La Grange esquisse une troisième voie : un sentier où les uns et les autres chemineraient en quête de vérités à même de rendre le monde un peu meilleur. Reste que, en art comme en sciences, la recherche exige à la fois du temps et des moyens. « Ce podcast peut en outre contribuer à rappeler cet aspect, souvent sous-estimé », ajoute-t-elle.