Dans le Jura vaudois, la présence du loup attise les tensions et alimente bien des rumeurs. Pour démêler le vrai du faux, une équipe de recherche de l’UNIL, supervisée par Philippe Christe, collabore au projet Wolves and Cattle, qui vise à apporter des réponses scientifiques aux questions que pose cette cohabitation complexe entre loups et bovins.
Depuis le retour du loup dans nos contrées, les rumeurs vont bon train. « Les vaches deviennent plus agressives, bougent davantage, consomment plus d’énergie, grandissent moins bien, risquent plus d’avortements », énumère d’emblée Philippe Christe, professeur associé au sein du Département d’écologie et d’évolution de l’Université de Lausanne. Mais ce ne sont, pour l’heure, « que des on-dit », complète-t-il. Afin de vérifier ces affirmations, un projet de recherche a donc été lancé. Le but ? Confronter ces perceptions à des données scientifiques et chiffrées.
Mené en collaboration avec la fondation Kora, en charge du monitoring des carnivores en Suisse, la Direction générale de l’environnement (DGE) du canton de Vaud et la centrale de vulgarisation agricole Agridea, qui s’occupe des moyens de protection des troupeaux, le projet Wolves and Cattle s’attache à étudier de près l’impact du loup sur le comportement du bétail. Si les premiers résultats sont attendus pour le printemps prochain, cette recherche exige pour l’heure un travail de collecte rigoureux sur le terrain.
Prendre la méthodologie par les cornes
Côté bétail, « l’objectif est de comparer les comportements des troupeaux dans le Jura vaudois, où la présence de meutes de loups est avérée, avec ceux de troupeaux dans le Jura neuchâtelois et les Franches-Montagnes, où le loup n’est qu’occasionnellement de passage », explique Philippe Christe. Au printemps 2024, cinq troupeaux ont donc été équipés de colliers GPS et d’accéléromètres afin de suivre leurs mouvements et comportements jusqu’au mois d’octobre. « Les accéléromètres capturent dix données par seconde. Ils nous permettent de savoir si les vaches ruminent, courent, se couchent ou montrent une vigilance accrue », détaille le professeur.
Mais la collecte de données ne s’arrête pas là. Pour obtenir une vue d’ensemble de l’état physiologique des bovins, l’équipe a aussi récolté des échantillons de bouses. Ils permettront de mesurer les niveaux d’hormones de stress en fonction des différentes zones de pâturage.
À pas de loup…
Pour le loup, la collecte de données s’avère plus complexe. Le plan ? Capturer quelques individus et leur poser des colliers GPS avec senseurs de proximité. Ces appareils émettront une position toutes les quatre heures, mais seront également programmés pour envoyer des données plus fréquentes dans le cas où leurs hôtes s’approcheraient d’un troupeau. « Ainsi, nous pourrons observer les interactions fines, et leur fréquence, entre loup et bovins, et déterminer précisément comment les vaches réagissent à sa présence : fuient-elles ou restent-elles indifférentes ? » Ces colliers, alimentés par batterie, ont été conçus avec une autonomie d’environ un an. « Pour éviter de les alourdir, nous avons choisi des batteries légères. Au bout de la période définie, nous pouvons les déclencher à distance pour qu’ils se détachent et tombent, afin que les loups ne soient pas contraints de les porter indéfiniment. » Le groupe de recherche prévoit de poser quatre colliers. « Si nous parvenons à capturer quatre loups pendant la durée du projet, nous serons très contents. » (Pour l’heure, deux louves ont pu être équipées d’un collier, dont la dernière dans la région du Marchairuz en date du 30 octobre passé, ndlr).
L’objectif est clair, mais la méthode pour y parvenir est minutieuse et pleine de contraintes. D’abord, il faut installer des pièges photo pour évaluer les habitudes de déplacement du loup. Une fois les zones de passage identifiées, des pièges à mâchoires en caoutchouc de la taille d’une assiette sont enfouis dans le sol aux points stratégiques. « La zone est vaste. Il faut donc espérer que le loup mette sa patte au milieu de cette assiette. » Ces pièges devront également, lors de l’installation, être manipulés avec la plus grande précaution : « Les loups ont un odorat très développé. Il faut mettre des gants et quelque chose sur les cheveux pour laisser le moins d’odeur humaine possible. »
Par ailleurs, dans la chaîne jurassienne, où les promeneurs et cyclistes sont nombreux, « il est nécessaire de fermer les pièges en journée pour éviter tout accident, notamment avec les chiens », explique Philippe Christe. Les pièges sont donc ouverts le soir et fermés le matin, obligeant de ce fait l’équipe à se rendre sur place régulièrement. Une contrainte supplémentaire pour la discrétion.
… vers une meilleure compréhension !
« À la fin des années 90, quand le loup est arrivé en Suisse, il y avait principalement des observations de prédation sur les moutons, explique Philippe Christe. Mais depuis que le loup est arrivé sur la chaîne jurassienne, où il y a beaucoup moins de moutons que dans les Alpes, il a commencé à prédater des vaches. » Et désormais, le débat est vif.
Dans un contexte où le Canton de Vaud a récemment autorisé l’abattage de la meute du Mont-Tendre, cette étude vise l’apport d’un éclairage factuel afin de calmer les inquiétudes et enrichir le dialogue. « Nous restons en dehors du débat politique. En tant que scientifiques, notre but est de répondre aux questions que cela soulève dans la société », conclut Philippe Christe.