Mardi 21 septembre 2021 à l’UNIL, Micheline Calmy-Rey et François Hollande ont échangé en public leurs constats inquiets pour l’Europe et le monde, dans un duo qui se cherchait par-delà les différences culturelles, l’histoire de la Suisse, celle de la France… Résumé d’une rencontre organisée par la Fondation Jean Monnet pour l’Europe.
Les États-Unis se retirent, l’Union européenne est divisée, faible sur la scène internationale, les populations se replient, ne comprennent pas les engagements à l’étranger, la Suisse défend son territoire et tente de jouer un rôle dans le monde mais elle aurait besoin d’une Europe à la fois forte et plus souple, capable de porter une politique étrangère commune, d’avoir une défense autonome non inféodée à l’OTAN, de montrer sa force quoique sans agressivité, mais aussi de relancer le multilatéralisme aujourd’hui supplanté par des alliances ponctuelles et bloqué par le droit de veto russe ou chinois.
Dès lors, comment défendre ce que Micheline Calmy-Rey nomme «l’ordre libéral international», la paix et la sécurité en cette montée de nouveaux périls collectifs comme le réchauffement climatique, les cyberattaques venues d’États agressifs, les pandémies, le terrorisme islamiste, les conflits économiques, l’avancée des empires non démocratiques ? Comment sauver «la planète, notre nation commune», selon le mot de François Hollande ?
Autant de questions débattues à l’UNIL entre deux «ex», présidente et président, mais pas encore retraités, observateurs affûtés, socialistes inquiets mais non repliés, conscients des responsabilités internationales qui incombent en particulier aux pays démocratiques. Dans un livre préfacé par son homologue français, Micheline Calmy-Rey défend l’idée d’une neutralité active, d’un outil utile à l’Europe comme à la Suisse. Elle regrette la faiblesse politique de l’Union européenne, ce statu quo synonyme d’impuissance dans lequel certains vieux pays européens s’enlisent, se contentant d’envoyer des communiqués au monde sans oser réagir véritablement, même pas à l’intérieur de l’espace européen lorsque certains membres enterrent les valeurs démocratiques. Elle en appelle à un réveil continental au moyen d’une «neutralité active» ou d’une «autonomie stratégique» propres à défendre le territoire européen et à intervenir sur le plan international avec ou sans les États-Unis…
Vers une accélération politique de l’Europe?
Pour François Hollande, les grands périls, qu’il avait pu croire décroissants avec la fin de la Guerre froide, ne peuvent pas être combattus par une simple neutralité, fût-elle «active». Il ne pense pas non plus que l’Europe puisse et souhaite vraiment se passer de l’alliance avec les États-Unis, dont il faut pourtant «se faire respecter». Dans ce contexte, l’idée d’une «autonomie stratégique» ou d’une accélération politique lui paraît possible à organiser en petit comité, avec les pays les plus déterminés en matière de politique étrangère et de défense communes, autrement dit un noyau dur dont personne ne serait exclu: «La Suisse elle-même serait bienvenue au club.» Cette Europe politique est impossible à mettre en œuvre avec 27 pays divisés, complaisants pour certains envers la Russie et/ou tentés par un «illibéralisme» dont il s’inquiète comme sa consœur helvétique.
Les conséquences de l’impunité de Bachar el-Assad
D’où l’importance des futures élections en Allemagne et en France, selon lui. La question se pose de savoir si l’Allemagne se repliera sur un statu quo de plus en plus frileux ou acceptera, au contraire, de prendre aux côtés de la France et d’un noyau européen un rôle plus actif. L’ancien président a rappelé le « tournant mondial » néfaste représenté en 2013 par le refus d’une intervention en Syrie alors même que Bachar el-Assad avait utilisé des armes chimiques contre sa population. L’accord du premier ministre David Cameron mais l’opposition marquée par la Chambre des communes, l’accord de Barak Obama mais le refus du Congrès américain, autant d’obstacles à une intervention voulue par la France, notamment…
Résultat résumé en quelques mots par François Hollande : radicalisation de l’opposition syrienne, montée de Daesh et impunité pour les États agressifs, heureux de voir sauter «les lignes rouges» et de pouvoir ainsi attaquer des territoires et opprimer leurs minorités…
Entre lui et Micheline Calmy-Rey, on entend les mêmes constats mais un bémol qui voit la Suisse chercher une action forte quoique plus défensive qu’offensive, armée mais avant tout multilatérale et politique, tandis que la France affirme la nécessité de déployer la force, car «défendre son territoire ne suffira pas», de le faire de manière continentale, militaire mais aussi culturelle, quitte à se recentrer sur une avant-garde européenne affirmant ses valeurs démocratiques avec force : «Notre liberté peut s’étendre au monde, nous devons en être fiers.»
Pour une neutralité active. De la Suisse à l’Europe, par Micheline Calmy-Rey, Savoir suisse, 2021, préface de François Hollande