En octobre et en novembre dernier, le biologiste Alexandre Roulin et l’archéologue Patrick Maxime Michel ont présenté leurs projets au public, dans le cadre du Pavillon suisse de l’Exposition universelle de Dubaï. Quel est l’intérêt d’une telle expérience ? Pour l’uniscope, les chercheurs de l’UNIL se sont livrés à l’exercice du débriefing.
Quelques minutes à peine après s’être rencontrés pour la première fois, Alexandre Roulin (professeur au Département d’écologie et évolution) et Patrick Maxime Michel (maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité) se sont déniché bien des points communs. Tous deux mènent des projets à fortes composantes sociales et politiques, basés sur leurs travaux scientifiques, dans le cadre géographique du Proche-Orient. De plus, le biologiste et l’archéologue reviennent de Dubaï, où ils ont présenté leurs travaux au Pavillon suisse, à l’Exposition universelle.
Comment se sont-ils retrouvés aux Émirats arabes unis ? Présence suisse, unité qui dépend du Département fédéral des affaires étrangères, a contacté le Service des relations internationales de l’UNIL en février 2020, afin d’assurer la visibilité de la place scientifique suisse à l’Exposition universelle. «C’était une belle occasion de mettre l’UNIL en valeur», note Denis Dafflon, directeur du service. Contactés, Alexandre Roulin et Patrick Maxime Michel ont accepté cette proposition.
Chouettes et tolérance
Début octobre, à Dubaï, Alexandre Roulin a exposé en public le projet «Owls for Peace», dans le cadre de la «Climate & Biodiversity Week». En quoi consiste-t-il ? À recourir aux chouettes effraies pour éliminer les rongeurs qui endommagent les cultures, au lieu d’utiliser des pesticides toxiques. Depuis plus d’une décennie, grâce à l’installation de nichoirs en Israël, en Palestine et en Jordanie, des rapaces débarrassent les champs des nuisibles, en se jouant des frontières. Au-delà de l’enjeu écologique, «Owls for Peace permet à des personnes de différentes cultures de se rencontrer et d’échanger autour d’un problème commun», explique le chercheur (pour en savoir davantage).
Mi-novembre, Patrick Maxime Michel a présenté le projet Collart-Palmyre lors de la «Tolerance & Inclusivity Week». L’UNIL possède le fonds d’archives de l’archéologue suisse Paul Collart, qui a fouillé le sanctuaire de Baalshamîn, à Palmyre (Syrie), dès 1954. Ce monument a été détruit par Daesh en 2015. Grâce aux documents, une reconstitution en trois dimensions a été réalisée 1). Le chercheur travaille sur la transmission de ce patrimoine culturel aux jeunes générations, grâce à des ateliers de broderie organisés notamment dans des camps de réfugiés du nord de la Jordanie (Azraq). Les motifs choisis proviennent du sanctuaire disparu et les objets créés perpétuent la mémoire du passé (pour en savoir davantage).
Toucher le public arabophone
À l’occasion de conférences, de tables rondes ou d’expositions temporaires, Alexandre Roulin et Patrick Maxime Michel ont mis en lumière les projets qu’ils mènent avec passion. Que retiennent-ils de l’expérience ? «Nous avons montré la capacité de la Suisse à fédérer des personnes très différentes, note le biologiste. Ainsi, les partenaires israélien, palestinien, marocain et jordanien d’Owls for Peace étaient sur place avec moi» (voir l’image ci-dessous). Le chercheur relève que de telles présentations possèdent un tout autre impact dans un pays arabophone que dans le cadre suisse.
Il en est de même pour le projet Collart-Palmyre, confirme Patrick Maxime Michel. «J’ai donné des interviews traduites en arabe à Skynews et sur la chaîne nationale des Émirats arabes unis.» Pour l’archéologue, toucher «les personnes avec qui l’on travaille, dans leur langue, procure un rayonnement particulier au projet».
Diplomatie scientifique
Sur place, les deux scientifiques ont parlé avec différentes personnalités. Ainsi, Alexandre Roulin a par exemple visité le Ministry of Climate Change and Environment des Émirats arabes unis (EAU). «Je ne sais pas ce qu’il peut ressortir de telles occasions, mais il est toujours intéressant de rencontrer d’autres personnes et de faire connaître l’UNIL.» De son côté, Patrick Maxime Michel s’est entretenu avec Ali Al Shali, proche de la ministre de la Culture des EAU Noura Al Kaabi. «J’ai également donné un cours à l’Université Zayed d’Abou Dhabi.» L’archéologue met l’accent sur un rendez-vous particulièrement intéressant avec des représentants du Louvre Abou Dhabi, «une structure très jeune à la recherche de collaborations avec des institutions étrangères. Il y a peut-être des synergies à développer.»
Du côté de Berne
Pour Alexandre Roulin, l’impact auprès des autorités fédérales, soit l’instance qui a invité les chercheurs, compte beaucoup. «Nous leur avons montré que l’UNIL était capable de jouer le jeu. Avec d’autres chercheurs, nous avons été la vitrine des universités suisses à Dubaï.» Pour Patrick Maxime Michel, la présentation de l’impact social direct d’une recherche archéologique menée en Syrie «résonne avec la politique menée par l’Office fédéral de la culture dans le domaine de la préservation du patrimoine. Cette institution soutient d’ailleurs Collart-Palmyre.»
La discussion nourrie qui s’est tenue spontanément entre Alexandre Roulin et Patrick Maxime Michel, lors de la séance de prises de vue organisée pour cet article, met en lumière un autre aspect, celui de l’interdisciplinarité. «Nous ne sommes plus à l’époque d’Érasme, celle des scientifiques touche-à-tout, mais au contraire dans celle de la surspécialisation. Or, je suis certain que nos recherches peuvent être enrichies par des savoirs qui se trouvent dans le bâtiment d’à côté», note le biologiste, qui aimerait voir se développer d’autres projets similaires à l’UNIL. Enfin, à titre personnel, le spécialiste des chouettes estime avoir développé des compétences diplomatiques et de représentation qui sortent clairement du champ académique. «Ce n’est pas quelque chose que je peux acquérir en gardant mon nez sur un microscope toute la journée», sourit-il.
1) À voir : le projet Collart-Palmyre, dans le cadre de l’exposition «Deep Fakes : Art and Its Double», à l’EPFL.