Avec le réchauffement climatique, les épisodes de canicule se succèdent à un rythme soutenu. Mais comment gérer ces fortes températures quand on pratique une activité physique ? Réponse avec Francis Degache.
Quel sportif ou sportive ne s’est pas retrouvé à suer par 35 degrés pour rejoindre une lointaine ligne d’arrivée ? Quel pilote du Paris-Dakar n’a pas cuit dans son cockpit ? La chaleur, c’est le trouble-fête, l’hôte qu’on n’aime pas accueillir à sa table. Le Judas qui trahit nos performances. Pourtant, en raison du changement climatique, les athlètes doivent composer avec. Parfois au détriment de leur santé.
Francis Degache, chargé de cours et collaborateur scientifique externe à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (Unil), s’intéresse au stress thermique depuis longtemps. « En 2003, j’ai travaillé avec un service hospitalier pour entraîner des personnes hémiplégiques. Nous devions les réadapter à la marche. Un des défis était de réaliser le tour du Mont-Blanc avec elles. Dans ce cadre, nous avons été soumis à de fortes températures, alors que ces personnes n’avaient plus de régulation thermique en raison de leur handicap », précise-t-il.
Par 51 degrés
En 2017, Francis Degache a géré une traversée des États-Unis à vélo d’ouest en est sur neuf jours, en relais. Pour un total de 5000 kilomètres et 53’000 mètres de dénivelé positif. « Nous étions confrontés à des contraintes thermiques pour que les huit cyclistes représentant la Suisse réussissent. Il fallait combattre la fatigue, les douleurs, la température, puisque nous traversions des déserts avec 51 degrés, se souvient-il. Ce projet visait à démontrer les bienfaits d’un défi sportif sur la reprise de l’activité physique. L’une des participantes n’avait jamais fait de vélo. On lui a concocté un programme exprès. Et elle a réussi ! »
Signaux d’alarme
Dès 25 degrés, on perd 0,5 à 1% de performance par degré. Comme l’exercice lui-même augmente la température corporelle, chaleurs externe et interne se cumulent, au détriment de l’organisme. « La déshydratation provoque une hémoconcentration, réduisant le volume plasmatique et augmentant la charge cardiaque », détaille le chercheur.
Les premiers signaux d’alerte sont une fréquence cardiaque anormalement élevée et le ressenti face aux conditions météorologiques extrêmes. « On se retrouve comme emprisonné dans un corps bouillant », souligne Francis Degache. Mais ce n’est pas tout : malaise, problèmes cardiaques, allongement du temps de réaction, troubles de la mémoire à court terme, difficultés à faire des doubles tâches sont autant de symptômes. La baisse de performance cognitive est ainsi corrélée à une augmentation de la température centrale au-delà de 38,5-39 degrés. « Je suis un certain nombre de pilotes de rallye, explique le scientifique. Pour le Paris-Dakar, s’il fait 45 degrés à l’extérieur, il fait 65 degrés dans le cockpit et, sur le plancher de la voiture, 70. Le copilote doit pourtant lire la carte, regarder la route et communiquer avec le pilote. Et ce pendant six heures de course. Pour les soulager, des gilets refroidissants sont actuellement testés. Avec plus ou moins de succès. »
La gestion du stress thermique évolue en outre en fonction du sexe et de l’âge. « Avec les différentes périodes du cycle, les femmes sont davantage impactées, notamment au moment de l’ovulation, où un surplus de chaleur de 0,3 à 0,5 degré, lié à la progestérone, est généré par l’organisme. Mais elles sont plus endurantes que les hommes, moins fatigables sur les trails et ultratrails. Des études montrent aussi que l’on résiste moins avec l’âge, en raison d’une régulation thermique moins efficace. »
Impact sur l’indoor
Le sport en extérieur n’est pas le seul touché. Selon une étude du WWF, de nombreuses structures sportives vont disparaître en raison de leur proximité avec la mer ou parce qu’elles ne sont plus adaptées, faute de ventilation ou de climatisation. « Avec le réchauffement climatique, il va être plus compliqué de pratiquer du sport en intérieur. Toutefois, la température peut avoir du bon pour la récupération. Certains athlètes font ainsi du sauna après l’effort pour accélérer la reprise du sport », développe Francis Degache.
À bras-le-corps
Alors, comment supporter la fournaise sans se liquéfier ? L’affronter. « On parle beaucoup d’acclimatation à l’altitude, mais il y a également l’acclimatation au chaud et au froid. Il est donc important de travailler en amont », insiste le collaborateur scientifique.
Avant la compétition, le sportif devrait habituer son organisme, et ce durant une à deux semaines. « De manière passive d’abord, puis en effectuant progressivement l’exercice, en observant ses réactions et en augmentant ensuite la durée de l’effort. Cela peut s’effectuer dans la nature ou dans des chambres spécifiques, où chaleur et taux d’humidité se règlent, ajoute Francis Degache. Avec 35 degrés et 70% d’humidité, on aura un ressenti aux alentours de 42-43 degrés. » Le célèbre coureur espagnol Kilian Jornet l’a d’ailleurs bien compris, lui qui s’entraîne dans une pièce chauffée à 45 degrés sur un tapis de course.
Jour J
En revanche, mieux vaut chercher l’ombre avant de s’élancer. « Le jour même, il faut partir avec le corps le plus frais possible et maintenir cette température le plus longtemps possible, tout en s’hydratant, quitte à ajouter des électrolytes dans sa boisson », commente le chargé de cours.
Mais attention ! Boire trop durant la compétition, ce n’est pas la panacée. L’hydratation ne doit pas être excessive, au risque d’une hyponatrémie (voir encadré). Et si un coup de chaud survient malgré tout ? « Il faut s’arrêter, se mettre à l’ombre, se refroidir progressivement, se reposer et boire », résume-t-il.
Quand s’hydrater devient dangereux
Durant la compétition, certains sportifs et certaines sportives pensent bien faire en buvant beaucoup. Trop. Au point de souffrir d’hyponatrémie, soit un taux de sodium trop bas dans le sang. Le risque augmente en effet, lorsque la prise de liquides dépasse 1,5 fois la perte sudorale et que la boisson est faible en sodium, avec moins de 20 millimoles par litre. Surviennent alors de la fatigue, des maux de tête, de la confusion, des troubles de l’équilibre, voire des vomissements, des crises d’épilepsie et le coma.
Pour gérer sa consommation, pas de recette miracle pour la personne lambda. « Elle devrait réaliser un bilan pour connaître les quantités nécessaires. Nutritionniste et médecin peuvent la conseiller, même s’il vaut mieux consulter des spécialistes de la physiologie de l’exercice », estime Francis Degache.
Récupérer, tout un art
Mais les conséquences de la chaleur ne s’arrêtent pas avec la fin de la compétition. La récupération est plus lente. « Souvent, les gens sont très ambitieux. Ils mettent du temps, de l’énergie et de l’argent pour se préparer, constate Francis Degache. Ils réalisent leur course, puis se sentent tellement en confiance qu’ils veulent recommencer les entraînements deux jours après. Mais il faut être prudent. »
Suivre certains biomarqueurs, comme la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC), aide. « Cela donne une idée de l’équilibre du système nerveux autonome. Plus la VFC est haute, mieux c’est, indique le chercheur. Après la course, cet indice est très bas. Retrouver des valeurs élevées nous donne une idée sur la récupération. De plus, une bonne qualité de sommeil démontre que l’on est plus reposé », constate Francis Degache.
Et le froid dans tout ça ?
Que les amateurs et amatrices de sport soient prévenus, le froid stresse aussi. « Il y a une augmentation de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque et de la contracture musculaire. Avec le réchauffement, une boucle inverse se crée et stimule le système parasympathique, entraînant une diminution de la fréquence cardiaque. Quand vous plongez un corps dans le froid, il va tenter de se réchauffer. Le froid améliore la récupération post-effort, via une vasoconstriction suivie d’une vasodilatation réactive. L’organisme s’adapte plus facilement à performer dans le froid que dans le chaud », relève Francis Degache.
Possible levier
Mais à qui incombe la responsabilité de la santé du sportif et de la sportive en compétition ? Aux seuls athlètes ? Les fédérations et organisations n’ont-elles pas le devoir de les préserver ? « Elles devraient au moins donner des recommandations, déclare le scientifique. Aux Jeux olympiques, il y a une cellule responsable du stress thermique. Mais on ne peut imposer de se préparer à la chaleur. En revanche, on peut faire de la prévention. » Tout en décalant le début des compétitions et en augmentant le nombre de ravitaillements.
Dans le stress thermique, Francis Degache voit toutefois des opportunités. « Il représente un levier à différents niveaux, notamment pour remettre la santé des athlètes au cœur de la réflexion des organisations sportives. De plus, il s’agit d’un levier économique, quand on parle de structures inadaptées, de compétitions aberrantes dans des lieux trop chauds où les stades de foot doivent être climatisés. Ou quand on construit des stations de ski en plein désert. Et c’est un levier sportif pour améliorer les performances. »
Il vibre pour les vibrations
Depuis trois ans, Francis Degache œuvre pour le centre AudioVitality, basé à Lausanne, qui développe des technologies pour la santé et la longévité. « Je travaille sur les effets des vibrations corporelles induites par des sons, des stimulations vibroacoustiques de très basses fréquences. On arrive ainsi à cibler les parties du corps en fonction des fréquences de stimulation. Chaque type de tissu présente une plage de résonance mécanique spécifique liée à sa densité et son élasticité. »
Cette thérapie se compose de trois grands axes : le soulagement des acouphènes, le bien-être (sommeil, relaxation, inflammation) et le sport pour les blessures et la récupération.