Le burn-out : prévenir plutôt que guérir

Quels sont les secteurs d’activité les plus touchés par le burn-out et que pourraient faire les entreprises en termes de prévention ?

Quels sont les secteurs d’activité les plus touchés par le burn-out et que pourraient faire les entreprises en termes de prévention ? Irina Guseva Canu et Isabelle Bès ont publié une étude sur le sujet et proposent un état des lieux de la situation en Suisse.

Il va sans dire que si on le dépistait, le burn-out engendrerait un sacré remue-ménage au sein du système de santé suisse. Il n’y aurait en effet pas suffisamment de ressources pour répondre à la demande générée. Ne vaut-il pas mieux, donc, se saisir du problème en amont ? Partant de ce constat, Irina Guseva Canu, professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine, et Isabelle Bès, étudiante en Master de psychologie, se sont penchées sur la prévention primaire du burn-out. Leur étude, réalisée au Centre universitaire de médecine générale et santé publique (Unisanté), s’est donné pour mission de faire un état des lieux de la situation en Suisse. Publié en juin, le dernier volet de ce travail, financé par la Commission de promotion de la santé et de lutte contre les addictions (CPSLA), a permis d’identifier non seulement les secteurs professionnels les plus touchés par l’épuisement émotionnel et le stress au travail (deux facteurs qui, combinés, constituent un risque accru de burn-out) mais aussi le type d’intervention le plus efficace au niveau des entreprises pour prévenir le développement de ce « syndrome du XXIe siècle ».

D’après les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS) reprises et analysées dans le rapport, la classe d’âge la plus touchée par l’épuisement émotionnel est celle des 25-44 ans, avec un taux de 21,8%. Pour nos spécialistes, ce phénomène pourrait s’expliquer, au moins en partie, par ce qu’elles appellent « la crise vocationnelle ». « 25-30 ans, c’est l’âge où l’idéal que l’on s’était fait d’une profession est confronté à la réalité du terrain. Ce qui amène souvent un certain lot de désillusions, explique Isabelle Bès. C’est encore plus difficile lorsqu’on choisit un métier par vocation, car les attentes sont plus élevées. » « C’est vrai que certains métiers nous semblent souvent très emblématiques, renchérit Irina Guseva Canu. Notamment à cause de l’image que nous en donnent les films. »

Agir sur qui et comment ?

Le rapport propose un état des lieux des secteurs d’activité les plus touchés par l’épuisement émotionnel et le stress au travail. En tête de liste, celui des « banques et assurances », avec 22,9% des travailleurs de cette branche concernés. Surprise par ce résultat, Isabelle Bès commente : « On pourrait penser que la santé ou l’enseignement arriveraient en pole position, dans la mesure où de nombreuses études mettent en évidence l’épuisement au sein de ces professions, mais non. » Un constat qui, selon elle, interroge donc la représentativité de ces études, généralement issues des secteurs concernés. Le secteur « santé, social, médico-social » arrive toutefois en seconde position avec 22,4% des professionnels de la branche touchés par l’épuisement émotionnel et le stress au travail, suivi des secteurs « agences de sécurité et autres activités de soutien aux entreprises » (22,3%), « transport, entreposage, poste » (22,1%) et « hébergement et restauration » (20,8%). Irina Guseva Canu est quant à elle satisfaite de voir les activités de transport figurer dans ces résultats. « On sait que les professionnels de ce secteur font partie des travailleurs essentiels et que, par ailleurs, en Suisse ils sont plus à risque de suicide que d’autres professions. Ce classement confirme donc qu’il est temps d’agir. »

Agir oui, mais comment ? Nos spécialistes de la question considèrent que, de manière générale, les interventions organisationnelles dites participatives sont les plus efficaces. Il s’agit d’impliquer activement les employés dans les changements de l’entreprise afin de leur montrer qu’ils sont écoutés et que leurs expériences sont prises en compte. Le rapport mentionne notamment l’exemple d’employés d’un centre commercial ayant été interrogés afin d’identifier les incidents générateurs de tension sur une période de trois semaines. Irina Guseva Canu indique qu’en Suisse les plus gros facteurs de stress au travail sont la pression du temps, les clients difficiles et les horaires de travail longs et irréguliers. « C’est là-dessus que l’action peut porter en priorité », précise-t-elle. Dans un pays où le client est roi et possède généralement de nombreuses exigences, les employés peuvent parfois se sentir démunis. « L’entreprise devrait équiper ses employés pour savoir comment gérer les difficultés rencontrées face aux clients », considère Isabelle Bès.

« On évolue désormais dans une société de services qui ne doit jamais s’arrêter. »

Irina Guseva Canu, professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine

Le mieux reste cependant de combiner au sein d’une intervention participative des mesures individuelles et organisationnelles, telles que la réduction de la charge de travail, la révision des plannings et horaires généraux, tout en agissant aussi sur l’employé en tant que personne et non en tant que maillon de l’entreprise. « Certaines proposent à leurs collaborateurs de suivre des séances de méditation, de yoga ou encore de recevoir des massages », détaillent les spécialistes.

Un monde à 100 à l’heure

Selon les résultats 2022 du Job Stress Index de Promotion Santé Suisse, « la part de personnes actives se sentant émotionnellement épuisées dépasse pour la première fois depuis 2014 la barre des 30%, avec un taux de 30,3%. » Pour nos spécialistes, pas de doute, le Covid y est pour quelque chose, de même que les changements qui ébranlent le monde du travail depuis quelques années. « On évolue désormais dans une société de services qui ne doit jamais s’arrêter, explique Irina Guseva Canu. Aux États-Unis par exemple, certains commerces restent ouverts sept jours sur sept 24h/24. Le dimanche n’est même plus considéré comme un jour de pause. » Les nouvelles technologies ont également leur part de responsabilité dans cette augmentation. « Désormais on doit savoir tout utiliser, quel que soit notre métier, et devenir de véritables ingénieurs en informatique, ce qui génère forcément une plus grande charge mentale, considère la professeure. Aujourd’hui, les employés sont davantage connectés et peuvent être joignables constamment. » Pour les deux spécialistes du travail, aucun doute : « Nous ne sommes pas devenus plus fragiles, mais ces changements péjorent gravement les conditions de travail et de vie plus généralement. »

Un terme fourre-tout

Aujourd’hui, le terme « burn-out » est souvent utilisé à tort pour désigner un état de fatigue nerveuse ou de ras-le-bol. « C’est devenu un mot fourre-tout, qui labellise une sorte de stress ou de dépression héroïque survenue en raison du travail », estime Irina Guseva Canu. Pourtant les spécialistes sont claires : même si d’autres facteurs, personnels ou familiaux, peuvent aussi intervenir dans son développement, par définition le burn-out reste un phénomène d’origine professionnelle. « Il intervient lorsque la personne prête ses services moyennant salaire, précise Isabelle Bès. Souvent on parle du burn-out d’étudiant, poursuit-elle. Mais ce n’est pas le terme adéquat. La personne trouve forcément un sens à ses études puisqu’elle les a choisies, or la perte de sens est un facteur clé dans la survenue du burn-out. » La spécialiste ne banalise cependant pas l’épuisement émotionnel auquel peuvent se retrouver confrontés les étudiants, mais « on ne peut simplement pas parler de burn-out ».