Le Graduate Campus publie la première enquête annuelle sur le devenir professionnel des titulaires de doctorat de l’UNIL. Entretien avec Verity Elston, codirectrice, et Martine Schaer, adjointe et responsable du sondage.
Après le doctorat, que deviennent les diplômées et diplômés ? La question est posée par le Graduate Campus, qui a publié le 21 novembre la première enquête annuelle sur le devenir professionnel des docteur·e s UNIL trois ans après la thèse. Le principe ? Brosser année après année le portrait d’une volée de graduées et gradués trois ans après l’obtention du titre, sous l’angle de leur situation professionnelle, de la pertinence du doctorat dans leur activité et de leur satisfaction. Réalisé via un questionnaire en ligne avec le soutien de FORS, ce premier sondage s’intéresse aux personnes ayant soutenu leur doctorat à l’UNIL en 2018. Sur les 290 individus concernés, 103 ont accepté de participer.
Que révèlent ces premiers résultats ? et quel est le but de cette initiative, dans un contexte où les conditions de travail et le manque de débouchés dans la voie académique sont régulièrement pointés du doigt ? Les explications de Verity Elston, codirectrice du Graduate Campus, et Martine Schaer, adjointe et responsable de l’enquête.
Verity Elston, Martine Schaer, le Graduate Campus vient de publier la première enquête annuelle sur le devenir des titulaires de doctorat de l’UNIL. Quel est l’objectif de cette démarche ?
Martine Schaer : Notre intention est de comprendre les rôles et les milieux professionnels dans lesquels ces diplômés et diplômées se trouvent. Aujourd’hui, de nombreux scientifiques quittent le monde académique après le doctorat. Or, comme le montre le Conseil suisse de la science dans son dernier rapport, les données sur leurs trajectoires manquent. La dimension annuelle de cette enquête nous permet de monitorer et d’analyser la situation sur le long terme.
Verity Elston : Ce sondage recueille également des retours qualitatifs que nous allons approfondir par des entretiens. Il aidera l’UNIL à évaluer la qualité de la formation doctorale pour l’ajuster aux besoins. Cela nous donne aussi l’opportunité d’informer et sensibiliser sur la variété d’options de carrières que peut offrir le doctorat, même hors de l’université.
Effectivement, votre enquête montre que 40% des répondantes et répondants actifs professionnellement ne poursuivent pas de carrière académique. Comment interprétez-vous cela ?
V.E. : De nombreuses raisons provoquent des changements d’orientation. Dans certaines disciplines comme le droit, le doctorat est très valorisé dans le monde du travail. Parfois, des personnes quittent le cadre académique dans l’envie de découvrir de nouveaux horizons professionnels ou pour avoir un impact plus direct sur la société. Beaucoup s’en détournent par manque de débouchés, en raison de conditions d’emploi précaires ou de sa culture compétitive. Le fait, par exemple, de devoir accepter plusieurs postes à durée déterminée, y compris à l’étranger, peut être très mal vécu.
Les diplômées et diplômés en sciences sociales et politiques tendent à être moins satisfaits que les autres de leur situation actuelle selon vos chiffres…
M.S. : Ce résultat fait écho à des tendances montrées dans d’autres études, comme l’enquête européenne VITAE ou notre sondage 2007-2017 publié en 2019. Ce sont les mêmes qui, au moment de la soutenance, s’imaginaient le moins dans leur poste actuel. Ce qui suggère une hypothèse intéressante : la capacité de se projeter dans son prochain emploi peut contribuer à notre satisfaction une fois engagé.
Près de la moitié de l’échantillon concerne la Faculté de biologie et de médecine. Le nombre de personnes représentant les autres facultés est très faible (parfois moins de 10). Quelle est au fond la pertinence de ces résultats ?
M.S. : Nous avons ici plutôt mis en avant certaines tendances. Nous verrons si elles se confirment. Il faut effectivement les appréhender avec une certaine prudence et voir cette enquête comme une première pierre à un édifice qui va encore être solidifié. Ce sondage sera renouvelé chaque année afin d’agréger par la suite les données issues d’un échantillon élargi.
Dans l’ensemble, 92% des personnes sondées exercent une activité rémunérée trois ans après la thèse. Toutefois plus du tiers d’entre elles ont connu une période de chômage entre-temps…
V.E. : Malheureusement, cela s’observe aussi dans d’autres études. Durant la thèse, on est souvent immergé dans son sujet de recherche et les tâches liées à l’assistanat. Il peut être difficile de se projeter au-delà de la soutenance. C’est sur ce manque de préparation que nous devons travailler.
Qu’allez-vous faire ?
V.E. : Des réflexions sont en cours. Nous souhaitons collaborer avec les facultés pour encourager les doctorants et doctorantes à se préparer dès la première année à ce qui viendra après. Mais aussi aider les directeurs ou directrices de thèse à veiller sur ce genre de questions et sensibiliser les employeurs à la valeur du doctorat. En 2023, nous allons développer nos activités sur plusieurs axes, en soutien aux jeunes scientifiques et à leur hiérarchie.
On dit souvent que les diplômées et diplômés sont surqualifiés… Quel est l’intérêt d’avoir un doctorat dans le monde professionnel ?
M.S. : Il faut déconstruire cette idée. Ces individus sont porteurs d’un tas de compétences très recherchées par les employeurs. Comme les connaissances théoriques et techniques, en particulier dans le privé ou l’administration publique. Ces dernières sont mobilisées dans près de 50% des cas dans la profession actuelle des personnes qui ont répondu à notre enquête. Les compétences transversales sont aussi très demandées, comme les compétences analytiques, la capacité de synthèse, la gestion de projet, qui sont typiquement développées durant la thèse. Le doctorat est une expérience professionnelle tout à fait qualifiante. L’enjeu est de savoir la traduire dans le langage de l’employeur.
Quand aura lieu l’enquête suivante (2019+3) ?
V.E. : Elle est déjà lancée !
Témoignage: De l’anthropologie au travail social
Diplômée d’un doctorat en science sociales, Romina Seminario Luna travaille depuis plus de trois ans comme coordinatrice chez AVIVO Vaud, association de défense et de détente des personnes à la retraite. Sa mission ? Organiser des actions sociales à l’aide d’une centaine de bénévoles, profitant à quelque 6000 bénéficiaires. « Le quotidien d’une assistante sociale est très différent de celui d’une scientifique, et parfois éprouvant. Mais cela me convient bien », commente cette sociologue spécialisée en migration, études de genre et parcours de vie.
Née au Pérou en 1984 et formée en anthropologie à Lima, la jeune chercheuse effectue d’abord des terrains en Amazonie avant de quitter son pays natal pour commencer une thèse à l’UNIL en 2013. À mi-chemin, elle décide d’arrêter sa carrière académique une fois le titre obtenu. « Je voulais faire de la recherche. Mais je n’avais pas la force de m’expatrier à nouveau, pour espérer obtenir un jour un poste fixe dans un domaine aussi compétitif… À 33 ans, j’avais juste envie d’une vie stable. »
L’appel du terrain
Attirée par le travail social, elle profite, à côté de ses recherches, des deux dernières années de son doctorat pour dessiner son avenir dans cette nouvelle voie. « J’aimais le terrain. J’avais déjà travaillé avec des populations vulnérables comme bénévole. Je pensais que je trouverais des débouchés intéressants. » Deux formations continues plus tard pour acquérir des connaissances pratiques en assurances sociales, et un titre de docteure en poche, elle se met en quête d’un emploi.
« J’ai répondu à énormément d’annonces pour lesquelles j’étais largement surqualifiée… Quand j’ai ciblé des postes à responsabilités, j’ai obtenu des entretiens. »
C’est finalement une modification de son CV qui lui ouvre la porte de son emploi actuel. « J’ai présenté ma thèse comme une expérience de gestion de projets. Aux yeux du comité de direction, cela me donnait la légitimité de gérer une équipe. » Au quotidien, son regard de scientifique lui offre une perspective globale des phénomènes sociaux rencontrés sur le terrain. « Un vrai atout ! » conclut-elle.
Des ressources à disposition !
Pour soutenir les scientifiques dans leur développement professionnel, le Graduate Campus propose, en complément au programme transversal de la CUSO, de nombreux ateliers et rencontres, ainsi que du coaching et des suivis individuels. Son guide carrière intitulé « Au-delà du doctorat » sera révisé et traduit en anglais dès janvier. D’autres offres existent à l’UNIL, comme « Skill for Scientists » de la Faculté de biologie et de médecine ou « Prowd » (pour les femmes) du Bureau de l’égalité.
Pour aller plus loin…
- La page dédiée à l’enquête sur le site du Graduate Campus
- Le guide carrière « Au-delà du doctorat »