En prévision de l’arrivée prochaine de la RTS sur le campus de Dorigny, l’UNIL a créé un nouveau poste de professeure en études télévisuelles. Rencontre avec Anne-Katrin Weber, spécialiste de cette discipline émergente.
La Faculté des lettres a ouvert un poste de professeure assistante en prétitularisation conditionnelle en études télévisuelles. Ce dernier ainsi que le pôle de recherche qui l’accompagne ont été confiés, depuis la rentrée du semestre de printemps 2024, à Anne-Katrin Weber, titulaire d’une bourse PRIMA accordée par le Fonds national suisse (FNS). Établi notamment dans le but de créer des synergies avec la RTS, attendue sur le campus de Dorigny en 2025, ce poste traduit aussi la volonté de la faculté de « renforcer le pôle d’excellence dans le domaine de l’audiovisuel », se réjouit la nouvelle professeure.
« L’histoire de la télévision en Suisse, c’est aussi celle du service public. »
Anne-Katrin Weber, professeure en études télévisuelles
Anne-Katrin Weber dispensera ainsi des cours-séminaires de niveau bachelor et master au sein de la section d’histoire et esthétique du cinéma, mais sera également à la tête d’un laboratoire de cinq personnes, au sein duquel la recherche s’articulera principalement autour de deux pans. L’histoire de la télévision en Suisse, avec un focus sur la RTS et ses archives, « car l’histoire de la télévision en Suisse, c’est évidemment celle du service public », souligne la chercheuse. Mais pas seulement. Spécialiste du champ d’études sur la télévision « utilitaire », qu’elle contribue à façonner à travers ses travaux récents, Anne-Katrin Weber s’intéresse également à l’histoire de la télévision comprise dans un sens plus large, soit au-delà de sa réception dans l’espace domestique et de son appréhension comme un média de masse uniquement. « Il y a de nombreuses utilisations auxquelles on ne pense pas lorsqu’on envisage l’objet télévisuel. Dès les années 1950, la télévision se met au service d’institutions très diverses où elle remplit des fonctions de surveillance, d’instruction, d’automation et bien d’autres encore. Avec mon équipe, nous nous penchons sur l’histoire longue de cette télévision utilitaire afin de comprendre comment elle a façonné nos milieux professionnels, mais également des pratiques sécuritaires ou scientifiques. »
Un champ de recherche à conquérir
Ce poste professoral est véritablement « unique en son genre en Suisse », se réjouit Léonard Burnand, doyen de la Faculté des lettres. La télévision, en effet, n’a pas encore rejoint le rang de discipline académique, en Suisse. À l’international, le champ des études télévisuelles s’est imposé dès les années 1970, dans le sillage des Cultural Studies notamment. S’il s’agit toutefois d’un objet d’étude peu convoité, en comparaison à d’autres, c’est parce que « la télévision n’a jamais été considérée comme un objet culturel noble, explique la professeure. Elle a eu, et continue d’avoir, mauvaise réputation. » Le cinéma, à l’inverse, « a connu un phénomène d’artification, ce qui lui a permis de s’imposer au sein du paysage académique. »
« La télévision est un média qui a couvert la seconde moitié du XXe siècle. Il a ainsi produit énormément d’archives intéressantes à mobiliser. »
Anne-Katrin Weber, professeure en études télévisuelles
La chercheuse se réjouit donc de l’opportunité de contribuer au développement de ce champ d’étude en lui donnant une identité propre. Outre les enjeux académiques, ce poste est principalement né de la volonté de créer un contact plus formel entre la RTS et l’UNIL. Anne-Katrin Weber détaille : « Je vois cette composante de mon cahier des charges comme la possibilité d’œuvrer au service de la communauté UNIL. Loin de détenir le monopole de la collaboration avec la RTS, je souhaite construire un pont entre les deux institutions. » Développer des projets communs, visibiliser les travaux qui sont faits à l’UNIL, et surtout aiguiller les chercheuses et chercheurs, toutes facultés confondues, qui souhaiteraient travailler avec les archives de la RTS. « La télévision est un média qui a couvert la seconde moitié du XXe siècle. Il a ainsi produit énormément d’archives intéressantes à mobiliser. Mais ce n’est pas une démarche intuitive de s’y plonger lorsqu’on n’a jamais utilisé ce type de matériel. Il faut se familiariser avec une certaine méthode de recherche », reconnaît l’historienne. Elle se réjouit donc de pouvoir soutenir les personnes intéressées « à explorer la richesse de ces fonds ».
En 2024, la télévision a-t-elle toujours sa place ?
« La télévision est morte », « c’est la fin de la télévision », « elle est devenue obsolète ». Ces discours sont monnaie courante dans le débat public. Mais Anne-Katrin Weber n’y adhère pas. « L’audiovisuel tel que je le conçois est absolument central dans notre vie quotidienne, estime la chercheuse. De Facetime à Zoom, en passant par la vidéosurveillance ou encore les drones, ses utilisations sont multiples. » Quant au service public, référent principal lorsqu’on évoque la télévision, la chercheuse juge nécessaire qu’il demeure fort dans une démocratie : « C’est un service à la population central, d’autant plus dans un pays plurilingue comme la Suisse. »
Si aujourd’hui on consomme la télévision autrement, l’historienne ne s’en étonne pas, car depuis toujours ses formes varient. « On pense souvent au petit poste dans le salon, mais quand on regarde de plus près, l’objet télévisuel a connu de nombreuses transformations. Tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, les récepteurs TV se sont multipliés dans, puis hors de l’espace domestique. Les structures institutionnelles ont été modifiées, en particulier par la libéralisation du marché audiovisuel dans les années 1980, et se sont encore diversifiées avec le numérique. Concernant les contenus télévisuels, le succès des séries TV confirme la portée économique et culturelle du médium. » Pour Anne-Katrin Weber, l’objet télévisuel a ainsi toujours été pluriforme.
Pour aller plus loin
- Plongez-vous au cœur des archives accessibles de la RTS.
- Découvrez dans l’uniscope, le récit d’un projet scientifique ayant mobilisé les archives du service public.
- Visionnez l’interview d’Anne-Katrin Weber au sujet de son ouvrage Television before TV. New Media and Exhibition Culture in Europe and the USA, 1928-1939 ou consultez-le directement en libre accès.