Hommes et femmes sont-ils égaux lorsqu’il est question de s’oxygéner durant les exercices physiques ? Spoiler alert, pas du tout. Une étude récemment menée par l’Institut des sciences du sport de l’UNIL a permis de creuser les différences qui existent entre les deux sexes en fonction du niveau de forme physique en termes de limitations pulmonaires.
On le sait, la morphologie du système pulmonaire diffère entre l’homme et la femme. La forme de la cage thoracique déjà, ainsi que la taille des voies aériennes, plus petites chez ces dames. Mais en termes de fonctionnement, sait-on ce que ces différences anatomiques impliquent ? C’est la question que se sont posée Grégoire Millet, professeur associé à l’Institut des sciences du sport de l’UNIL (Issul), et Antoine Raberin, premier assistant, avec leur équipe, dans une étude publiée en mars dernier au sein de la revue américaine Medicine & Science in Sports & Exercise. Ils en tirent un constat fort, qui ajoute davantage « d’eau au moulin » pour appuyer le fait que, dans les sciences du sport, il est fondamental « de ne pas considérer que ce qui est vrai chez l’homme l’est aussi chez la femme ».
« Il y a différents facteurs impliqués dans le bon fonctionnement de la fonction pulmonaire et qui déterminent, au moins en partie, la performance sportive, expliquent les deux spécialistes. Notre étude s’est concentrée sur deux grands mécanismes liés à la diffusion de l’oxygène dans le corps, soit l’hypoxémie induite à l’exercice et les limites expiratoires. » Et à l’épreuve de plusieurs hypothèses, certaines des conclusions de la recherche se sont révélées surprenantes.
Résultats à la loupe
Si les femmes possèdent des voies aériennes plus petites, la limitation de leur débit expiratoire n’est, contre toute attente, visiblement pas plus importante que celle de la gent masculine. Au contraire, elle l’est même moins. « C’est complètement novateur, précise Antoine Raberin. Car on postulait clairement le contraire au départ. » Donc, en moyenne, « les femmes ne présentent pas plus de limites mécaniques à la ventilation, poursuit le spécialiste, ce qui témoigne d’une bonne harmonie fonctionnelle entre capacité et demande ventilatoire à l’effort. » D’autres travaux ont cependant montré que des voies aériennes plus petites augmentaient les résistances à l’écoulement de l’air. Ce qui, dès lors, induit une fatigue accrue du diaphragme chez ces dames en altitude.
« La respiration compte pour 15% de notre dépense énergétique totale. Donc, en rendant la respiration plus efficace, on augmente la performance. »
Grégoire Millet, professeur associé à l’Institut des sciences du sport de l’UNIL
La recherche menée par le groupe de l’Issul a aussi permis de fournir de précieuses données sur l’hypoxémie. Un phénomène qui se manifeste par la diminution de l’oxygène dans le sang durant l’exercice et qui peut conduire à des troubles du rythme cardiaque, voire dans les cas plus graves à un coma ou un décès. Chez les hommes le sujet a largement été étudié. On sait que l’effet de l’entraînement en endurance accroît grandement le risque de développer de l’hypoxémie. Car « c’est une forme d’hyperadaptation à l’entraînement dans laquelle le système cardiovasculaire devient trop fort par rapport au système respiratoire, précise Antoine Raberin. En effet, à moins de s’y attarder de façon très spécifique, le système pulmonaire n’est pratiquement pas entraînable. » Pour les hommes non spécifiquement entraînés en endurance, on sait qu’en revanche le risque de développer de l’hypoxémie est nul. Mais alors qu’en est-il de la gent féminine ? Zone grise de la recherche, on a longtemps pensé que la logique devait être la même chez les femmes.
Grandes oubliées des sciences biomédicales
« C’est la première fois qu’on teste des femmes hypoxémiques en altitude », précise Antoine Raberin. En effet « les sciences biomédicales ont longtemps mis la femme de côté, estimant qu’il était trop compliqué de l’étudier à cause des variations de son cycle hormonal », complète Grégoire Millet. En 2022, seulement 35% des études en sciences du sport incluaient des femmes.
Grossière erreur. Qu’elles soient entraînées en endurance ou non, l’étude a permis de montrer que la prévalence de l’hypoxémie induite à l’exercice est en fait beaucoup plus importante chez les femmes que chez leurs homonymes masculins. Un constat peu réjouissant point de vue santé donc, puisque cela signifie que les femmes sont ainsi davantage sujettes à développer ce phénomène. En termes de performances toutefois, cela implique que, sur ce point-là, les femmes ont un avantage en altitude. Les spécialistes expliquent : « Plus un homme sera hypoxémique au niveau de la mer, plus sa performance sera diminuée lorsqu’il se rendra en altitude. Or chez la femme, cette relation n’existe pas. » À Grégoire Millet de développer : « On pense souvent que les sportifs hommes très entraînés en endurance, qui vont en altitude, souffriront moins de l’altitude. Mais non. Les sujets très entraînés, parce qu’ils sont hypoxémiques justement, dégraderont davantage leurs performances en altitude. Certes ils resteront très forts, mais en montagne l’écart entre eux et Monsieur Tout-le-monde sera plus petit. » Un phénomène auquel les femmes, donc, échappent.
Constat sans appel
Si les conséquences de l’hypoxémie ne sont ainsi pas les mêmes en altitude entre les deux sexes biologiques, et surtout qu’elles diffèrent à ce point de ce qu’on a longtemps supposé, pour les deux chercheurs de l’Issul, le constat est sans appel : il est urgent que la recherche en sciences biomédicales se penche davantage sur les femmes et les étudie indépendamment des hommes.
Dans l’étude, les auteurs rappellent aussi que le système pulmonaire n’est généralement pas considéré comme un facteur limitant la performance d’endurance chez les individus sains, car sa capacité dépasse la capacité ventilatoire requise pour correspondre à la demande musculaire en oxygène. Ce postulat est cependant remis en question par l’altitude, ce qu’il ne faut pas sous-estimer. Ces limites doivent ainsi être connues et prises en compte par les entraîneurs des sportifs de haute montagne. « La respiration compte pour 15% de notre dépense énergétique totale, rappelle Grégoire Millet. Donc, en rendant la respiration plus efficace, on augmente la performance. »