Docteure en sciences de la vie et vulgarisatrice scientifique à L’éprouvette, Liliane Broye Gonzalez s’engage pour soutenir la relève académique au Venezuela, son pays natal. Rencontre.
« Êtes-vous familière avec l’ADN et la translocation chromosomique ? » lance illico Liliane Broye Gonzalez, docteure en sciences de la vie diplômée de l’UNIL, lorsque nous lui demandons de nous expliquer en quoi consistent ses recherches. Elle note notre air perplexe et schématise ce qu’il se passe dans les cellules de personnes atteintes de desmoplastic small round cell tumors. Un cancer rare, dangereux et pour l’instant incurable, qui se développe dans la cavité pelvienne et touche surtout les jeunes garçons. « Nous avons ciblé un gène puis testé l’efficacité de médicaments déjà existants sur des souris. Certaines tumeurs ont diminué et parfois même disparu. Nous espérons pouvoir bientôt publier nos résultats », détaille la chercheuse, qui a travaillé plusieurs années sur ce sujet comme doctorante affiliée à la Faculté de biologie et de médecine (FBM), sous l’égide du professeur Nicolò Riggi et son équipe du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Un groupe spécialisé dans l’épigénétique des cancers pédiatriques, auprès duquel elle a poursuivi ses activités en tant que postdoctorante.
Nous la rencontrons ce jour-là sur le campus de Dorigny, à deux pas des locaux de L’éprouvette (le Laboratoire Sciences et Société de l’UNIL). Ici, celle qui est aussi vulgarisatrice scientifique coanime depuis sept ans des ateliers de découverte de la génétique destinés à différents types d’âge. « Les enfants posent souvent des questions très pertinentes. Ce n’est pas toujours évident de répondre simplement, mais à force on s’améliore », commente cette Vénézuélienne, l’œil pétillant.
Élevée au sein d’une fratrie de trois par des parents ingénieurs et passionnés de musique, cette scientifique émigre en Suisse à l’âge de dix ans avec sa famille, qui peine à joindre les deux bouts dans ce pays d’Amérique latine. Flûtiste, elle conserve un lien fort avec ses racines et s’attache depuis plusieurs années à faire connaître sa culture d’origine à travers Tinaja : un groupe de musique formé par elle et ses proches – tous musiciens – qui fait vibrer son public sur des morceaux populaires et traditionnels réinterprétés.
Une cargaison inhabituelle
Fin décembre 2022, son laboratoire ferme en raison du départ de son directeur pour les États-Unis. Lors du déménagement, la chercheuse (qui a dispensé durant quatre ans des travaux pratiques de biologie à l’UNIL) se rend compte qu’une partie du matériel usé ou périmé qui s’y trouve, destiné à un avenir incertain car devenu inexploitable pour la recherche de pointe, pourrait encore servir pour l’enseignement.
Sensible à la problématique du manque de moyens pour la formation de la relève académique dans son pays natal, elle demande alors la permission de récupérer et d’envoyer ces équipements dans une université au Venezuela. Mais pas n’importe laquelle : l’Université de Carabobo, à l’ouest de Caracas, où se sont rencontrés ses parents pendant leurs études. Une façon pour la trentenaire de « redonner à ceux qui lui ont donné, même indirectement ».
Elle ajoute : « Dans cet État d’Amérique du Sud, la crise politique et économique qui sévit depuis des années a des répercussions sur toute la population et notamment sur la formation. Ce don permettra à l’Université de Carabobo, où tout manque, de dispenser des travaux pratiques à plusieurs volées de médecins et d’ingénieurs ou ingénieures en sciences de la vie », précise cette ex-présidente de l’Association des doctorants et assistants en sciences de la FBM, qui s’est rendue sur place en octobre 2022.
Des idées plein la tête
Après quelques pérégrinations, la chercheuse obtient finalement les accords de l’UNIL et du CHUV pour récupérer une partie de ce matériel de laboratoire et mener à bien son projet. « Nous avons pu remplir 18 cartons, c’est génial ! » Une bonne sœur catholique rencontrée via bouche-à-oreille l’aide à trouver une place dans un conteneur dédié au transport de dons humanitaires pour ses colis remplis de pipettes, de gels, de cylindres et autres kits d’extraction ARN. Un crowdfunding est lancé pour couvrir les frais d’envoi.
Des projets d’avenir ? Elle en a plein! Postuler à l’Université de Stanford lorsque son article sur les cancers pédiatriques sera publié, travailler au consulat scientifique de Swissnex à San Francisco, ou encore poursuivre ses recherches en collaboration avec une pharma. « Tout reste ouvert pour l’instant », dit-elle confiante. Jamais à court « d’idées loufoques », la scientifique n’a d’ailleurs pas hésité à tenter sa chance en répondant il y a deux ans à un appel à candidatures de l’Agence spatiale européenne pour devenir astronaute. « Ils ont reçu 23 000 dossiers. J’ai réussi à passer la première étape de sélection, c’est déjà pas mal ! », souligne-t-elle avec fierté. Et d’ajouter: « Certaines expériences en sciences de la vie sont faites en apesanteur, j’aurais beaucoup aimé y contribuer ! »