Il y a un an, l’agent conversationnel ChatGPT était mis à disposition du public, amenant le monde entier à repenser son rapport à l’information. Aujourd’hui, comment une université, lieu de partage et de construction de connaissances, est-elle transformée par ces changements rapides ?
« Dans quelques années, une matière qui sera essentielle à l’école sera peut-être l’art de poser des questions à des machines. » Telle était la réflexion du sociologue Olivier Glassey parue il y a exactement un an dans un article de l’uniscope intitulé « ChatGPT : à quoi ressemblera l’enseignement dans dix ans ? ». Cette prédiction était la bonne : depuis l’automne dernier, plusieurs cours sont apparus dans les programmes universitaires. Yash Raj Shrestha, professeur au Département des systèmes d’information de la Faculté des hautes études commerciales et chef du groupe de l’Applied AI Lab, enseigne notamment l’ingénierie du prompt aux niveaux bachelor et master à l’UNIL. Cette nouvelle discipline consiste à trouver les bonnes instructions à donner à une intelligence artificielle basée sur le langage telle que ChatGPT afin d’aboutir au résultat souhaité.
Un an de développements
Ces nouveaux cours ne sont qu’une adaptation parmi de nombreuses autres mises en place depuis l’arrivée publique de ChatGPT en novembre 2022. En un an, bien des événements et débats ont eu lieu. Il y a eu des régulations politiques différentes en fonction des lieux et des moments (on se souvient notamment du bannissement total de l’IA en Italie pendant le mois d’avril), la sortie de la quatrième version, bien plus puissante que la précédente, l’intégration de l’agent conversationnel dans le moteur de recherche Bing, la connexion directe avec Internet ou encore la fusion avec le générateur d’images Dall·e. Petit à petit, la technologie s’est immiscée dans les vies, de la maison au lieu de travail.
Rester critique, trier l’information et s’adapter : le trio gagnant
Ce sont ces montées en puissance et en présence dans nos vies de l’IA qui ont poussé Yash Shrestha à l’intégrer dans ses enseignements : « ChatGPT est bien là, et les entreprises n’hésitent pas à s’en servir. Autant préparer les étudiants et étudiantes à les utiliser quand ils entreront dans la vie active. » Dans ses cours, il apprend à rester critique face aux réponses générées par l’agent conversationnel : « Les étudiants doivent être responsables de toute erreur créée par ChatGPT. » Autre compétence capitale, l’adaptation :
« La technologie évolue chaque jour et ils doivent être capables d’apprendre rapidement, même après leurs études. »
Prof. Yash Shrestha
Pour Jean-François Van de Poël, adjoint digital learning à la direction du Centre de soutien à l’enseignement, l’université n’est plus uniquement un lieu de transmission du savoir : « Ce n’est plus le cas depuis 30 ans, car les sources de disponibilité des informations se sont fortement démocratisées. On est passé de la télévision au GPS : l’enseignant·e est passé·e du partage et de la transmission directs à une guidance et des conseils de navigation dans le monde de la connaissance. »
Liberté académique
Chaque enseignant et chaque enseignante est libre de choisir la manière d’intégrer, ou non, les IA génératives à ses cours, autant pour l’enseignement que pour l’évaluation. Les disciplines et exigences sont bien trop variées pour qu’une seule règle soit imposée. L’Université de Lausanne a rédigé une FAQ sur l’intelligence artificielle divisée en trois domaines (l’enseignement, la recherche et les études) afin de répondre aux questions de la communauté, telles que : « Puis-je utiliser ChatGPT ou d’autres outils d’IA à l’UNIL ? » ou « Peut-il être demandé aux étudiant·e·s d’utiliser ChatGPT ? »
Et la recherche ?
Mais une université n’est pas uniquement un lieu d’enseignement. Elle est aussi un lieu de recherche. Dans un milieu compétitif, la venue de ChatGPT fait aussi sa révolution. Il peut contribuer à la rédaction d’articles, à l’écriture du code qui effectuera les analyses ou encore au processus d’évaluation. « Il est déjà utilisé dans certaines parties, comme pour faire une première vérification du fonctionnement des codes en informatique », rebondit le chercheur en IA.
On pourrait penser que ChatGPT ou d’autres intelligences artificielles actuelles ou futures ne serviraient qu’à compléter des tâches mécaniques et répétitives. Pourtant, comme le précise le professeur, « les IA sont aussi très bonnes pour créer de nouvelles choses ». Trouver de nouvelles idées, de nouvelles pistes de réflexion, ces technologies pourraient aussi repenser la recherche. Mais quelles conséquences sur le savoir construit ? C’est encore trop tôt pour le dire.
Des entreprises, de l’argent et de l’influence
S’il est intéressant pour une université de repenser sa place dans l’enseignement et dans la recherche face à l’arrivée de ces intelligences artificielles, les dynamiques de pouvoir qui tournent autour de celles-ci ont aussi leur importance. Il y a un an, l’uniscope soulevait déjà la thématique de la gestion financière d’une telle technologie, alors en libre accès et gratuite : « On ne sait pas encore comment vont se stabiliser les modèles économiques autour de ces logiciels ainsi que ceux qui s’en empareront », expliquait Olivier Glassey. Un an plus tard, la version la plus performante du modèle de langage est payante, l’entreprise mère OpenAI a une collaboration étroite avec Microsoft et le code source est de moins en moins accessible. Sans oublier le développement parallèle d’autres logiciels du même type par d’autres entreprises, comme Bard deGoogle ou encore Open Assistant par LAION, accélérant la compétition dans le domaine et son développement.
Pour Yash Shrestha, la croissance de ces entreprises exacerbe les inégalités et les institutions telles que les universités risquent d’être dépassées. Il vient de publier un commentaire dans la revue Nature Computational Science dans lequel il recommande de collaborer entre universités et gouvernements et d’inciter à partager les codes sources de technologies utilisant l’intelligence artificielle.
Demain reste encore flou
Les bouleversements n’en sont encore qu’à leurs débuts et les universités ont du pain sur la planche. Un grand changement à venir est sans doute lié aux données : considérant la rapidité d’une IA pour produire du contenu, les informations existantes proviendront bientôt majoritairement des machines elles-mêmes. « Le nombre de données disponibles sur Internet sera au minimum 100 fois plus grand d’ici deux ou trois ans », précise Yash Shrestha. Or un agent conversationnel tel que ChatGPT puise sa capacité en grande partie d’Internet. Lorsque la boucle sera bouclée et que les IA produiront leur propre contenu d’apprentissage et dépasseront la production humaine, où nous dirigerons-nous ? La connaissance s’effondrera-t-elle ou s’ouvrira-t-elle vers d’autres perspectives ? Affaire à suivre.
Pour aller plus loin…
- Relisez l’article de l’uniscope « ChatGPT : à quoi ressemblera l’enseignement dans dix ans ? » publié il y a un an.
- Des questions sur l’utilisation des intelligences artificielles dans l’enseignement, la recherche ou les études ? Obtenez des réponses dans la FAQ dédiée.
- L’article « Building open-source AI » par Yash Raj Shrestha, Georg von Krogh et Stefan Feuerriegel a été publié dans Nature Computational Science en novembre 2023 (en anglais).
- Les avancées des intelligences artificielles vont trop vite ? L’UNIL tient une veille mise à jour régulièrement.