Mise au point par la Faculté de biologie et de médecine, une nouvelle méthode statistique permet de mieux évaluer la dépression de consanguinité. Un espoir pour les populations en danger d’extinction.
« Quand des individus apparentés se reproduisent entre eux et ont des descendants, cela a un impact négatif. Ces descendants sont moins fit que leurs parents. Ils survivent moins longtemps, ont moins de descendants et peuvent être plus petits », explique Éléonore Lavanchy, doctorante à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Un article de sa thèse, soutenue en mai, est paru dans la revue scientifique PNAS, pour Proceedings of the National Academy of Sciences.
Cette généticienne des populations a étudié la dépression de consanguinité sous la direction de Jérôme Goudet, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et chef de groupe au Swiss Institute of Bioinformatics. Le but ? « Détecter les effets négatifs de la consanguinité dans une population donnée, précise Éléonore Lavanchy. Être apparenté, c’est le fait d’avoir un ancêtre commun. C’est la parenté qui va conduire à la consanguinité. »
Tous cousins?
Des pharaons qui se marient entre frère et sœur. Des royautés européennes qui s’unissent entre oncle et nièce. La pratique de la consanguinité est ancienne. « De nombreuses populations humaines contractent encore des unions consanguines, rappelle Jérôme Goudet, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Dans le pourtour méditerranéen et les populations du Moyen-Orient, la culture du mariage entre cousins germains existe. Si les effets génétiques négatifs sont là, certains effets culturels peuvent être positifs, comme la conservation des terres et des ressources communes. »
Mais ne sommes-nous pas tous un peu cousins ? « De manière très large, nous sommes tous consanguins, car nous dérivons d’un petit groupe d’individus provenant d’Afrique, constate le scientifique. Deux humains diffèrent en moyenne toutes les 1000 paires de bases. Nous sommes donc à 99,9% identiques. Mais sur 3 milliards de bases, cela fait quand même beaucoup de différences, à peu près 3 millions ! À titre de comparaison, on trouvera 12 fois plus de différences entre un humain et un chimpanzé. »
Nouvelle méthode statistique
Pour calculer la dépression de consanguinité, Éléonore Lavanchy et Jérôme Goudet se sont basés sur différents types de données. Des génomes simulés, ainsi que 2500 génomes complets d’êtres humains provenant de 26 populations des cinq continents, à partir desquels ils ont simulé les effets négatifs de la consanguinité. Ils ont également utilisé des génomes de moineaux vivant sur des îles isolées en Norvège, pour lesquels les effets de la consanguinité avaient déjà été quantifiés. « On peut faire ces comparaisons depuis que l’on a des données génomiques à disposition », souligne Jérôme Goudet. Sa doctorante acquiesce : « C’est pour cela que l’open science, c’est si bien. Les données sont mises à disposition de tous sans contrepartie financière. »
Grâce à sa méthode statistique, qui tient compte du degré de parenté entre individus, la chercheuse est parvenue à obtenir des résultats probants, là où la méthode classique échoue face à des populations restreintes et apparentées. Comme il en va pour les espèces en voie d’extinction. Cette méthode permet d’avoir un « catalogue plus précis des effets délétères de la consanguinité dans les populations naturelles, en particulier celles en danger », se réjouit Éléonore Lavanchy. Sans dépression de consanguinité, on n’a pas besoin d’investir de l’argent, du temps ou de l’énergie pour aider une espèce. En revanche, s’il y en a, il faut intervenir. »
Mais comment mesure-t-on concrètement cette dépression de consanguinité ? « La proportion du génome homozygote est une mesure de la consanguinité d’un individu, explique Jérôme Goudet. Plus les fragments homozygotes sont nombreux, plus la consanguinité est marquée. La distribution de ces segments dans le génome est aussi un indicateur important. S’il y a beaucoup de petits segments, la consanguinité est ancienne. Si ces événements sont récents, les segments sont grands. On peut donc avoir de petits effets cumulés sur plusieurs générations ou un très gros effet sur peu de générations. » Et Éléonore Lavanchy de conclure : « Que cette mutation délétère soit récente ou ancienne n’a en revanche pas d’importance quant à ses effets négatifs. »
« Polymorphisme de couleurs »
L’équipe de Jérôme Goudet, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, étudie aussi la chouette effraie. Le génome de 3000 de ces individus est en train d’être analysé. « Cet animal charismatique se distingue par son polymorphisme de couleurs. Il varie du blanc dans le sud-ouest de l’Europe au roux dans le nord-est. En Suisse, il est blanc et roux », précise ce généticien des populations.
Le but est de mieux appréhender cette espèce grâce à l’étude de quelque 500 nichoirs dans la région. « Les points noirs sur son poitrail sont-ils plus ou moins intenses, ont-ils des effets sur son agressivité ? Il semble que oui. Mon collègue Alexandre Roulin les suit depuis très longtemps. Cela représente 30 ans de données, 10’000 chouettes échantillonnées, baguées, mesurées. C’est une ressource incroyable ! »
Pour aller plus loin :
- L’article paru dans la revue PNAS, Detecting inbreeding depression in structured populations
- Un article sur Alexandre Roulin sacré «champion des chouettes»
- Un article sur le livre d’Alexandre Roulin