Les horaires nocturnes et irréguliers peuvent générer une prise de poids. Des scientifiques de l’UNIL et du CHUV ont montré que ceux qui triment la nuit ont plus de risques de développer un trouble métabolique, comme l’obésité viscérale chez les hommes.
En Suisse, 15,4% des personnes actives occupées sont employées régulièrement le soir, et 4,2% travaillent la nuit. Bon nombre d’entre elles effectuent également un horaire rotatif (dit aussi « travail posté »). Certains secteurs sont particulièrement concernés, comme la santé, la police, la sécurité, les médias ou encore les transports, dont les tâches doivent être suivies en continu. Pourtant, à long terme, ce rythme de vie affecte la santé.
« Nous avons régulièrement des policiers qui viennent consulter », illustre le professeur Raphaël Heinzer, codirecteur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil de l’UNIL et du CHUV. « À 40-50 ans ils n’en peuvent plus. Nous recommandons à leur employeur de limiter le plus possible ces horaires irréguliers. Parfois ils sont mêmes contraints de changer de profession. »
Mise en évidence par un nombre croissant d’études, la nocivité du travail de nuit pour la santé vient d’être confirmée par des scientifiques de l’hôpital universitaire de Lausanne (CHUV) et de l’Université de Lausanne (UNIL). Dans une étude transversale publiée le 15 février, menée en collaboration avec l’APHP Paris (le centre hospitalier universitaire d’Île-de-France) et l’Université Paris-Descartes, l’équipe lausannoise s’est intéressée au lien entre le travail de nuit et le « syndrome métabolique ».
Le syndrome métabolique, quésaco ?
Il désigne une série de problèmes de santé, comme l’hypertension artérielle, l’hyperglycémie, l’excès de graisse corporelle autour de la taille ou un taux de cholestérol anormal. Ces troubles augmentent le risque de maladie cardiaque, d’accident vasculaire cérébral et de diabète.
2301 travailleurs et travailleuses sous la loupe
Les scientifiques ont cherché la prévalence de ces problèmes en fonction des horaires de travail. Sur la base de données récoltées dans le cadre de l’étude CoLaus|PsyCoLaus, ils ont étudié une cohorte de 2301 travailleurs et travailleuses lausannois actifs de 55 ans en moyenne. Pour chaque personne, les chercheurs avaient accès à des données cardiovasculaires, métaboliques, psychiatriques issues d’examens médicaux, à des échantillons sanguins, ainsi qu’à des indications sociodémographiques et liées à leur style de vie.
Première auteure de l’étude, la doctoresse Virginie Bayon, médecin-cadre au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil, explique : « L’idée était de voir si nous allions confirmer les conclusions déjà existantes et si nous pouvions trouver de nouveaux éléments en regardant les liens avec l’activité physique ou la nutrition. »
Les analyses ont été effectuées sur la base de quatre catégories de rythme : travail de jour (heures de bureau), travail de nuit, horaires rotatifs uniquement de jour (par exemple 5h-13h et 13h-21h), horaires rotatifs nuit et jour (par exemple 5h-13h, 13h-21h et 21h-5h).
Trois fois plus de risques pour les hommes
Les résultats indiquent que les hommes actifs la nuit ont presque trois fois plus de risques de développer un syndrome métabolique que ceux qui effectuent des horaires de bureau. Il s’agit d’un risque d’obésité viscérale (une bedaine). Une tendance similaire a été constatée pour le manque de bon cholestérol et pour la présence d’un taux élevé de glucose dans le sang, presque deux fois supérieur à celui des travailleurs de jour.
Les femmes actives la nuit, elles, n’ont pas de risques de prendre du ventre. Elles ont en revanche davantage tendance que les hommes à avoir un taux élevé de triglycéride (l’une des deux principales formes de lipides présents dans l’organisme, l’autre étant le cholestérol).
Une question d’hormones
Mais pourquoi les hommes qui s’échinent la nuit deviennent-ils plus ventrus que ceux qui effectuent des horaires de bureau, et non les femmes ? Sur ce point, les chercheurs n’ont pas d’explication claire.
Plusieurs hypothèses permettent en revanche d’expliquer la prise de poids des travailleurs de nuit, par rapport au personnel de jour, la piste la plus intéressante selon Raphël Heinzer, co-investigateur de l’étude, étant la désynchronisation entre la consommation de nourriture et les sécrétions hormonales. Il précise :
« Dormir le soir et être réveillé la journée. Ces rythmes sont donnés par notre cerveau et notre corps. La nuit, notre température baisse. Nous avons une période de jeûne. Cela vient de la sécrétion de différentes hormones comme l’insuline, l’hormone de croissance, le cortisol. Nos aliments sont aussi absorbés selon ces rythmes. Lorsqu’on les modifie, cela perturbe la sécrétion de ces hormones. Il peut y avoir un décalage, favorisant la prise de poids au moment du repas. »
Une autre piste est à chercher du côté de la diète : lorsqu’on travaille de nuit, on a davantage tendance à grignoter, à manger seul, des aliments souvent moins sains que ce qu’on aurait ingurgité si on avait partagé un repas, relatent les chercheurs.
Ces derniers reconnaissent quelques limitations à leur étude. Comme l’aspect subjectif de certaines données, récoltées sur la base d’un questionnaire déclaratif.
La possible présence d’un effet de sélection au sein de l’échantillon est en revanche soulevée : dans cette recherche, les travailleurs de nuit, âgés en moyenne de 55 ans, pourraient être génétiquement plus résistants, étant donné qu’ils ont tenu jusque-là. « Il est possible qu’avec une population plus jeune nos résultats auraient peut-être été davantage significatifs », note le professeur.
Comment limiter les dégâts ? Les conseils de nos experts
- S’alimenter trois fois par jour, avec des repas complets répartis sur la journée (plutôt que la nuit).
- Pratiquer une activité physique.
- Éviter la privation de sommeil. Dormir 7 heures par 24 heures, éventuellement en deux temps. Les plus expérimentés ont souvent une période principale de sommeil de 4-5 heures en rentrant chez eux le matin, puis ils récupèrent ensuite avec une sieste longue juste avant de reprendre le travail, pour être bien frais.
- Créer l’obscurité dans la chambre lorsqu’on y dort la journée.
- Garder des liens sociaux. Organiser au besoin des petits déjeuners avec la famille et les amis, pour éviter l’isolement et les dérives dans les habitudes de nutrition.
- Diminuer l’exposition à la lumière avant l’endormissement pour préparer le sommeil. Quitte à mettre des lunettes orange qui filtrent la lumière bleue, couleur la plus stimulante pour notre cerveau.
Pour aller plus loin…
- L’étude transversale publiée le 15 février
- Le Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil de l’UNIL et du CHUV
- L’étude CoLaus|PsyCoLaus