Indice qualifiant l’apport nutritionnel d’un produit, le Nutri-Score permet d’orienter rapidement les consommatrices et consommateurs vers un choix plus sain d’une même catégorie de produits. Objet de débats, ce score est au centre d’un nouvel article d’Unisanté qui raconte sa façon de faire évoluer la relation entre médecins et population.
C’est l’histoire d’une petite étiquette contenant cinq lettres : A, B, C, D et E, dont la teinte passe graduellement du vert au rouge. Se tenant fièrement sur l’avant d’un emballage alimentaire, elle indique rapidement la qualité nutritionnelle de ce que celui-ci contient en comparaison avec un aliment du même type.
Un produit A, vert, sera plus sain qu’un produit E, rouge, comparable. Cet algorithme appelé « Nutri-Score », facile à lire, permettra à la consommatrice ou au consommateur de prendre une décision rapide entre les rayons du supermarché pour savoir quelle pizza surgelée sera la moins mauvaise pour elle ou lui.
Cette étiquette se base sur un algorithme développé tout d’abord à l’Université d’Oxford puis mis au point par Santé Publique France, qui dépose la marque en 2017. Le score prend en compte, pour une portion de 100 millilitres ou 100 grammes, d’un côté la teneur en nutriments favorisant la santé (protéines, fruits, légumes et fibres entre autres) et de l’autre ceux la limitant (sucres, sel, acides gras saturés). La France munit rapidement nombre de ses produits avec cette échelle et plusieurs autres pays suivent le pas : la Suisse, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal. Certains ont poussé et poussent encore pour en faire un logo nutritionnel obligatoire en Europe afin de favoriser la santé de ses populations, sans que cela ne soit jamais devenu le cas.
Le débat perdure
L’argument principal des « pro-Nutri-Score » repose sur le fait que plus de 40 études démontrent l’efficacité scientifique de celui-ci. Une recherche de Deschasaux et al. publiée en 2020 a notamment analysé les régimes de 500’000 personnes de dix pays européens et montre une corrélation entre un régime dont le Nutri-Score tend vers le rouge et un risque de mortalité plus élevé. Le score n’est cependant pas parfait : il ne prend par exemple en compte ni l’ultratransformation des produits, pourtant néfaste pour la santé, ni la teneur en additifs et pesticides.
En Suisse, le débat reste ouvert, mais les discussions restent plutôt absentes. C’est pour cette raison qu’Unisanté a voulu ramener la thématique dans les échanges : « Ce sujet est rarement inclus dans l’agenda politique, il reste encore assez discret. On espère que les fronts vont bouger, et c’est ce qu’on a essayé de faire avec ce papier », explique le directeur d’Unisanté Jacques Cornuz.
Ce papier dont il parle est un article intitulé « Nutri-Score : que dire aux patientes et patients sur ce thème scientifique d’actualité ? » tout juste paru dans La Revue Médicale Suisse et coécrit par Emmanuelle Lüthi, Wafa Badran-Amstutz et Jacques Cornuz. Ce dernier, directeur général d’Unisanté et professeur à la Faculté de biologie et de médecine à l’UNIL, raconte : « Des collègues médecins ont commencé à me demander des informations sur la validité du Nutri-Score parce que des patients leur en avaient parlé. C’est comme pour les vaporettes, les gens attendent d’une institution de santé qu’elle se positionne. » Contrairement aux tableaux de valeur nutritionnelle au dos des emballages, le Nutri-Score a cela de particulier qu’il n’est pas seulement accessible aux initiés mais donne aussi un résumé de savoirs complexes déchiffré en une fraction de seconde par n’importe qui, pizza à la main. Cette particularité change de ce fait les dynamiques entre les quatre murs des cabinets médicaux.
« Aujourd’hui, le médecin n’est plus sur son piédestal »
Avec 30 ans de pratique, le professeur Jacques Cornuz peut en témoigner : le rapport informationnel entre médecin et patientes et patients a beaucoup évolué : « Le médecin généraliste ne peut pas tout savoir, et c’est normal. Je m’implique d’ailleurs depuis une quinzaine d’années pour rééquilibrer la très forte asymétrie de savoir. À Unisanté, on développe la participation des patients et des citoyens dans les processus décisionnels. Aujourd’hui, le médecin n’est plus sur son piédestal. » Si cet échange d’informations est bénéfique autant pour les patient·es que pour les médecins, cela demande souvent du temps, précise-t-il : « Avant, un médecin voyait plusieurs dizaines de patients par jour, maintenant il en voit moins et on se réjouit, la rencontre clinique étant l’occasion d’aborder des sujets moins urgents, mais prioritaires, telle que la promotion de la santé. L’efficience économique a diminué, mais on bénéficie de plus d’échanges enrichissants. »
Nutri-Score et industriels : coup de pouce ou frein ?
Lors de sa création, le Nutri-Score avait deux objectifs d’amélioration de santé publique. Premièrement, aider la population à prendre des décisions qui l’orienteraient vers une alimentation plus saine. Deuxièmement, inciter l’industrie agroalimentaire à adapter ses recettes afin d’augmenter le score de ses produits. Concernant ce deuxième aspect, « comme le score n’est pas obligatoire et que certains lobbies sont impliqués, la conséquence actuelle n’est pas tout à fait celle qui était attendue », commente Emmanuelle Lüthi, coordinatrice scientifique à Unisanté.
Citons par exemple le cas de la marque Danone, entreprise de produits laitiers, qui a poussé pour l’obligation du Nutri-Score en Europe. Mais suite à une mise à jour de l’algorithme, plusieurs de ses boissons lactées se sont vu diminuer largement leur score. En réaction, l’entreprise agroalimentaire a annoncé en septembre 2024 retirer l’affichage du Nutri-Score sur certains de ses produits. En Suisse, Migros a décidé, cette année aussi, d’enlever le score de ses emballages, jugé trop cher à mettre en place. Face à ces débats, Jacques Cornuz, directeur d’Unisanté, estime que « c’est aussi notre rôle en tant que professionnels de la santé d’interpeller les grandes industries ».
Ce qu’il faut savoir sur le Nutri-Score
Grâce à son système très facile et rapide à lire, le Nutri-Score donne un indice précieux à celles et ceux qui ne veulent pas plisser les yeux sur ces tableaux indéchiffrables au dos de leur pot de beurre de cacahuètes, à condition de connaître son fonctionnement et ses limites. La première autrice de l’article, Emmanuelle Lüthi, pense que ce score représente « un outil qui n’est pas parfait, mais qui est vraiment utile pour la population ». Il reste selon elle une grande marge de manœuvre pour le faire connaître : « Je pense qu’il y a beaucoup de choses encore à faire au niveau de la communication, et cela peut se faire au cabinet de médecine de premier recours. Car le cabinet reste un lieu de prévention. Dans la culture suisse, on pense au cabinet comme lieu de soins mais ce rôle de prévention est souvent oublié. » C’est justement dans l’optique de nourrir ces échanges que l’article a été publié dans la Revue Médicale Suisse, afin de donner des connaissances à jour aux médecins pour en discuter avec leurs patients et patientes. Elle a résumé avec ses collègues les informations clés à transmettre à la population dans un tableau extrait de l’article, qui pourra peut-être donner de nouveaux éléments de réflexion à la consommatrice ou au consommateur qui se poserait des questions sur ces petites lettres vertes et rouges, un paquet de pâtes fraîches à la main.