Par Ariane Mérillat
« Pour une recherche mouvante, créatrice et éthique »
L’étude des humanités numériques vise à comprendre l’influence mutuelle qui se produit entre Internet et la société. De quelle manière l’arrivée du WEB 2.0 a-t-elle reconfiguré nos représentations de l’espace, modifié nos pratiques de communication et transformé nos conceptions des collectifs ?
Le numérique nous questionne également en tant que chercheur·es. Comment l’intégrer non seulement comme un objet de recherche mais également comme un outil essentiel de la démarche ethnographique ?
L’histoire nous l’a montré : l’anthropologie et la technologie se croisent et s’entrelacent sans cesse. Au sens large de « techniques de communication à distance », les médias ont une double fonction. D’une part, ils permettent d’avoir accès, de capter et de trier des informations. D’autre part, ils permettent à l’ethnographe d’objectiver son savoir, de le matérialiser sous une forme tangible et narrative, puis de le diffuser auprès d’un public. L’imprimerie, l’appareil photo, les enregistreurs son, les caméras portatives sont autant de médias, d’outils techniques qui ont permis la constitution et la diffusion du savoir ethnographique.
Dans cette évolution, le WEB 2.0. apparaît comme un dispositif inédit. Non seulement il permet une diffusion jamais égalée dans l’histoire de notre société mais il regroupe en un même lieu les autres médias (son, vidéo, texte, image). L’espace qu’il déploie en fait un outil de diffusion en même temps qu’un terrain à explorer. Enfin, il est une base de données théoriques et empiriques quasiment illimitée.
Un objectif de lien, de diffusion et de partage
Le blog #humansofpandemics vise précisément à exploiter le potentiel du web en mettant en évidence la diversité des expériences individuelles en temps de pandémie.
En proposant une interface issue du monde académique mais destinée à un public profane, il espère recréer un micro-espace public, tisser des liens et faire circuler des récits.
Ce projet, soutenu par le FNS et l’ISS est réalisé en collaboration avec Laurence Kaufmann, professeure ordinaire à l’UNIL, et Janette Danko, sociologue.
Cette interface poursuit ainsi plusieurs objectifs :
Créer un échange avec le public sous de nouvelles modalités, plus interactives. Le blog permet au chercheur-e. de se présenter au public sous une forme inédite, de travailler dans une démarche collaborative grâce aux réseaux sociaux et de récolter des témoignages auprès d’un panel d’individus variés.
Repenser le rendu de l’enquête dans une perspective transmédiatique. La diversité des formats médiatiques qu’offre le numérique nous semble idéale pour dialoguer avec le public et susciter son intérêt, dans un monde où l’économie de l’attention est devenue une ressource rare. Notre recherche intègre des podcasts, des films, des photographies et des textes narratifs. Il nous incite à penser les médiums en fonction des types de discours en jeu. Le podcast permet, par exemple, une expérience d’écoute plus intime ; le film amène un avantage descriptif ; le témoignage écrit, une sensibilité introspective. La créativité des acteurs sociaux eux-mêmes peut être mise à contribution, conformément aux expériences artistiques et culturelles «transmédiatiques», ce qui ajoute, en plus, des données tout à fait intéressantes à l’analyse.
Offrir un système de catégorisation éthique. Le web 2.0. offre un système de « clefs » à même de répertorier les contenus tout en évitant de leur imposer une catégorisation trop rigide, par définition partielle et partiale. On peut, en effet, être tout à la fois « père », « migrant » et « étudiant ». Favoriser plusieurs entrées sur un témoignage ou un récit permet à la texture propre de l’expérience de refaire surface sans être écrasée par un cadre d’analyse a priori. Dans ce sens, les tags pourraient bien être la clef d’une nouvelle éthique de la catégorisation des individus, une éthique qui prenne en compte le « supplément de sujet » qui rend tout un chacun irréductible à un statut social préexistant.
Penser l’ethnographie dans le mouvement. Internet est un espace mouvant. En tant que tel, il permet à l’anthropologue d’ajuster à flux tendu le rendu qu’il offre à son public. Grâce au blog, les récits peuvent évoluer et être mis à jour de manière dynamique.
De nouvelles méthodes et de nouvelles recherches
En résumé, le projet humansofpandemics vise à créer une forme d’agora numérique, qui invite le public à témoigner mais aussi à s’emparer d’outils sociologiques afin de mener sa propre enquête sur la pandémie, ses conséquences sociales et psychologiques. Cette expérimentation n’est pas conçue comme un processus de vulgarisation asymétrique, destiné à transmettre un savoir scientifique préétabli à un public « ignorant ». Il se veut un espace public multidimensionnel dont la fonction principale est de favoriser un échange coopératif entre les chercheurs, les participants à la recherche et le grand public. C’est ainsi une nouvelle méthode de recherche collaborative que ce projet vise à expérimenter, qui incite les chercheurs à dépasser l’observation et les entretiens classiques. Une telle méthode intègre le numérique non seulement comme objet de recherche mais aussi comme outil de recherche sociologique. Le rôle des réseaux sociaux est également de première importance. Ils permettent de relayer les contenus du site, de partager des informations, de recueillir des témoignages, d’évaluer l’intérêt du public et d’analyser la spécificité de chaque média. Ainsi, si le projet humansofpandemics ne vise pas à effectuer une sociologie du numérique ; il vise à instaurer une sociologie numérique dont l’essence même est de nouer une relation étroite avec le public.
Épisodes à retenir
Journal de bord humansofpandemics
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Informations
Pour citer cet article | Nom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2021, consulté le XX mois 2021. URL : |
Plateforme | Site internet |
Autrice | Ariane Mérillat, étudiante en master en Humanités Numériques |
Contact | ariane.merillat@unil.ch |
© Illustration : humansofpandemics