Le compost : de l’appropriation à la construction d’un commun social

A quoi pensez-vous lorsque vous lisez “déchets” ? Vous vous dites sûrement que ce sont des objets insignifiants. Détrompez-vous, comme le dit le proverbe, les déchets des uns sont les trésors des autres.

Par Camille Métry et Orelia Kande

Les déchets étant res nullius entraînent un manque de clarté dans les droits de propriété et provoquent des conflits entre les acteurs revendiquant leur droit sur les déchets. Cependant, les interactions sociales découlant des déchets peuvent aussi être positives. C’est ce que montre notre recherche sur le compostage, la transformation de déchets organiques en compost, par des acteur·trice·s locaux. Ces acteur·ice·s entrent-ils dans un conflit d’appropriation du compost ? Comment le compost participe-t-il à la création d’une communauté partageant des valeurs et des pratiques de mise en commun ?

Nous avons effectué des entretiens et des observations sur deux sites de compostage de proximité : la Villa Freundler et le site de Bernex Saule, dans le canton de Genève.

 
Conflit d’appropriation au sein des acteurs de compostage de proximité

Notre enquête de terrain débouche sur plusieurs constats. Le premier concerne la réalisation du compost qui comporte deux phases. Le premier consiste à réaliser un stock de déchets organiques grâce à la participation des membres du site. Lorsque le stock a terminé sa maturation, les participant·es se retrouvent avec du compost. Ce dernier peut être caractérisé5 comme une “unité de ressource” (p. 30) dont les individus s’approprient ou utilisent le système de ressource.

Le deuxième concerne les manières d’éviter les conflits d’appropriation. L’accès au compost de proximité n’est pas restreint, car le lieu n’est pas fermé ou surveillé. Cependant, il est limité dans le temps, car il faut respecter le processus biologique du compost (fermentation et maturation). Sa quantité varie selon la masse de déchets organiques déposée dans le bac à décomposition. D’autre part, nous observons des règles mises en place ou en voie d’élaboration autour du compost.

Common pool ressources et “appropriateur” chez Elinor Ostrom5
Le terme de common pool ressources fait référence à un système de ressources naturelles ou artificielles suffisamment important pour qu’il soit coûteux (mais pas impossible) d’exclure les bénéficiaires potentiels des avantages de son utilisation.
Les appropriateur·trice·s sont les acteur·trice·s faisant partie du processus réel d’appropriation des unités de ressources du CPR. Le processus peut être entrepris par plusieurs appropriateur·trice·s simultanément ou séquentiellement.

En effet, sur le site de la Villa Freundler, le responsable nous explique que les participant·es peuvent avoir accès au compost si les jardinier.e.s se sont déjà servis du compost pour leur potager. Une membre du site de Bernex nous fit part que son groupe réfléchit à la mise en place d’une hiérarchie des droits d’’accès au compost : 

Principalement, ça irait pour l’extérieur, (…) mais (…) il y aurait une priorité qui serait donnée à ceux qui y participent. (…) s’il en reste, les autres pourront le prendre.

(Simone1, 12 mai 2021)

Cette réflexion autour de la mise en place de règles d’appropriation autour du compost détermine l’ordre d’accès de ce dernier. Les premiers servis sont les jardinier·ères pour l’entretien des jardins communs (“extérieur”), ensuite l’accès est donné aux participant.e.s et le reste rendu accessible à tous·tes.

Ainsi ce groupe mène une réflexion sur la conception de règles opérationnelles qui vont affecter5 “directement les décisions quotidiennes prises par les appropriateur·strice·s concernant le moment, le lieu et la manière de retirer des unités de ressources (…)” (p. 52). Ces règles vont permettre de contrôler les appropriateurs·trice·s du compost lors de sa récupération et d’éviter une pénurie pour les jardinier·e·s. Cependant, ces règles ne semblent pas être les seules raisons évitant les conflits autours du compost. 

Les communautés autour du compost

La pratique du compostage se caractérise donc par des règles spécifiques en matière de gestion par les appropriateurs·trice·s, et elle possède un autre aspect lié à la création de communauté autour du compost. En effet, le compost pourrait, en tant que bien commun, contribuer au renforcement social et culturel des communautés. Comment se manifeste donc cet aspect ? 


Nous avons réalisé que l’aspect social pouvait se trouver dans le caractère local du compostage de proximité. 

« Et puis on a pas besoin de les envoyer à des kilomètres, mais si on les (les déchets) gardent dans nos quartiers, ils peuvent contribuer à fertiliser les sols et puis voilà, être valorisés sur place. »

(Jean1, 16 avril 2021)

Ainsi ces acteur·trice·s favorisent une pratique de compostage local qui permet de contribuer à une revalorisation des déchets. Leurs pratiques sont une forme de commoning, c’est-à-dire des pratiques de mise en commun et de gestion commune des ressources, par lesquelles les membres de ces communautés de compostage tissent des liens (voir encadré). Les composteur·ices ont la possibilité de renforcer leurs liens sociaux grâce à cette pratique de proximité qui les rapprochent entre eux :

« On doit faire ce petit chemin pour arriver au compost, on y va avec les enfants, ils aiment bien ça aussi…  Et puis, c’est vrai, on se retrouve autour du truc, et puis on fait tous attention, parce qu’on partage ce lieu, C’est rigolo, il y a un côté ludique… »

(Simone, 12 avril 2021)

L’acte de composter donne la possibilité aux individus de se réunir, de partager des moments et par ce biais de créer un sentiment de communauté, ce qui rejoint également les idées d’Harvey (2012) dans sa définition des pratiques de mises en commun (commoning).

En effet, Simone explique qu’elle partage ce moment avec ses enfants et qu’elle se retrouve avec ces voisins autour du compostage. Ce lieu de compostage peut également se définir comme une propriété commune détenue par une communauté3. Dans les termes “faire attention parce qu’on partage ce lieu” (p. 4) nous décelons des obligations morales afin que les acteurs collaborent mutuellement pour la préservation du compost2.

Le concept de Commoning
Développé par David Harvey, le commoning se définit comme les pratiques concrètes de mise en commun, où les acteur·trice·s sociaux s’engagent pour produire, reproduire et donner du sens aux biens communs. Ainsi, les individus sont insérés dans la création des biens communs au travers de leurs pratiques communes4. Les communs sociaux se définissent ici comme la mise en commun de règles sociales que mettent en place les acteur·trice·s  dans la pratique du compostage. 

Les règles sur lesquelles s’accordent les participant·es, telle que de ne pas jeter des produits carnés dans les bacs de décomposition, leurs permettent de maintenir et préserver la ressource du compost. 

Ainsi, nous avons pu mettre en lumière deux aspects importants autour de la réalisation du compost. Dans premier temps, nous avons analysé les règles mises en place par les membres des groupes pour éviter l’épuisement du compost et les problèmes appropriations.  Dans un deuxième temps, nous avons pu constater que les activités quotidiennes et le caractère local lié à l’activité du compostage permettent le renforcement des liens sociaux entre les individus et par extension la création d’un sentiment de communauté et d’appartenance sociale des composteurs. Pour aller plus loin dans cette enquête, il aurait été intéressant d’interroger plusieurs groupes participants au compostage de proximité pour les suivre sur une plus longue période afin d’observer l’évolution et les différences dans des pratiques de mise en commun, des pratiques sociales et des adaptations des règles de gestion des ressources communes. 

Notes

1Noms d’emprunt

Références

2Bruun, M. H. (2015). Communities and the Commons: Open Access and Community Ownership of the Urban Commons. in Borch, Christian Kornberger. Urban Commons: Rethinking the City, 153-170.

3Feeny, D., Berkes, F., McCay, B.J. and Acheson, J.M. (1990) ‘The Tragedy of the Commons: Twenty-Two Years Later’, Human Ecology 18(1), 1–19.

4Harvey D. (2012). Rebel cities : from the right to the City to the urban revolution. Londres New York : Verso

5Ostrom, E. (2015). An Institutional Approach to the Study of Self-organization and Self-governance in CPR Situations. In Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action (Canto Classics, pp. 29-57). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/CBO9781316423936.003

Informations

Pour citer cet article Nom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2021, consulté le XX mois 2021. URL :
AutricesCamille Métry et Orelia Kande, étudiantes en Master
Contactscamille.metry@unil.ch
orelia.kande@unil.ch
Enseignement Atelier Bien publics locaux et globaux

Anne-Christine Trémon et Loeva La Ragione

© Illustration : Pixabay