Des chercheuses ont installé dans la forêt sud-africaine un appareil généralement employé avec des primates en captivité. Le but était de comparer la psychologie de ces animaux dans un environnement superficiel et dans un environnement naturel. Curieux, les singes ne se sont pas laissé impressionner.
« C’est une première. Les options possibles avec cette technologie sont presque illimitées. Quel que soit le type de cognition que vous voulez étudier, vous pouvez trouver un moyen de l’utiliser. » Ce dont parle la postdoctorante au Département d’écologie et d’évolution Rachel Harrison est un écran tactile. Elle vient de publier avec la doctorante Tecla Mohr et la professeure Erica van de Waal une recherche dans la revue Journal of Animal Ecology décrivant le dispositif et la manière dont les singes vervets se sont prêtés au jeu.
Ils ont touché des écrans pour la première fois
L’innovation n’a pas fait peur à Tecla Mohr. Elle a ajouté un système de commande à distance à un appareil existant et l’a pris sur le dos en Afrique du Sud pour le présenter aux singes. La tâche était simple : lorsqu’un carré bleu apparaissait à l’écran, le toucher du doigt permettait de recevoir du maïs (voir vidéo). Facile, mais contrairement aux expériences du même ordre effectuées en captivité ou en semi-captivité, cela prend du temps. Beaucoup de temps. Non seulement les primates n’avaient jamais vu une telle installation de leur vie et devaient donc l’appréhender, mais en plus suivre des animaux sauvages requiert de l’énergie pour les trouver et les suivre dans la brousse.
Prendre le temps d’étudier des singes en liberté « en vaut la peine »
Rachel Harrison, qui a effectué les analyses de la recherche, explique pourquoi cet effort est nécessaire : « Avec des animaux sauvages, nous sommes sûrs d’obtenir un comportement naturel. En captivité, il est possible qu’il soit influencé par l’homme ou par leur mode de vie superficiel. C’est donc difficile de dire à quel point cela est représentatif de l’espèce dans son ensemble. »
Il y a même des données qui sont impossibles à récolter dans un sanctuaire. C’est le cas par exemple de l’étude de certaines dynamiques sociales, une thématique qui intéresse justement le groupe d’Erica van de Waal. Dans la nature, les singes vervets mâles arrivés à maturité migrent dans une nouvelle communauté. Les scientifiques tentent de comprendre les facteurs pris en compte par ceux-ci lorsqu’ils choisissent leur nouvelle famille, élément impossible à observer dans un zoo.
Mais cela a aussi ses désavantages
Pourtant, les primates ayant une cognition très complexe, l’étude en captivité est parfois nécessaire. Rachel Harrison raconte ses avantages : « Il y a un meilleur degré de contrôle sur la situation. Nous avons la possibilité de séparer les individus afin qu’ils puissent venir volontairement dans une petite salle et faire une tâche par eux-mêmes. Si nous étudions l’apprentissage social par exemple, cela peut être très utile car nous pouvons maîtriser la quantité d’informations qu’ils pourraient recevoir d’autres individus. » Il est en effet parfois difficile de savoir à quoi une réaction est due : la rencontre d’un congénère ? la personnalité ? la température actuelle ?… En fixant certains paramètres de manière similaire à chaque individu, cela permet d’exclure certaines de ces possibilités.
Quelques considérations éthiques
La recherche avec des animaux sauvages engendre aussi des risques qu’il est nécessaire de pondérer. Parmi ceux-ci, il y a l’association que peuvent faire les singes entre les humains et la présence de nourriture. Cela peut être particulièrement problématique dans un environnement comme celui dans lequel ils vivent, qui est aussi composé de braconniers qui n’hésiteront pas à les tuer s’ils s’approchent trop. Autre considération, les primates changent leurs routines par la mise en place d’expérimentations. En leur proposant une autre activité telle que jouer avec un écran tactile, il se peut que des habitudes soient effacées et le comportement naturel altéré. Ces éléments sont pris en compte avant toute expérience par les scientifiques ainsi qu’un comité d’éthique, équilibrant les spécificités de la recherche, de l’espèce et les apports de l’étude.
Pas de différence de performance entre les singes sauvages et captifs
Après plusieurs années sur le terrain, les chercheuses ont remarqué que le taux de participation à la tâche variait en fonction des individus. Les femelles adultes, qui sont dominantes dans cette espèce, avaient tendance à monopoliser la machine, un facteur à prendre en compte pour les prochaines recherches. Autre résultat intéressant : les animaux en captivité prennent davantage part à l’expérience que les sauvages, sûrement grâce à un plus grand nombre d’heures disponibles à consacrer à la machine. Pourtant, pour le même nombre d’heures passées sur la machine, la vitesse d’apprentissage est similaire entre les groupes.
La suite : complexifier les tâches
Les primatologues veulent améliorer l’écran tactile pour qu’il soit encore plus pratique sur le terrain. Tecla Mohr souhaite aussi complexifier l’exercice demandé aux singes vervets : « J’aimerais examiner un apprentissage associatif avec deux stimuli d’une couleur et d’un motif différents. L’un d’eux donnerait de la nourriture aux primates et l’autre non. Je mesurerais combien de temps il leur faudrait pour associer ces informations et comparerais des groupes captifs et libres. Étant donné la littérature scientifique existante, je pense que les individus sauvages seront plus rapides. Puisqu’ils ont tellement de facteurs externes à prendre en considération au cours de leur vie telle que la présence de prédateurs, ils doivent être plus performants pour associer un risque et une alarme. En captivité, ils n’ont pas à s’en soucier. » On espère alors que cette nouvelle technologie ouvrira la voie vers de riches découvertes futures et permettra de mieux saisir la cognition de nos lointains cousins et l’évolution de notre espèce.
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