La reconstitution numérique d’un sanctuaire de l’antique cité de Palmyre – détruit par Daesh en 2015 – trouve son origine à l’Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité. Infatigable ambassadeur de l’UNIL dans cette aventure technologique et humaine, Patrick M. Michel recevra le Prix de l’Université des mains du recteur Frédéric Herman.
En 2015, les troupes de Daesh pulvérisaient le temple de Baalshamîn en Syrie. Grâce aux archives de l’archéologue suisse Paul Collart (1902-1981), aux efforts conjugués de la professeure d’histoire ancienne Anne Bielman et de l’assyriologue Patrick M. Michel pour numériser et valoriser ce fonds déposé à l’UNIL, ainsi qu’au travail d’une start-up spécialisée en numérisation des sites patrimoniaux, ce sanctuaire a été reconstruit en 3D.
De ce temple dédié au dieu des cieux ouest sémitique Baalshamîn, photographié, dessiné et décrit par Paul Collart dans les années 1950, il ne restait que des pierres disparates qu’un drone de la société Iconem, survolant les lieux après leur destruction, a pu scanner en partie. Réalisée par cette start-up française sur la base des archives de Paul Collart, la réplique numérique du sanctuaire a voyagé sur grand écran entre 2018 et 2021 dans le cadre d’une exposition à l’Institut du monde arabe à Paris, puis à Berlin et à Washington.
Pavillon suisse à Dubaï
Patrick M. Michel est allé jusqu’à présenter cette réalisation à l’Exposition universelle de Dubaï en novembre 2021, après que la pandémie a interrompu d’autres occasions. «Nous avions une exposition au sein du pavillon suisse, où il a été possible de mettre en avant notre travail comme une façon de contribuer à la résilience des populations privées de leur territoire, de leur culture et de leur passé», explique-t-il. Un pays comme le Bénin s’est intéressé à la méthodologie utilisée dans la perspective de sauver son propre patrimoine menacé, entre autres, par la faiblesse des moyens techniques et financiers, ainsi que l’érosion naturelle.
Avec les réfugiés en Jordanie
Traduit en arabe par des archéologues syriens, un livret imprimé à Beyrouth a été conçu comme outil de travail et de réflexion sur la mémoire, destiné notamment à des populations réfugiées dans un camp au nord de la Jordanie. « Nous avons développé pour ces personnes, dont une majorité de jeunes gens et de jeunes filles, des ateliers de broderie en ligne, à partir de motifs inspirés d’éléments décoratifs du temple détruit », raconte Patrick M. Michel. Ces motifs ornaient d’abord des étoffes, dont la soie puisque Palmyre se trouvait sur la fameuse route du même nom, avant leur reprise sur le temple lui-même.
Broder pour retisser des liens
Le souvenir du monument détruit passe ainsi par un savoir-faire ancien, la broderie, ce qui permet d’inscrire la mémoire dans un objet tangible, par exemple une pochette ou un sac à main assortis de ces motifs brodés. « Il fallait redonner à ces gens la possibilité d’être acteurs de leur propre histoire, une expérience personnelle plus puissante que la simple écoute d’un récit », résume Patrick M. Michel. L’accès au camp jordanien, l’envoi de tablettes et de casques VR ainsi que la création d’un lieu de travail adéquat ont été facilités par le bureau humanitaire Inzone, travaillant sur place avec l’ONG Care. Un autre atelier en ligne, réalisé avec l’Université IULM de Milan, a permis à ces jeunes de créer des photomontages à partir d’éléments issus du patrimoine de Palmyre, dont plusieurs publiés dans le livre précité.
Une histoire personnelle
Spécialiste du Proche-Orient, l’archéologue né en Suisse, mais dont la mère est libanaise, conserve un lien privilégié avec cette région, où il a vécu dans son enfance avant que sa famille ne revienne en Suisse pour fuir la guerre civile des années 1975-1991. Il n’avait alors que six ans mais conserve le souvenir d’un ciel libanais strié par les couleurs et les sons des bombardements. Durant ses études à l’Unige puis à l’UNIL, il a participé durant une dizaine d’années à des fouilles entreprises par l’Université américaine de Beyrouth (AUB), avant de s’ancrer à l’UNIL.
Au 1er février 2021, Patrick M. Michel a été engagé au terme d’une procédure habituelle pour occuper un poste de MER en histoire ancienne axé sur l’Antiquité et le numérique, l’enseignement, la recherche ainsi que la médiation culturelle favorisée par cette technologie. Des questions émergent, comme celle de la valeur d’un double numérique : si la réplique reste insatisfaisante pour ceux qui connaissent les lieux d’origine, au risque même de raviver en eux le sentiment douloureux de la perte, elle peut donner aux autres – les plus jeunes notamment – un accès inédit et servir ainsi de support privilégié à la transmission de la mémoire.
Le passé pour éclairer le futur
Ces problématiques ont émergé à la faveur d’entretiens réalisés par une sociologue avec des membres de la diaspora syrienne en Suisse, en Turquie et aux Émirats ; Patrick M. Michel les a intégrées pour sa participation à l’exposition « Deep Fakes » sur l’art et son double, récemment à l’EPFL. « La conscience d’un patrimoine commun est essentielle pour renouer les liens dans des contextes multiculturels où il s’agit de vivre ensemble, en s’appuyant sur des histoires partagées », esquisse-t-il, conscient de fournir une goutte d’eau dans l’immensité du drame syrien… mais soucieux de l’offrir.
Autant de préoccupations qu’il aborde avec une grande rigueur scientifique et de vives émotions dans sa vie, son travail et le film réalisé par David Monti à l’occasion de ce Prix de l’Université attribué lors du Dies academicus 2022 à un archéologue qui a pu se dire, dans le bon sens du terme, « parfois hanté par Paul Collart », et qui trace sa propre route désormais à l’UNIL.
Dernière minute : le projet Collart-Palmyre vient d’être nommé dans la short-list pour le Prix de l’ICCROM-Sharjah for Good Practices in Cultural Heritage Conservation and Management in the Arab World.