À l’occasion du Congrès international sur l’histoire du sport, Grégory Quin, organisateur de l’événement et historien, analyse pour l’uniscope ce que dit, en 2023, cette pratique sociale de notre société.
Quelle autre sphère socio-culturelle rassemble autant de monde, aussi régulièrement et sur toute l’année, que le sport ? Aucune, répondrait Grégory Quin, à demi provocateur. Face à un tel postulat, force est d’admettre que le sport en dit long sur notre société. Au regard de l’Histoire, avec un grand « H », que dit-il de nous en 2023 ? À l’occasion du Congrès international sur l’histoire du sport hébergé pour la première fois par l’UNIL au mois de juillet, Grégory Quin, organisateur de l’événement, devenu phare pour les chercheurs du milieu depuis la fin des années 70, analyse ces questions pour l’uniscope.
Révélateur des incohérences de notre société, le sport se situe au croisement d’injonctions paradoxales. Bon pour la santé et vecteur de sociabilité d’une part, il est aussi profondément ancré, d’autre part, dans une logique de « toujours plus », désormais contradictoire avec les préoccupations environnementales, climatiques et relatives à la durabilité. « Pendant le Covid par exemple, on n’a pas voulu arrêter les remontées mécaniques parce qu’il fallait absolument aller skier, illustre Grégory Quin. Il s’agit pourtant d’une activité de loisir. » D’autres constats du même type interrogent le chercheur : « Les clubs sportifs par exemple me disent que les transports collectifs sont de moins en moins une réalité. » Et bien sûr, le sport est toujours ancré dans une logique d’hyperconsommation. « Si on se promène sur les chemins de randonnée l’été ou sur les pistes de ski l’hiver, on voit que les gens sont souvent propriétaires d’un matériel à la pointe. »
Contrôler, exposer et normaliser
« Quand le boom des salles de sport a débuté, dans les années 1990-2000, il y avait une forte tendance hygiéniste, explique le chercheur. Aujourd’hui c’est devenu une fabrique à photos Instagram. Parfois on va à la salle de sport pour développer des muscles qui ne servent à rien d’autre qu’à être montrés en ligne. » Cette utilisation des réseaux sociaux pour se mettre en scène se rapproche, selon l’historien du sport, du bodybuilding. « À l’époque c’était pourtant une pratique plutôt montrée du doigt. » Au sein d’une société qui se digitalise, le rapport au sport change. Grégory Quin souligne entre autres la notion de contrôle. « Il y a 15 ans, ça ne serait venu à l’idée de personne de savoir combien de pas ont été effectués durant la journée. »
Le sport est donc un puissant vecteur de normalisation. « Il crée une manière de s’habituer à des choses qui sont déjà dans la société, estime le chercheur. Ce n’est pas le sport qui crée, mais il alimente, il rend normal et anodin. » Véritable moteur, « il a par exemple instigué cette idée de performance dans les rapports sociaux, que ce soit au niveau intime, dans les amitiés ou encore au travail ». Enfant de la révolution industrielle, le sport porte en lui les caractéristiques de ce nouveau monde : « mécanisé, industriel, productiviste et capitaliste ». Grégory Quin rappelle la devise du CIO : « Plus loin, plus haut, plus fort. »
Une discipline tardive
L’histoire du sport est une discipline académique récente. Si les pays anglo-saxons se sont montrés précurseurs dans le domaine, la Suisse a été, et est toujours, très en retard en termes de recherche. « L’histoire du sport dépend d’un institut qui a les sciences du sport pour cœur de métier, explique Grégory Quin. À Lausanne, cela ne remonte qu’à 1995. Et encore, la version actuelle de notre institut ne date que de 2008. » Le chercheur précise également que l’UNIL est chanceuse car les sciences du sport sont rattachées à la Faculté des sciences sociales et politiques, « ce qui fait que l’histoire est un axe de recherche possible ». Ce qui n’est pas le cas de toutes les universités. « En l’absence d’institut, il aurait fallu que les historiens s’intéressent au sport, mais longtemps il a été considéré comme une pratique populaire et donc illégitime. Car l’histoire a souvent eu tendance à se pencher sur des sujets plus élitistes tels que les conseillers fédéraux, l’urbanisation ou encore l’opéra. »
Une revue pour parler histoire du sport
Afin d’alimenter et de poursuivre la dynamique d’institutionnalisation de l’histoire du sport en Suisse, Grégory Quin et Christophe Jaccoud ont lancé, depuis avril, une revue annuelle sur la discipline, intitulée Les sports modernes : société, culture, temporalité, territoire. Publiée par l’Association pour la valorisation des archives et de l’histoire des sports (AvaHs) et coéditée entre Lausanne et Neuchâtel, elle abordera l’histoire du sport sous différents prismes, tels que la montagne, la vitesse ou encore les infrastructures.
Cette revue est disponible directement auprès de l’éditeur ou en devenant membre de l’AvaHs.