Au Moyen Âge, Lausanne était une ville certes petite, mais tout de même importante dans la région. Divisée entre la ville basse et la ville haute, certains de ses vestiges existent encore aujourd’hui. Balade historique avec Marie Bron, doctorante à la Faculté des lettres.
C’est à la place Pépinet, en plein centre-ville, que la visite démarre. Au Moyen Âge, cependant, c’était seulement une de ses entrées : « C’était une porte de la ville », explique Marie Bron, assistante-doctorante à la section d’histoire de l’UNIL. C’était là aussi que les rivières du Flon et de la Louve se rejoignaient à l’air libre. « Aujourd’hui, elles sont encore là, mais enterrées sous nos pieds depuis le XIXe siècle. » Ce carrefour jouait un rôle majeur au Moyen Âge : « Les points d’eau étaient absolument nécessaires pour la vie médiévale. Pour le fonctionnement des moulins à eau, notamment. Il y avait aussi tout un quartier avec de nombreuses tanneries qui en avaient besoin. »
La place de la Louve au fil de l’eau
La promenade se poursuit en montant à la place de la Louve, où quelques fontaines rappellent le passage de la rivière qui lui a donné son nom. Ici, « le dernier bâtiment d’un ancien moulin à eau a été détruit dans les années 1970 », raconte la guide en pointant en direction de l’actuel magasin d’impression CopyQuick. Au fond de la place, l’arrière de l’Hôtel de Ville était déjà présent à la fin du Moyen Âge, même si le bâtiment actuel date du XVIIe siècle. « C’était le lieu de réunion des conseillers de la ville basse. » Car jusqu’à 1481 la localité était scindée en deux : la ville basse et la colline de la Cité. Elle était aussi divisée en cinq quartiers : la Cité, le Pont (l’actuelle rue Centrale), Saint-Laurent, la Palud et le Bourg. Elle était beaucoup plus petite qu’en ce jour, avec seulement 4500 à 5000 habitantes et habitants.
La place de la Palud garde encore aujourd’hui son rôle de lieu de marché
C’est par le petit passage sous l’Hôtel de Ville que l’on atteint la place de la Palud, dont les pavés sont couverts par le marché. Au Moyen Âge, le secteur était aussi commerçant, explique l’historienne : « S’il ne reste presque plus de bâtiments d’époque, les tracés des quartiers sont plutôt bien restés. » On y vendait des chaussures, du poisson, du pain. « À Lausanne, la boulangerie était un corps de métier féminin. C’était régional. » La viande, elle, n’y était pas achetée : « Elle était vendue dans les deux boucheries de la ville. Là, par contre, ce n’était probablement que des hommes qui y travaillaient. » En tournant la tête, une fontaine portant l’inscription « 1726 » se fait voir : « Au Moyen Âge, il y avait déjà une fontaine, même si celle-ci n’est pas celle d’époque. C’est de l’eau de source, les femmes venaient y faire leur lessive. »
Montée vers la colline de la Cité
Il faut ensuite donner de ses mollets pour grimper le long de la rue de la Mercerie, attestée dès 1305. « Elle porte ce nom car il y avait beaucoup de merciers et de mercières ici. » En bas du passage, au numéro 2, se trouve l’un des plus anciens bâtiments privés conservés de la ville. Au XIVe siècle, il n’était haut que d’un étage, les autres étant ajoutés au fil des générations. Sur la gauche, un peu plus loin, les escaliers du marché reliaient le marché de la place de la Palud et le marché du Crêt, qui était situé juste sous la cathédrale, à un emplacement aujourd’hui coupé par la route.
L’ancien hôpital de la ville, actuel gymnase
Sur la droite, un passage très raide, « l’escalier des Petites-Roches ». Lorsqu’on y descend quelques marches, la pierre devient visible : « C’est un des derniers endroits où la roche est apparente. On se rend compte à quel point on est sur une colline. » Au Moyen Âge, c’est celle-ci qui séparait la ville basse de la colline de la Cité, les deux parties réunies en 1481. Une fois en haut de la rue, le gymnase de la Cité s’impose sur le chemin, autrefois l’hôpital de la Vierge Marie. « C’était plutôt un lieu où on accueillait les pèlerins, les personnes pauvres. Il y avait aussi des soins, mais ce n’était pas l’objectif. » À l’époque médiévale, le lieu était tenu par l’évêque, « mais en 1528 l’hôpital était tellement mal géré que les bourgeois de la ville ont décidé de le reprendre en main ». Aujourd’hui, de nombreux éléments de la vie de cet hospice au Moyen Âge peuvent être reconstruits grâce aux registres de comptabilité qui ont survécu. « On sait d’où viennent les dons qui permettaient au lieu de vivre. Beaucoup provenaient des legs de personnes riches qui faisaient œuvre de charité tout en s’assurant ainsi une place au paradis, comme on le pensait à l’époque. » Sur les lits de ces hôpitaux, pas de pestiféré·e·s, déplacé·e·s à Saint-Roch, juste en dehors de l’enceinte de la ville.
La cathédrale, symbole depuis 1275
Demi-tour en direction de la cathédrale, mais avec un arrêt rapide sur le petit talus entre deux. Ici, il y avait un des cinq fours de la ville médiévale qui permettait à chacun d’y cuire son pain : « La réglementation sur les fours était très stricte. S’il y avait un four qui brûlait, toute la ville suivait. D’ailleurs, un incendie a embrasé les deux tiers de Lausanne au début du XIIIe siècle. » Pas question donc d’avoir un four privé, « il fallait venir ici et payer quelqu’un pour cuire son pain ».
Les dernières marches sont gravies et la cathédrale de Lausanne, autrefois cathédrale Notre-Dame de Lausanne, s’offre aux promeneurs et promeneuses. Construite aux XIIe et XIIIe siècles, elle est consacrée en 1275 par le pape Grégoire X. « On venait prier la Vierge Marie pour demander la libération des prisonniers. Mais c’est aussi un point de passage vers Saint-Jacques-de-Compostelle, il y avait donc beaucoup de pèlerins qui y faisaient étape. » Marie Bron montre les vestiges d’une arche au milieu du mur transversal, encore visible en filigrane : « Nous pouvions passer à travers à l’époque. Le grand portail d’entrée, lui, a été construit au début du XVIe siècle par l’évêque. » Quant au fameux guet qui crie encore l’heure depuis le bâtiment aujourd’hui, les premières traces de son passage datent du XVe siècle : « Il est fait mention d’un incendie dans une source où l’on cherchait à établir les responsabilités de ce guet. Mais ce n’était pas le seul de l’époque médiévale. Il y en avait aussi un à Saint-François et deux piétons qui se baladaient dans la ville. »
Dans la cathédrale, des trésors montrés, enfouis et volés
Lorsqu’on entre dans la cathédrale, les sons résonnent. Marie Bron continue son explication : « Les vitraux représentent des scènes de la vie médiévale. Mais ça reste très symbolique, ça ne nous donne pas forcément beaucoup d’informations sur le quotidien de l’époque. » Autrefois, il y avait davantage d’objets ici. Une statue de la Vierge de même que le trésor de la cathédrale ont été pris par les Bernois en 1536. La statue a été fondue, mais le reste du trésor se trouve toujours dans la capitale.
Aux quatre coins de la ville
La visite se termine sur le parvis de la cathédrale, d’où l’on peut voir les limites de la ville médiévale. L’église Saint-François, la rue de Bourg, la côte de Montbenon et enfin la tour de l’Ale, dont le toit dépasse légèrement. Il est difficile de penser que Lausanne ne dépassait pas ces frontières à l’époque. En regardant la vue, il faut faire abstraction des bâtiments modernes, des grues et des bruits de voiture, et la vie médiévale se déploie juste sous les yeux des promeneurs et promeneuses.
Cette visite a vu le jour dans le cadre d’un séminaire donné par Martine Ostorero, professeure associée d’histoire médiévale à l’Université de Lausanne, pour lequel elle a voulu enquêter sur les invisibles lausannois du Moyen Âge. Tous les travaux des étudiants et étudiantes ont ensuite été réunis pour la première édition du festival Histoire et Cité. La visite a par la suite été adaptée pour les enfants dans un atelier de l’Éprouvette par Hannah Blaser, Marie Bron, Adriana Crema et Noémie Moos.
Intéressé·e par une visite de Lausanne au Moyen Âge ? Proposez à la classe de votre enfant l’atelier « Une journée au Moyen Âge à Lausanne », dispensé par l’Éprouvette entre mars et octobre sur réservation.