Fruit d’une collaboration entre la Maison d’Ailleurs et l’UNIL, le concours dédié depuis 2017 à la littérature de science-fiction vise à stimuler la création suisse et francophone dans ce domaine.
Quatrième livre paru à l’enseigne du Prix de l’Ailleurs, Bifurcation(s) attend les amateurs éclairés et les curieux volontairement égarés. Cette moisson 2021 a mobilisé l’attention du jury sur plus de 70 nouvelles, pour trois prix décernés et 11 textes au total réunis dans cet ouvrage. Trois récits prennent la forme fameuse du voyage dans le passé, pour permettre au lecteur de côtoyer des personnages célèbres joliment reconnaissables et en même temps plongés dans un environnement pour le moins alternatif, la reine Marie-Antoinette, par exemple, ou Jules Verne dans un récit endiablé qui entremêle les époques et des personnages entre calèche et Tesla (simplement intitulé XIX), ou encore, plus proche de nous, une dirigeante bien connue qui ne manquait pas d’aplomb (deuxième prix pour Nicolas Alucq et sa nouvelle souriante La Dame ne fait pas demi-tour).
Des choix cruels
Si nos choix personnels représentent autant de bifurcations dans nos vies et impliquent toujours certains risques, ceux qui se manifestent dans la science-fiction sont souvent particulièrement cruels, même quand il s’agit de décisions prises généralement dans la joie et/ou la routine depuis la nuit des temps, par exemple décider d’avoir un enfant : deux récits évoquent ce type de choix dans des contextes inédits et bien troubles. Pour l’une de ces nouvelles, Candidats minuscules, Guillaume Rihs a obtenu le troisième prix.
Refaire le monde défait…
L’invention débridée est logiquement au rendez-vous de ce type de littérature, que l’on s’imagine glisser dans un Paris lumineux et toujours festif, mais partiellement immergé, ou une Suisse où les effets du réchauffement climatique se font sentir d’une manière inquiétante mais cocasse. Refaire le monde qui se défait est un paradigme inépuisable…
Il arrive aussi que l’on change tout bonnement de planète et c’est alors un contexte qui s’invente entièrement ; on quitte le sol terrestre pour voguer dans l’espace ou aborder un univers décidément étrange avec sa sonorité et ses couleurs poétiques, voire observer les dérives du nôtre sur le mode « épistellaire » depuis un poste éloigné…
Premier prix
Avec Dernier thé en Sibérie, nous plongeons dans un environnement glacé post-2050, robotisé jusqu’à la perfection, moins pollué mais sans bénéfice pour des humains occupés à noyer leur vie dans des mirages virtuels, et soudain un homme cabossé observe une quête inédite de beauté et d’émotion gratuites dans le comportement d’une androïde, esquisse avec elle un partage amoureux, quitte à accepter pour lui-même une forme d’artificialité, le tout raconté avec finesse par Florentin Certaldi, qui a obtenu le premier prix.
Outre les trois lauréats, le livre réunit les talents de Marie Vallaury, Elsa Couderc, Hélène Durussel, Alice Bottarelli, Tu Wüst, Pierre Jean Ruffieux, Tristan Piguet et Joël Espi. En outre, je recommande tout particulièrement la préface de mes collègues jurés Guilaine Baud-Vittoz et Jean-François Thomas, qui offre un survol pertinent et succinct des différentes nouvelles sélectionnées par notre jury et un éclairage panoramique sur le genre si foisonnant de la SF. À lire plutôt après avoir dégusté les microrécits rassemblés dans cet ouvrage.
Bifurcation(s), ouvrage collectif de SF, éditions Hélice Hélas, 2021