Elle vient de boucler la dernière recherche de sa carrière, sur le bénévolat des seniors, et accueille désormais la retraite à bras ouverts. Farinaz Fassa, professeure et sociologue à la Faculté des sciences sociales et politiques, revient sur son parcours « tordu et atypique », guidé néanmoins par un fil rouge évident : une sensibilité profonde pour les inégalités.
« Tu es l’exemple des personnes qui ne devraient pas y arriver », lui lance un jour l’un de ses collègues. Ce souvenir, elle l’évoque d’emblée. « Ça ne m’a pas fait très plaisir, je peux vous le dire, reconnaît-elle. Mais c’est vrai qu’en tant que professeure d’université, j’ai un parcours assez tordu et atypique. »
Assise sur la terrasse de la cafétéria de l’Amphimax, le pied posé sur une chaise, après s’être blessée quelques heures auparavant, Farinaz Fassa ne cache pas son étonnement de faire aujourd’hui l’objet d’un portrait. Franche et dotée d’une autorité naturelle, elle n’hésite d’ailleurs pas à remettre en question ce choix. Spécialiste de différents domaines de la sociologie, tels que l’enseignement, l’éducation et les inégalités, la professeure, honoraire depuis janvier 2023, et chercheuse de la Faculté des sciences sociales et politiques (SSP), dont la dernière recherche a été publiée au mois de mai (voir encadré), s’est pourtant montrée très active au sein de l’UNIL durant sa carrière.
« C’est une femme de conviction ! »
Nicolas Margas, maître d’enseignement et de recherche SSP, collègue de Farinaz Fassa
« C’est une femme de conviction, au caractère affirmé et intrinsèquement bienveillant », décrit sans hésitation Nicolas Margas, maître d’enseignement et de recherche SSP, avec qui Farinaz Fassa a entre autres codirigé l’Observatoire de l’éducation et de la formation (Obsef) et organisé la Semaine internationale de l’enseignement et de la formation (SIEF) en 2022. « Elle s’est beaucoup impliquée pour l’UNIL, notamment au niveau des orientations politiques de l’institution. » En effet, Farinaz Fassa a par exemple fait partie de la Commission d’examen du plan d’intention de la Direction 2021-2026. « Elle a toujours été très engagée politiquement avec une sensibilité forte pour la création de lien avec la cité, précise son collègue. C’est quelqu’un dont la manière d’être et d’agir reflète les valeurs universalistes qui l’animent et qui a toujours cherché à instaurer un climat de travail basé sur des relations horizontales.»
Besoin de s’engager
D’origine iranienne par son père, Farinaz Fassa est née en Suisse et a passé toute sa petite enfance en Iran, jusqu’à l’âge de huit ans. Fortement ébranlée par la révolution de son pays d’origine, elle développe en grandissant une sensibilité certaine pour les questions de déracinement, de migration, de refuge ou encore de racisme. Après une double licence en lettres, puis en sciences politiques, et une formation dans l’enseignement, Farinaz Fassa décide de s’impliquer au sein du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Face à des réalités qui la dépassent, elle ne peut ignorer plus longtemps son besoin de se sentir utile. « Le CICR offrait un cadre d’engagement idéal », explique la nouvelle retraitée, plongeant petit à petit dans les souvenirs de ses différentes missions au Pakistan, en Afrique du Sud et en Afghanistan.
Son voyage le plus marquant ? « L’Afrique du Sud ! » coupe-t-elle d’emblée, envahie d’un seul coup par une profonde colère sortie de son passé. « La situation là-bas était juste inacceptable ! précise-t-elle d’un ton sec et révolté. Lorsque j’allais boire un verre avec un collègue « non blanc » à la fin de la journée, c’était un véritable casse-tête pour savoir où aller. Et quand je dis « non blanc », c’est réellement la définition qui était donnée à ce moment-là. » Marquantes, ces expériences au sein du CICR semblent ainsi avoir fortement aiguisé une sensibilité, pourtant déjà bien affûtée, vis-à-vis de toute forme d’inégalité.
Lutter par la réflexion
Mettre des mots sur des réalités qui l’interrogent. Penser pour éviter d’accepter l’intolérable. Telles sont les armes qu’a finalement choisies la militante pour honorer ses combats. Et c’est dans la sociologie qu’elle va les trouver. « Après une dizaine d’années à enseigner au gymnase, j’avais l’impression d’avoir arrêté de penser et d’être tombée dans la routine », confie-t-elle. À travers la recherche, la sociologue découvre alors un nouveau souffle : « Je suis une grande lectrice et j’ai besoin d’avoir la place de penser. La recherche m’a donc offert l’occasion de lire des choses conséquentes, tout en y réfléchissant et en essayant de les articuler. C’était parfait comme univers de référence.»
« Je n’y serais sûrement pas arrivée si j’avais été moins sale gueule ! »
Farinaz Fassa
Farinaz Fassa s’exprime avec beaucoup de justesse. Son rouge à lèvres rose précisément assorti à ses lunettes illustre parfaitement le côté à la fois audacieux et sensible de son caractère. Satisfaite de son parcours, la nouvelle retraitée l’évoque aujourd’hui sans fierté ni nostalgie apparentes, mais de manière franche et réaliste. « Je n’ai pas envisagé cette voie plus tôt car à la fin de mes études il n’y avait pas de femmes dans l’enseignement supérieur. J’ai donc eu une carrière tardive. Et je n’y serais sûrement pas arrivée si j’avais été moins sale gueule ! admet-elle. J’ai dû me bagarrer et parfois ça m’a coûté cher, en termes de santé notamment.» Pour faire carrière au sein de l’université, « il faut une grosse capacité de résilience et d’encaissement ». La scientifique s’interrompt soudain et pointe son pied du doigt, à titre d’exemple : « J’espère que ce n’est pas cassé, s’exclame-t-elle d’une voix si calme qu’elle contraste avec le fond de son propos. J’ai mal, mais je suis là à bavarder avec vous.» À l’instant T, elle semble en effet avoir « choisi » de mettre sa douleur entre parenthèses, tentant tant bien que mal d’en faire abstraction. « En fait c’est ce que vous avez fait tout au long de votre parcours ? » « Oui, un peu… » admet-elle pensive.
Sa dernière recherche…VIVRA
« Absolument fantastique ! » Sans hésitation, c’est ainsi que Farinaz Fassa qualifie la dernière recherche de sa carrière, « VIVRA », qu’elle cite d’ailleurs comme l’un des travaux les plus marquants. « Car elle pose des questions qui me fascinent ! » La retraitée dit d’ailleurs envisager un livre sur le sujet.
Publiée au mois de mai, « VIVRA » s’intéresse au bénévolat des seniors et démontre qu’il s’agit d’un travail nécessaire et invisible pour la société. En Suisse les connaissances scientifiques relatives aux modes d’engagement des seniors sont maigres. Afin donc de combler ce manque, une équipe de recherche interdisciplinaire et intergénérationnelle a interrogé, trois ans durant, plus de 100 retraités bénévoles et 14 associations.