La Direction de l’UNIL vient de publier CAP2037, une stratégie qui a pour but de diminuer les impacts sur l’environnement de l’Université afin de s’aligner sur la trajectoire définie par l’Accord de Paris et le respect des limites planétaires. Benoît Frund, vice-recteur Transition écologique et campus, nous parle de ce nouveau cap et de l’élan collectif qu’il implique.
CAP2037 liste 20 objectifs précis de transition pour 2037. Quel est leur but ?
Benoît Frund : En signant l’Accord de Paris, la Suisse a décidé de réduire ses émissions de gaz à effet de serre à zéro net d’ici à 2050. Nous ne pouvons pas commencer en 2049, il faut s’y mettre dès maintenant. L’Université, puisqu’elle est un acteur territorial et qu’elle a les outils pour comprendre ce qui se passe en termes climatiques et de biodiversité, tente de s’y aligner. Ces 20 objectifs nous permettront de positionner l’UNIL sur une trajectoire compatible avec le respect des limites planétaires d’ici à 2037, l’année des 500 ans de l’institution. Ce cap nous donne une direction vers laquelle nous diriger et que nous modifierons si besoin.
Il y a trois catégories d’objectifs : ceux qui concernent la communauté, l’institution et la société. Pourquoi avoir choisi d’inclure tout cela ?
Il y a une grande partie des objectifs qui concernent l’institution, parce que c’est en considérant son fonctionnement qu’on va pouvoir aller plus loin. Ces objectifs consistent à gérer nos achats, à reconsidérer l’énergie consommée, la construction de bâtiments… Il y a ensuite ce qui concerne les individus formant une communauté, donc ce sont les pratiques quotidiennes, comme les déplacements ou l’alimentation par exemple. La troisième catégorie, qu’on appelle société, inclut le travail de diffusion, le rôle de l’Université dans l’enseignement et dans le partage avec la société. Parce que s’il n’y a pas de changements autour de nous, nous n’y arriverons pas.
Chacun de ces objectifs est accompagné d’un contexte, d’effets attendus très précis, de cobénéfices et de points de vigilance à prendre en considération. Qui les a rédigés ?
C’est l’équipe du dicastère avec le Centre de compétences en durabilité (CCD), mais aussi des spécialistes dans les services et les facultés. Quand on parle de numérique, on est allés voir le Centre informatique, quand on parle d’infrastructure, Unibat… Il y a beaucoup de personnes qui ont été impliquées. Moi, je ne suis que le porte-parole, c’est le travail d’une grande équipe. Et puis c’est la continuité de plusieurs années de réflexions collaboratives.
Justement, quelle est l’histoire du projet ?
Dans le plan d’intentions publié il y a deux ans, la Direction a voulu doter l’Université d’un cap dans le domaine de la durabilité. Depuis de nombreuses années, l’UNIL travaille sur ces questions et il y avait une volonté de savoir si nous étions sur le bon chemin pour respecter notre part des accords internationaux en termes de réduction des impacts environnementaux. La Direction a mandaté le CCD pour construire un outil de navigation pour calculer l’objectif et orienter la trajectoire : c’est le Donut de l’UNIL (voir encadré). Il nous restait alors à savoir comment atteindre l’objectif final et emmener un maximum de monde dans le processus. L’Assemblée de la transition a été créée dans ce but sur la base d’un tirage au sort au sein de la communauté universitaire. Il s’agissait autant que possible d’inclure des personnes avec des rôles (étudiant·e·s, enseignant·e·s chercheur·e·s, personnel administratif et technique) et points de vue variés. Après un an de rencontres, ils et elles ont proposé 28 objectifs et 146 pistes d’action. Sur cette base, la Direction a élaboré les 20 objectifs de CAP2037 en intégrant aussi les avis des facultés, des services et de l’ensemble de la communauté après un vaste processus de consultation.
Un Donut comme boussole…
CAP2037 mobilise le cadre conceptuel du Donut de Kate Raworth, déjà utilisé pour analyser des pays ou des villes telles qu’Amsterdam ou Bruxelles. Cette approche permet de définir des seuils au-delà desquels notre vie sur Terre est menacée, appelés « plafond écologique ». Elle définit aussi le « plancher social », ou les minimaux sociaux au-dessous desquels une vie sûre et digne n’est plus assurée. L’objectif est de ramener les impacts de l’activité de l’UNIL entre le plafond écologique et le plancher social. C’est a priori la première fois qu’une université utilise cette méthodologie, décrite plus en détail dans un précédent article de l’uniscope.
Pouvez-vous nous donner un exemple d’un de ces objectifs ?
Nous voulons par exemple réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux déplacements professionnels en avion de 60% au minimum par rapport à 2019. Cela permettrait de diminuer de 17% l’ensemble des émissions de CO2 de l’UNIL par rapport à 2019. Si rien ne change d’ici 2037, le chiffre de 2019 doit être divisé par plus de deux pour être compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris en 2050. Nous avons déjà mis en place une directive qui définit le fait que les trajets de moins de dix heures en train ne sont plus remboursés par l’Université, c’est une première étape. À partir de là, nous faisons un suivi et nous apporterons des ajustements au dispositif si nous voyons que ça ne suffit pas ou que la trajectoire ne prend pas la direction souhaitée. Si par miracle on invente l’aviation sans CO2 en 2026, ce dont je doute énormément, on pourra remettre en question le mécanisme. Mais l’objectif, lui, ne changera pas.
Soixante pour cent, cela représente tout de même une grande diminution. Cette directive suffit-elle ?
Non, il est vraisemblable que la directive actuelle ne suffira pas. Pourquoi ? Parce que l’essentiel des émissions vient des vols intercontinentaux. La question est de savoir comment les réduire, mais c’est encore trop tôt pour y répondre. Un monitoring est en cours. Si on constate qu’en 2025 on a déjà une diminution notable du nombre de vols sans qu’on ait eu besoin de mettre des mesures supplémentaires, c’est génial. Mais si, contrairement à nos espoirs, le nombre de vols augmente, il faudra bien mettre en place des mécanismes qui permettent d’atteindre les objectifs. Il y a au sein de la communauté universitaire toutes les compétences nécessaires pour inventer les solutions correspondantes.
Est-ce que l’Université peut imposer à la communauté de ne pas prendre l’avion ou de ne pas manger de la viande ?
D’abord, ce sont deux problématiques très différentes. L’Université a l’obligation de définir les règles d’utilisation des budgets dont elle a la responsabilité. Ainsi, elle fixe les conditions des voyages professionnels, c’est son devoir. Pour ce qui concerne la nourriture, l’institution a la charge d’assurer qu’il y ait un service de restauration, mais elle ne le finance pas. Il n’y a pas, à ma connaissance, d’obligation de proposer de la viande à tous les repas. Diminuer notre consommation de viande, sans l’interdire pour autant, a un impact très important sur le bilan carbone. Outre l’obligation de suivre le cadre de référence pour une alimentation saine et durable, la seule mesure mise en place est une journée végétarienne par semaine ainsi qu’une offre végétarienne constante. Et ça fonctionne, puisque le constat des restaurateurs est que la demande en repas végétariens sur le campus ne cesse de croître.
Est-ce qu’on peut imaginer qu’il y aura des directives plus strictes dans le futur ?
Je n’en sais rien, je n’espère pas. Les frustrations commencent à arriver quand on a l’impression que les contraintes sont incompréhensibles, injustes ou inéquitables. Nous essayons d’aller dans une direction où les contraintes que nous nous fixons soient définies de manière collective autant que possible. Ce ne sont pas des impositions d’en haut que personne n’a envie de suivre.
C’est donc un travail d’équipe ?
Oui. C’est seulement si la communauté dans son ensemble évolue collectivement qu’on pourra y arriver. Je n’ai aucune prétention d’être le porte-drapeau tout seul. Le but est qu’on ait envie de remplir ces objectifs en groupe. Si nous avons une vision commune de notre destination, nous chercherons ensemble le meilleur moyen d’y parvenir. Si on constate collectivement qu’on s’est trompés, on changera un peu le cap. Si on n’a pas d’objectif commun, on va nulle part.
Selon une estimation, si les 20 objectifs de CAP2037 sont atteints, ils permettront de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’UNIL de 45% d’ici à 2037. Pourtant, pour atteindre la neutralité carbone en 2050 comme la Suisse s’y est engagée, il faudrait une diminution de 75%. Comment combler cet écart ?
Le constat qu’on doit faire est que seuls nous n’y arriverons pas. Parce qu’il y a plein de leviers que l’Université n’a pas et qui concernent donc la société en général. Il faut que d’autres choses changent autour de nous. Le but est aussi d’utiliser le rôle de l’Université, c’est-à-dire en tant que créatrice de connaissances, pour trouver des solutions qui puissent inspirer la société.
Réduire les achats de nouveaux équipements, fonctionner entièrement à l’énergie renouvelable, augmenter la mobilité à vélo, pied ou transports publics, conserver des espaces de nature… Découvrez les 20 objectifs de CAP2037, ainsi que leurs explications et le processus du projet sur le site de CAP2037.