L’infobésité, ce tsunami qui nous ébranle de l’intérieur

Olivier Glassey analyse pour l’uniscope les enjeux d’un phénomène qui nous a envahis sans crier gare : la surcharge informationnelle.

À l’occasion de la Journée mondiale des télécommunications et de la société de l’information, célébrée chaque année au mois de mai, Olivier Glassey analyse pour l’uniscope les dégâts et enjeux d’un phénomène qui, avec l’essor du numérique, nous a envahis sans crier gare : la surcharge informationnelle.

« Boire beaucoup, c’est bien ! » mais « boire trop, c’est dangereux ! » « Se lever tôt pour faire du sport, c’est bon pour la santé » mais, attention, « le sommeil est plus important ». Au cœur d’une ère ultraconnectée, pas facile de s’orienter au milieu du déferlement d’informations et d’injonctions constantes qui jaillissent sans cesse de tous côtés. À l’occasion de la Journée mondiale des télécommunications et de la société de l’information, célébrée chaque 17 mai depuis 1969 et qui, selon les Nations unies, a pour mission « de contribuer à sensibiliser l’opinion aux perspectives qu’ouvre l’utilisation de l’Internet et des autres technologies de l’information et de la communication (TIC) », Olivier Glassey, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences sociales de l’UNIL, analyse pour l’uniscope les enjeux d’un phénomène qui nous a envahis sans crier gare : l’infobésité.

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Mot-valise entre « information » et « obésité », le terme désigne, comme son nom l’indique, l’excès d’informations qui nous entourent. Désormais, le pouvoir que nous avons sur les informations que nous consommons est faible, la plupart d’entre elles nous sont imposées. Pire. Nous n’avons plus ni le temps, ni les ressources nécessaires pour les traiter.

Olivier Glassey explique : « À force, cela pose en nous différents problèmes au niveau cognitif. » Stress, anxiété, sentiment d’impuissance et de submersion sont ainsi devenus les soldats masqués de ce phénomène. Certes la surcharge informationnelle n’a rien de nouveau, cependant elle est aujourd’hui renforcée par une forme de juxtaposition. Le sociologue développe : « Univers professionnels, informations relatives à l’actualité ou encore vecteurs de sociabilité : les canaux d’univers initialement bien distincts se retrouvent désormais sur un écran commun. » 

Un monde en vitesse x 1,5 

Alors même que les informations qui nous entourent augmentent, notre capacité de concentration, elle, diminue. Selon des chercheurs canadiens, cités dans un épisode du podcast L’autre actu de la RTS, les humains auraient désormais une capacité de concentration inférieure à celle des poissons rouges. Notre temps d’attention moyen est passé de 12 à 8 secondes, soit une seconde de moins que nos amis à branchies. Réseaux sociaux ou médias s’appuient d’ailleurs sur des formats de plus en plus réduits pour transmettre les informations. Olivier Glassey souligne d’ailleurs : « Aujourd’hui l’algorithme TikTok considère que si on reste 2 ou 3 secondes sur une publication, c’est qu’elle nous plaît. » Depuis 2021, Whatsapp permet d’accélérer la vitesse d’écoute des messages vocaux. Une fonctionnalité dont Youtube s’était déjà doté en 2010, permettant à ses utilisateurs d’accélérer (ou de ralentir) la vitesse de lecture des vidéos. Une pratique communément appelée speed watching et qui fait de plus en plus d’adeptes.

Victimes ou coupables ?

Quand on parle infobésité, médias et réseaux sociaux sont évidemment les premiers à être pointés du doigt et désignés comme principaux responsables du tsunami informationnel. Olivier Glassey, pourtant, se montre plus nuancé. S’il perçoit l’univers médiatique comme un puissant robinet, l’expert estime cependant difficile de trancher unilatéralement entre « victime » et « coupable ». « En se retrouvant confrontés à Internet, les médias ont été contraints de développer des stratégies pour tenter de survivre et rester pertinents. De plus, il ne faut pas oublier que dans la surcharge informationnelle il y a aussi et surtout notre appétence à nous tenir informés ». L’infobésité, on la subit, mais quelque part on la cultive aussi. Olivier Glassey poursuit : « On sait par exemple que le direct ne permet ni analyse, ni recul sur une situation, pourtant on aspire toujours à davantage d’immédiateté, une quête illusoire de synchronicité entre information et déroulement des événements. » Dans une société sous l’emprise du récent, il existe, selon le sociologue, une sorte de « prime » implicite à être le premier à annoncer quelque chose à ses pairs. Être le premier média à relater l’information ou être le premier à la raconter aux autres autour de la machine à café : la primeur s’accompagne souvent d’une reconnaissance sociale. « Ces mécanismes s’expriment sous diverses formes à toutes les étapes de notre vie sociale. »

« Nous nous sommes fait engloutir dans une nouvelle temporalité, teintée de stress, totalement désorganisée et gouvernée par une logique d’immédiateté. »

Olivier Glassey, maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL

Élément central pour le spécialiste du numérique lorsqu’on aborde la question de la surcharge informationnelle, il est aussi fondamental de réaliser qu’« en réalité nous sommes nous-mêmes producteurs d’informations. Au quotidien, nous en produisons quantité qui génèrent du stress chez autrui. » Le sociologue est formel : se restreindre devrait devenir une nouvelle forme de civilité. « J’entends par là le fait de penser à l’infobésité d’autrui de manière à tendre vers une parcimonie d’informations partagées, en se demandant par exemple si les messages que j’envoie sont vraiment importants ou urgents. » Un nouvel enjeu apparaît notamment autour de l’obligation de répondre et réagir vite. « On s’est fait engloutir dans une nouvelle temporalité, teintée de stress, totalement désorganisée et gouvernée par une logique d’immédiateté, analyse le sociologue. Une temporalité au sein de laquelle les temps de latence, aussi minimes soient-ils, sont de plus en plus interprétés. » À travers cette injonction à la réaction, Olivier Glassey perçoit clairement une forme de « dépossession de l’agentivité ».

Se réapproprier certains droits

Au cœur même de l’infobésité se cache un syndrome connu sous le nom, désormais très populaire, de FOMO, de l’anglais fear of missing out. Comme son nom l’indique, il désigne une forme d’anxiété caractérisée par la peur de manquer quelque chose et qui nous pousse à une connexion constante. Une notion qu’Olivier Glassey nous invite à déconstruire pour davantage de réflexivité. « Le syndrome FOMO est construit par nos représentations du manque, mais aussi par les attitudes des autres, par nos pairs. C’est à nous de nous construire un univers au sein duquel cette peur ne nous domine pas. » Dans une logique de réappropriation et de remise en question de la temporalité des échanges virtuels, le spécialiste encourage aussi vivement l’échange avec l’entourage. « Il est important de connaître les attentes des autres, autant que de faire connaître les siennes, le tout en légitimant l’existence d’attentes différentes. Il est également essentiel de reconnaître qu’aujourd’hui la déconnexion est devenue un luxe, que beaucoup ne peuvent pas s’offrir, alors qu’elle devrait être un droit à préserver. »

Infobésité et désinformation 

Si, comme le rappelle Olivier Glassey, « Diderot prédisait déjà l’avènement de la surcharge informationnelle en parlant de la multiplication des livres, ce qui change aujourd’hui, c’est que face à la masse d’informations accessibles nous utilisons de plus en plus de filtres algorithmiques. Cependant ces filtres censés nous aider à naviguer au cœur de cet océan numérique découpent et organisent l’information sans être, eux-mêmes, transparents. » On parle d’ailleurs aujourd’hui d’économie de l’attention, ce qui implique ainsi l’apparition d’un nouvel enjeu relatif à la hiérarchisation. Car nous avons désormais l’impression que toutes les informations se valent. D’après les derniers chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique, « le risque que représente la désinformation en ligne est en augmentation. En Suisse en 2023, plus de la moitié de la population (51%) déclare avoir vu des informations ou contenus faux ou douteux sur des sites d’information ou sur les réseaux sociaux au cours des trois mois précédant l’enquête. »

Pour aller plus loin
  • Pour en découvrir plus sur la Journée mondiale des télécommunications et de la société de l’information, rendez-vous sur le site des Nations Unies.
  • Quelques lectures pour en apprendre plus sur le syndrome FOMO : 
    • Une revue systématique qui fait le tour de la littérature scientifique parue sur le sujet publiée en 2021 par l’Internet Research.
    • Une étude publiée en 2022 dans la revue Psikiyatride Guncel Yaklasimlar – Current Approaches in Psychiatry qui permet de bien comprendre les enjeux du syndrome FOMO.