Doctorante en oncologie à l’UNIL, Joanna Vuille a remporté la finale suisse du concours de vulgarisation scientifique « Ma thèse en 180 secondes » à Fribourg, le 20 juin dernier. En novembre prochain, elle défendra les couleurs de la Suisse en Côte d’Ivoire pour la finale internationale. Portrait.
Elle nous a donné rendez-vous sur la terrasse du Doki Doki Ramen, en surplomb de la piscine de Mon-Repos, sous les derniers rayons d’un lourd soleil d’été. À quelques minutes seulement du CHUV, où elle vient de terminer son service en tant que médecin assistante. Soucieuse d’être à l’heure, elle arrive d’un pas rapide. Elle s’excuse, un peu embarrassée : « J’espère que je ne suis pas en retard. On ne sait jamais à quoi s’attendre avec les horaires de l’hôpital. » 17h59 pile. Elle pourrait même se vanter d’être en avance mais, au vu de la franche modestie qu’elle dégage, cela ne semble pas son genre. À peine la discussion commence que nos impressions se confirment, Joanna Vuille est une personne qui s’applique à faire les choses bien. Autant par exigence envers elle-même que par respect pour les gens qui l’entourent, envers qui elle semble éprouver une bienveillance profonde. Lorsqu’elle se lance dans quelque chose, Joanna Vuille le fait avec le plus grand soin.
L’année 2024 aura marqué un tournant dans la vie de la doctorante à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Début mars, la jeune femme posait ses valises sur le sol suisse, après quatre ans passés à Boston au Massachusetts General Hospital, institution médicale de référence, pour une thèse en oncologie sur les métastases et la progression tumorale. À partir de là, tout s’est enchaîné. D’abord, fin mars, la finale UNIL du concours « Ma thèse en 180 secondes », qu’elle a brillamment remportée, puis la soutenance écrite de sa thèse en avril, suivie d’un retour en médecine clinique au CHUV en mai. Ajoutez encore à cela un déménagement, un mariage civil, la défense de sa thèse, une grande cérémonie de mariage en juin et enfin une seconde victoire, fin juin, lors de la finale suisse du concours de vulgarisation scientifique. Peu de temps pour souffler donc. Mais ce n’est pas tout. Fin octobre, la jeune femme s’envolera pour trois semaines au Japon pour son voyage de noces, puis, en novembre, elle partira finalement en Côte d’Ivoire pour représenter la Suisse lors de la finale internationale du concours MT180. Un tourbillon d’événements qu’elle n’avait, confie-t-elle, « qu’à moitié prévu ».
Quand elle en parle, pourtant, Joanna Vuille le fait sans la moindre emphase, avec un enthousiasme un peu gêné, qui semble vouloir éviter de susciter l’admiration. « Je ne sais pas comment j’ai réussi à enchaîner tout ça, sourit celle qui se décrit habituellement comme étant plutôt analytique. Au fond peut-être que c’était une bonne chose, car ça m’a obligée à prendre les événements l’un après l’autre sans trop y réfléchir. » Très vite elle ajoute : « Mais c’est surtout grâce au soutien de mes proches », en faisant allusion à sa famille : sa sœur jumelle, sa sœur cadette, ses deux parents et surtout son mari Simon, rencontré au gymnase, à ses côtés depuis plus de 13 ans.
L’importance des liens
Qu’elle évoque ses récents succès ou plus largement son parcours, Joanna Vuille reconnaît qu’elle a travaillé dur, mais elle estime aussi qu’elle a été privilégiée. « J’ai toujours eu la chance d’être bien entourée, que ce soit ici ou aux États-Unis, de personnes qui me soutenaient et me poussaient, et ça fait une sacré différence. » Grâce au soutien d’une bourse de la Fondation Nicod et conseillée par ses professeurs, elle a mis les voiles pour les États-Unis, un mois avant le Covid. À Boston, elle raconte comment elle a trouvé une « seconde famille » auprès de ses collègues, mais aussi de véritables mentors parmi ses supérieurs. Passer des journées en laboratoire, il est vrai, ça renforce les liens.
« Du moment qu’il y a de l’humain, du relationnel, là où je suis, alors je suis bien. Et dans la science justement, il y en a beaucoup. »
Joanna Vuille, doctorante à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL
L’humain. Le relationnel. L’authenticité. La profondeur. Ces valeurs semblent fondamentales pour Joanna Vuille. Que la discussion prenne la direction de son choix de carrière, de son intérêt pour le théâtre, qu’elle a pratiqué quelques années durant, ou encore de son Erasmus à Berlin, ville dont la culture et la mentalité ne l’ont pas laissée indifférente, véritables leitmotivs, celles-ci reviennent toujours, esquissant, au fil du récit de la jeune femme, les contours de sa personnalité. « Je suis un chat, plaisante-t-elle. Du moment qu’il y a de l’humain, du relationnel, là où je suis, alors je suis bien. Et dans la science justement, il y en a beaucoup. »
Histoire(s) de la recherche
Interviewée par l’uniscope en avril, avant la finale nationale, elle nous confiait déjà : « Ce que je préfère dans le doctorat, ce sont les rencontres avec les gens, les discussions que l’on peut avoir avec les collègues et avec les patients. Je suis une personne qui aime beaucoup les histoires. Et avec la recherche j’ai découvert que je pouvais avoir le même genre d’histoire avec les petites molécules, les protéines et les cellules, qui sont les acteurs d’une petite pièce qui se passe en face de nous, qu’il faut comprendre et que l’on essaie de traiter. »
Joanna Vuille se destine à la recherche depuis longtemps. Si elle a d’abord envisagé les sciences de la vie à l’EPFL, les conseils de ses deux parents médecins et son désir de combiner théorie et pratique l’ont poussée à choisir la médecine à l’UNIL, puis à participer au programme MD-PhD, destiné à former la relève académique suisse. En deuxième année de médecine, elle décide de se spécialiser en oncologie, contaminée par la passion du professeur Stamenkovic, à la tête d’un laboratoire de recherche sur le cancer. « Quand quelqu’un est aussi animé par ce qu’il étudie, son enthousiasme devient communicatif, rit-elle. J’aime être entourée de gens inspirés et qui vibrent pour ce qu’ils font. »
L’oncologie au quotidien
Sur le terrain, ses premiers stages en oncologie lui confirment rapidement qu’elle a fait le bon choix. « Tous les patients sont touchants. Mais en oncologie… (elle marque une petite pause afin de choisir les bons mots) on est confronté à des relations humaines vraiment intenses ! » Pensive, elle poursuit avec douceur : « Certains patients sont face à un mur et doivent accepter des situations vraiment difficiles. D’autres, en revanche, ont passé ce cap. La maladie leur a ainsi retiré toute carapace protectrice, ils sont « à vif », image-t-elle. Ils sont si reconnaissants, ils profitent pleinement de la vie et apprécient les petites choses à leur juste valeur. Les discussions que l’on partage avec eux, ce sont de vraies discussions. En fait… ils ont tout compris. »
« La vulgarisation permet de mettre tout le monde au même niveau, de faire parler tout le monde à la même table. »
Joanna Vuille, doctorante à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL
Est-ce difficile de gérer cette intensité au quotidien lorsqu’on travaille en oncologie ambulatoire ? Elle sourit : « J’ai l’impression que non, même si ma famille dirait peut-être le contraire ! » Pleine de lucidité, elle ajoute : « Mais j’apprends ! Peut-être qu’un jour ce sera trop, on verra. En attendant, je suis à l’aise avec l’idée de montrer mes émotions, même avec les patients. Il m’arrive d’avoir les yeux humides et ça ne me dérange pas. » On l’aura compris,l’empathie occupe une place importante dans sa prise en charge au chevet des patients. Cependant, une autre question occupe également l’esprit de la jeune médecin : comment mieux intégrer les patients dans le processus décisionnel des soins ? « Il est important pour moi de prendre le temps avec eux, de leur expliquer les choses pour leur donner la possibilité d’être partenaires du processus de soins. Je pense que la vulgarisation permet de mettre tout le monde au même niveau, de faire parler tout le monde à la même table. »
Alors qu’elle tourne à peine la page de sa thèse, la tête, on le sent, encore un peu de l’autre côté de l’Atlantique, Joanna Vuille envisage l’avenir avec un enthousiasme certain, et surtout la même rigueur que celle qui l’a menée jusqu’ici. Il lui reste trois ans d’assistanat qu’elle compte terminer au CHUV, en oncologie ambulatoire. Mais la jeune trentenaire réfléchit déjà à un moyen d’intégrer la recherche à ces années de clinique.