Le Prix Schläfli récompense cette année la thèse en géosciences du maître-assistant suppléant Gilles Antoniazza. Rencontre avec un passionné de cours d’eau pour mieux comprendre le transport des sédiments.
Entre Gilles Antoniazza et les rivières, c’est un amour de longue date, de jeunesse même. Enfant, il pêchait déjà avec son père biologiste dans le ruisseau des Vaux, près d’Yvonand (VD). Maître-assistant suppléant à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre, à la Faculté des géosciences et de l’environnement, ce « pur produit du terroir de l’UNIL » – comme il se décrit lui-même – explique qu’il est « avant tout un littéraire ».
C’est pourtant vers la dynamique des cours d’eau qu’il se tourne dès sa maturité, au gymnase. Grâce à un « excellent professeur », sourit celui qui vient de recevoir le Prix Schläfli 2024 pour sa thèse intitulée Bedload transport in Alpine streams : Lessons from newly emerging monitoring systems. Ses recherches visent à mieux quantifier le transport des sédiments dans les cours d’eau alpins.
Quelque 13 km2 de passion
Pour ce faire, il a étudié l’Avançon, dans le vallon de Nant, sur les hauteurs de Bex (VD). « Proche de l’UNIL et accessible, c’est le bassin versant d’étude de la Faculté des géosciences et de l’environnement », précise le chercheur. Par bassin versant, entendez la surface de collecte des eaux d’une rivière. « Cela équivaut à l’aire géographique où chaque goutte d’eau qui tombe finit dans la même rivière. » Soit 13,4 km2.
Le vallon de Nant est escarpé, faisant de l’Avançon un cours d’eau de montagne dynamique : un avantage pour étudier le transport sédimentaire. Une station de mesure a été construite il y a une dizaine d’années au point de sortie des eaux pour en évaluer le débit.
Le Prix Schläfli
Décerné chaque année par l’Académie suisse des sciences naturelles, le Prix Schläfli a récompensé pas moins de 132 doctorants en sciences naturelles depuis sa création en 1866. En 2024, quatre jeunes chercheurs ont ainsi été primés pour leur thèse, dont Gilles Antoniazza, maître-assistant à la Faculté des géosciences et de l’environnement à l’UNIL.
« Ce prix fait plaisir. C’est une grande fierté. Cela représente un jalon important pour la reconnaissance de son travail. » Et il en profite pour remercier son directeur de thèse, Stuart Lane. « Cela fait longtemps que nous travaillons ensemble, depuis plus de dix ans. Ce prix reflète aussi le succès de la relation entre superviseur et doctorant. »
Au cœur d’une rivière
Pour capter le pouls de l’Avançon, Gilles Antoniazza a déployé des capteurs sismiques à quelques mètres des berges. Car une rivière ne s’exprime pas d’une même voix quand il s’agit de transporter l’eau ou les sédiments. Les fréquences, mesurées en hertz, sont en effet différentes. « Cela permet d’estimer en continu, à partir de l’énergie sismique émise par la rivière, les flux d’eau et de sédiments », souligne le scientifique. Cette méthode a de nombreux avantages. Elle est bon marché, accessible, facile à installer et peu intrusive. »
Un processus destructif
Le transport sédimentaire se subdivise en deux parties : le transport de fond, ou charriage, et la suspension. La différence entre les deux ? La taille des sédiments, plus grossière dans le transport de fond, avec des sables, graviers et galets, qui se déplacent sur le lit de la rivière.
En contrôlant les processus d’érosion et de dépôt, le charriage est un élément important qui détermine si une rivière peut ou non déborder lors d’une crue. « Avec le charriage, on dit que ce sont de longues périodes d’ennui, entrecoupées par de brefs moments de cataclysme, image le géographe. Dans le transport annuel du charriage, l’essentiel se déroule lors des crues. »
Mais ce charriage est un processus dont la mesure précise a longtemps échappé à la recherche. « D’une part, il s’agit d’un processus destructif. D’autre part, ce processus n’est pas visible. En cas de crue, il y a beaucoup de matériel en suspension. On ne voit donc pas ces vagues de sédiments bouger sur le lit. D’où le potentiel de la méthode sismique pour appréhender ce processus de manière indirecte », relève Gilles Antoniazza, maître-assistant à la Faculté des géosciences et de l’environnement à l’UNIL.
Grande déperdition d’énergie
Il existe une corrélation entre débit d’eau et quantité de charriage. « Des équations développées en laboratoire existent, mais elles datent de plusieurs dizaines d’années et peuvent conduire à des erreurs gigantesques, de facteur cent, mille ou pire. Malgré leur utilité, on a besoin de mesures réalisées sur le terrain, notamment en montagne », développe le scientifique.
Car les cours d’eau alpins ne se laissent pas appréhender aisément, notamment en raison des déperditions d’énergie. « Comme ils sont raides, on pense qu’ils en ont beaucoup, mais les cascades, blocs et obstacles conduisent à une grande perte. Il est donc complexe d’estimer l’énergie encore disponible pour transporter les matériaux. »
Surprenante inefficacité
Autre particularité de ces équations, celles-ci partent du principe que la quantité de sédiments est infinie. « Dans les rivières de montagne, il y a de nombreuses situations où les sédiments sont disponibles et où le charriage est uniquement limité par la capacité de transport du cours d’eau, explique le géographe. Mais il y a aussi des périodes où la disponibilité sédimentaire est limitée. Toute une série d’événements intermédiaires peuvent provoquer un épuisement sédimentaire. Les petites crues exportent progressivement le matériel. Sans une grosse crue qui érode le lit et les berges, la disponibilité sédimentaire est limitée. »
Lors de sa recherche, le géographe a également été surpris par « l’inefficacité des cours d’eau alpins à évacuer, pendant un événement unique, les matériaux grossiers mobilisés. Il faut en effet plusieurs crues pour les transporter. »
Start-up créée
Gilles Antoniazza, maître-assistant à la Faculté des géosciences et de l’environnement à l’UNIL, a lancé une start-up avec trois autres collègues, dont son directeur de thèse, afin d’offrir un service spécialisé de monitoring et de modélisation des cours d’eau. « Les écosystèmes fluviaux ont par exemple besoin d’une certaine quantité de charriage et de matériaux grossiers. Or les ouvrages construits sur les rivières, notamment les barrages, ont tendance à stocker ces sédiments. On peut ainsi avoir des rivières en déficit de matériaux grossiers. Ce qui peut être problématique pour tout l’écosystème fluvial », constate le géographe.
FluvialTech possède notamment deux mandats en Suisse alémanique pour aider des entreprises hydroélectriques à gérer le transport de sédiments à proximité d’ouvrages de production. « En accélérant l’abrasion des turbines et en nécessitant la vidange fréquente des bassins d’accumulation d’eau, le transport de sédiments peut représenter un frein à la production hydroélectrique. »