Comment les végétaux ressentent-ils la chaleur ? C’est la question que se sont posée Anthony Guihur et ses collègues du Département de biologie moléculaire végétale et dont la réponse vient d’être publiée dans la revue Trends in Plant Science. Un monde complexe qui concerne bien plus que nos rebords de fenêtre.
En octobre 2021, le Prix Nobel de physiologie et médecine a été décerné à deux chercheurs américains, David Julius et Ardem Patapoutian, pour leurs découvertes de canaux sensibles respectivement à la chaleur et au toucher chez les humains. Et les plantes ? Face à cette découverte, Anthony Guihur, Mathieu Rebeaud, Baptiste Bourgine et Pierre Goloubinoff, de la Faculté de biologie et de médecine à l’UNIL, montrent que les végétaux ont un mécanisme de perception de la chaleur similaire.
Tout un processus pour faire face aux coups de chaud
Une chaleur excessive abîme les protéines d’une plante. Pour faire face à ces dégâts, un mécanisme de protection existe, et c’est bien celui-ci que le groupe de chercheurs a décrit dans son dernier article publié dans la revue Trends in Plant Science. Sur la membrane des cellules végétales se trouvent de petits canaux, nommés poétiquement CNGC (pour cyclic nucleotide gated channels), qui s’ouvrent lorsque la température environnant la plante augmente. Ce canal laisse entrer du calcium dans la cellule, le « messager par excellence », comme le décrit le premier auteur de l’étude Anthony Guihur. Ce calcium s’associe ensuite avec la calmoduline, une protéine qui va déclencher une cascade d’autres réactions. Au bout de la chaîne, une macromolécule spécifique au choc thermique (HSF pour heat stress transcription factor) s’active et entre dans le noyau de la cellule afin d’interagir avec l’ADN de la plante. Des « protéines chaperonnes » notamment sont synthétisées en réaction. Elles agissent telles des guérisseuses après ce coup de chaleur en protégeant et réparant les éléments qui ont été abîmés.
Si ce mécanisme fascine par sa complexité, il représente un coût énergétique pour le végétal qui se bat face à un choc. « C’est comme si la plante était en apnée, illustre Anthony Guihur. Elle cesse de respirer, et elle ralentit, voire arrête sa photosynthèse le temps de faire face à ce choc thermique. »
Les végétaux retiennent leur respiration et cessent de transformer de l’énergie et de croître afin d’éviter les dégâts. Ce phénomène est donc adapté, mais est aussi néfaste lorsque la chaleur persiste. Sans énergie transformée par la plante pendant trop longtemps, sa survie n’est pas garantie.
Les végétaux face au climat
Et c’est bien le problème lorsque le lien est fait avec le réchauffement climatique. Le dernier rapport du GIEC sorti en avril 2022 l’affirme : la planète devra endosser une augmentation de 1,5 °C d’ici 2040, au meilleur des cas. Sachant qu’une différence de 0,1 °C est déjà détectée par les végétaux, une hausse moyenne de 1,5 ° C accompagnée de vagues de chaleur sur certaines périodes de l’année risque d’être désastreuse :
« Ce sera probablement la mort de nombreuses espèces de plantes. Certaines se déplaceront, comme c’est déjà le cas. En Suisse, on peut déjà voir que de nombreux végétaux sont montés en altitude pour faire face au réchauffement climatique. Mais la hauteur de nos montagnes a une limite. »
Le scientifique précise que les écosystèmes seront largement impactés, mais différemment en fonction des espèces, et certaines, mieux adaptées à une hausse de température, prendront le dessus.
À quoi bon ?
Pourquoi continuer à étudier et ne pas baisser les bras ? En comprenant la complexité des espèces végétales, il est possible de mieux les protéger, se préparer, mais aussi, peut-être, transposer ces découvertes sur l’humain, puisque de nombreux parallèles peuvent être faits, comme l’a montré cette étude. « On est chercheurs, mais aussi citoyens. On a donc un rôle de sensibilisation, mais aussi d’action », continue Anthony Guihur.
De l’infiniment petit à l’infiniment grand
C’est donc en gardant le sourire que le postdoctorant détaille l’univers des plantes. « Il n’y a pas de sous-organismes », dit-il en montrant une image illustrant une cellule végétale. Sur celle-ci, il y a des éléments de toutes les formes et toutes les couleurs, imbriqués densément dans tous les sens, sans aucun espace vide. Une richesse immense mais invisible à l’œil nu.
« Travailler au niveau microscopique me permet de relativiser. Je fais le parallèle entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, c’est simplement une question d’échelle. Je peux extrapoler mon travail à ce qui passe dans l’univers : ce n’est pas parce que l’on ne voit pas les choses à l’œil nu qu’elles n’existent pas. Il reste encore tant de choses à découvrir, à explorer, à étudier et à comprendre. »
Un domaine qui mérite bien plus de visibilité que sur nos rebords de fenêtre, surtout en sachant l’impact qu’il a et aura sur nos vies : le rapport du GIEC parle notamment de 30% de nos rendements qui auront disparu à cause de l’effet du réchauffement climatique sur l’agriculture.