Notre consommation de médicaments n’est pas sans impact sur l’environnement, comme le rappelle Nathalie Chèvre, maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL.
Soixante tonnes. C’est la quantité de résidus de médicaments trouvée dans le lac Léman, d’après les études réalisées par la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman (Cipel). Et le constat est toujours le même, selon Nathalie Chèvre, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des géosciences et de l’environnement à l’UNIL.
Parmi ces 60 tonnes, près d’un tiers concerne une substance contre le diabète de type 2, la metformine. L’eau, ce miroir de notre société de consommation, est ainsi abreuvée de produits chimiques. « Les eaux usées sont comme une poubelle, une poubelle liquide », soupire l’écotoxicologue, qui s’exprimera le 30 avril lors d’un cycle de conférences sur l’impact environnemental des médicaments, organisé par la plateforme Durabilité et santé de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. L’occasion d’évoquer la question avec cette scientifique qui a longtemps étudié les pesticides, les cosmétiques et les médicaments.
« C’est sans fin. »
Nathalie Chèvre, maître d’enseignement et de recherche
Les premières recherches sur la question remontent aux années 2004-2005, grâce à l’évolution des technologies d’analyse. « On n’est pas capable de chercher toutes les substances médicamenteuses qui sont sur le marché en Suisse, explique Nathalie Chèvre. Il faut savoir que l’on en cherche une cinquantaine, soit environ 3%. Il est donc possible que l’on trouve, dans cinq ans, une autre substance que la metformine, en plus grande quantité, mais que l’on n’étudie pas actuellement. » Et d’ajouter : « Sur cette cinquantaine de produits, on possède des données de toxicité sur quelques-uns d’entre eux seulement. On sait par exemple que le diclofénac, un anti-inflammatoire, est nocif pour le foie, même chez les poissons, à faible dose. »
De plus, il ne faut pas perdre de vue qu’en se dégradant, ces composés donnent ensuite naissance à 10, 20 ou 30 autres éléments, qui ont leur toxicité propre, dont on ne sait quasi rien. « C’est sans fin », constate la spécialiste.
« Pseudo-persistantes »
La metformine n’est pas la seule à finir dans les lacs et les rivières de Suisse. On y trouve d’autres médicaments, comme le diclofénac ou des antibiotiques. Ces substances sont appelées « pseudo-persistantes », car elles sont constamment rejetées dans l’environnement. Et d’autres viennent s’y ajouter en fonction de nos changements d’habitudes. Aux États-Unis, lors du Covid, on a par exemple constaté une augmentation des biocides, que l’on trouve dans les gels désinfectants, dans les eaux. « Par extrapolation, on peut supposer qu’il en est de même en Suisse, estime l’écotoxicologue. Il y a en revanche des molécules, comme le paracétamol, que l’on retrouve peu, car il se dégrade bien dans les stations d’épuration. »
En Suisse, des stations d’épuration vont être progressivement équipées avec de nouveaux systèmes de traitement utilisant des filtres à charbon ou de l’ozone pour faire face à cette pollution, mais cela représente un coût financier et environnemental. Et sans être entièrement optimal, car certains résidus ne seront pas éliminés et finiront dans la nature.
« Tous nos gestes, toutes les substances que l’on utilise ne sont pas sans conséquence. »
Nathalie Chèvre, maître d’enseignement et de recherche
Pays industrialisés et densité de population
Cette pollution aux médicaments est plus marquée dans les pays riches, en raison d’un système de santé plus performant. « En Suisse, nous nous situons au début des cours d’eau, relève la scientifique. Nous sommes donc les premiers à polluer et nous n’héritons rien des pays voisins. » Cette pollution dépend de la densité de population dans le bassin versant, le Plateau suisse étant plus touché que les Alpes, une rivière de montagne moins qu’un cours d’eau en zone urbaine.
Mais comment limiter cette pollution face à la nécessité de se soigner ? Pour l’écotoxicologue, interdire n’est pas la solution. « Il faut surtout réduire ce que l’on fait entrer dans l’environnement, résume Nathalie Chèvre. Le secteur médical au sens large devrait réfléchir à la question. Il faut avant tout avoir une certaine sobriété. » La chercheuse rappelle que « tous nos gestes, toutes les substances que l’on utilise ne sont pas sans conséquence. Si nous étions dix sur la planète, les répercussions seraient faibles. Mais ce n’est pas le cas. Forcément, cela a un impact. »
Trois critères nécessaires
Pour qu’un médicament se retrouve en grande quantité dans les eaux, il y a trois critères à considérer. « D’une part, que la substance soit consommée largement par la population, développe Nathalie Chèvre, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des géosciences et de l’environnement à l’UNIL. D’autre part, qu’elle soit utilisée à des dosages élevés et qu’elle ne soit pas métabolisée par le corps, car certaines sont transformées par notre organisme et se retrouvent dans les eaux sous forme dégradée. »
La spécialiste travaille actuellement sur ces questions avec ses étudiants et ses étudiantes. L’idée est de développer des approches qui permettraient de montrer les effets à long terme de ces substances, ceci dès les stades précoces de développement. Par exemple en observant des changements sur des biomarqueurs moléculaires. Elle travaille avec des microcrustacés comme les daphnies, qui sont de bons modèles de laboratoire.
Cycle de conférences « Santé – environnement : la place du médicament », organisé par la plateforme Durabilité et santé de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, 30 avril et 28 mai, 12h15-13h15, auditoire Beaumont, CHUV, Lausanne