Le temps qui passe marque les corps et les esprits de chacun. Pour sa thèse de doctorat récemment défendue, Calida Mrabti a voulu lever le voile sur les mystères du vieillissement et la façon dont l’environnement peut l’influencer. Elle a mené une expérience dans laquelle elle a réussi à accélérer le vieillissement de souris grâce à une modification épigénétique. Explications.
« En faisant une modification d’une seule petite protéine, j’ai fait vieillir une souris prématurément. La marge existante pour avoir un impact sur le processus est immense, il reste de grandes possibilités à explorer. » Calida Mrabti vient de terminer un doctorat à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL dans le laboratoire Ocampo. Pour son travail de thèse, elle a voulu mieux comprendre le fonctionnement du vieillissement : « C’est un sujet très important dans nos populations vieillissantes. Le but n’est pas de vivre éternellement, mais de vivre en bonne santé », précise-t-elle. Qui ne rêverait pas en effet de continuer à croquer la vie à pleines dents sans problème de santé passé ses 80 ans ?
Une question de gènes, mais pas seulement
La fascination de la chercheuse pour cette thématique du vieillissement prend racine dans la diversité du vécu de chacun : « Des jumeaux qui ont exactement le même patrimoine génétique ne vont pas forcément vieillir de la même façon en fonction de leur travail, de leur stress ou encore de l’endroit où ils vivent. Un pourrait avoir l’air d’avoir 60 ans et l’autre 40. » La question est de savoir pourquoi, et c’est bien ce mystère qu’elle a voulu éclaircir lors de son doctorat.
La scientifique explique : « Au cours de notre vie, on est sujet à des stress, on accumule des dommages de l’ADN ou encore des oxydations. Avec le temps, nos cellules résistent moins à tout cela et elles se réparent moins bien. C’est ça le vieillissement. » Pourquoi deux jumeaux pourraient-ils vivre cela différemment ? Par le mécanisme de l’épigénétique, ou la modification de l’expression des gènes par l’environnement (voir encadré ci-dessous), dont la chercheuse a justement tenté de percer les mystères.
L’épigénétique, ou l’étude des modifications qui influencent l’expression des gènes, possède plusieurs mécanismes. Parmi ceux-ci, il existe la méthylation qui consiste en un ajout de groupes chimiques (méthyles) à l’ADN, souvent pour empêcher un gène de s’exprimer. Les histones, des protéines qui permettent à l’ADN de s’enrouler, peuvent aussi subir une méthylation qui peut soit activer, soit réprimer un gène. Ces mécanismes sont influencés par l’environnement, comme l’alimentation ou le stress, et peuvent même être transmis aux générations suivantes.
La protéine qui change l’avenir
Pour explorer le phénomène du vieillissement, Calida Mrabti a étudié des souris modifiées génétiquement. Chez cette lignée de souris, trois gènes responsables de la synthèse d’une protéine spécifique du nom barbare de « H3K9me3 » (pour histone 3 lysine 9 triméthylation) ont été enlevés. « Ce n’était pas un hasard qu’on s’intéresse à cette protéine. C’est connu dans la littérature qu’elle diminue au cours du vieillissement. » Cela étant plus facile à dire qu’à faire, il a fallu presque deux ans pour générer ces souris, continue la docteure fraîchement diplômée : « Pour éviter d’avoir des problèmes liés au développement, on a décidé d’induire la perte des trois enzymes à l’âge adulte. Il a fallu croiser cette souris, dont les trois gènes étaient déjà supprimés, avec une autre pour qu’on puisse induire la perte de H3K9me3 quand on le décidait, par un traitement. » Avec une seule dose de ce traitement, les résultats n’étaient pas convaincants. « Je galérais, explique-t-elle. Mes collègues pensaient que je n’y arriverais pas. » Un peu par hasard, elle a osé refaire une deuxième injection du traitement quelques mois plus tard. « C’était un cas de sérendipité. On a trouvé que dès la deuxième injection aux souris âgées de cinq mois et demi celles-ci commençaient à changer. »
Une souris jeune, une souris moins jeune
Ce changement fut rapide : les souris ont commencé à se recroqueviller, à perdre de la masse musculaire, leur peau devenait plus fine, la cataracte est apparue… Pas de doute, ces souris vieillissaient… trop vite.

Après plusieurs tests, la chercheuse s’est rendu compte que ces souris subissaient aussi des modifications de comportement semblables à ce que l’on retrouve généralement chez les individus âgés : perte d’activité, anxiété, perte de force musculaire. Les organes, aussi, étaient atteints : les tissus du rein, de la rate et du foie ressemblaient à ceux d’individus âgés. « Les souris vivaient à 6-8 mois ce qui est habituellement vécu à 18-24 mois », explique-t-elle.
Fait intéressant, le cerveau, lui, est resté celui de jeunes souris : « Je n’ai pas observé de changements au niveau de la mémoire par exemple. Il faut préciser que c’est un modèle du vieillissement, ça ne va pas récapituler tout ce qu’on observe dans le vieillissement naturel. J’ai joué ici avec H3K9me3, mais il y a plein d’autres éléments sur lesquels travailler. »
Une pilule pour rajeunir ?
Puisque le vieillissement a pu être accéléré, rien n’empêche de pouvoir le ralentir… voire prendre le chemin inverse et rajeunir. « Ce qui est fascinant est que l’épigénétique est plastique, raconte la chercheuse en souriant. On peut retourner dans le temps, le vieillissement n’est pas gravé dans le marbre. » C’est justement ce qu’explore son laboratoire, qui a démontré qu’il était possible de rajeunir des souris atteintes de vieillissement prématuré et d’allonger leur durée de vie grâce à la reprogrammation de certaines cellules. Mais la potion magique qui nous rendrait nos 20 ans n’est pas pour tout de suite : « Il y a encore un problème de toxicité dans ce processus. Le vieillissement est très complexe. C’est pour ça qu’on n’a toujours pas trouvé de médicament miracle », conclut Calida Mrabti.
Même si de nombreux mystères subsistent encore autour de nos corps marqués par le stress, les événements et les souvenirs, la recherche semble effacer un peu plus les incertitudes. Cette ligne du temps qui traverse le vieillissement, autant fascinante que malléable, se dévoile lentement grâce aux avancées scientifiques.
Pour aller plus loin…
- Parcourez la recherche de Calida Mrabti et ses collègues, Loss of H3K9 trimethylation leads to premature aging sur la plateforme Pubmed. (Ce manuscrit est un preprint, signifiant qu’il n’a pas encore été vérifié par des expert·e·s.)
- Apprenez-en plus sur les travaux du laboratoire Ocampo travaillant sur les mécanismes épigénétiques du vieillissement et la reprogrammation des cellules.