En préambule à la récente Rencontre d’été organisée par la Direction, les sociologues Lucie Schoch et Fabien Ohl, de l’Institut des sciences et du sport de l’UNIL (Issul), ont présenté les recherches en sciences du sport. Où le monde sportif, tout à la fois microcosme et révélateur des travers et inégalités à l’œuvre dans nos communautés, apparaît aussi comme le lieu idéal d’où faire évoluer les mentalités.
Vous contribuez tous les deux au projet de Global Observatory for Gender Equality & Sport, réalisé conjointement par l’UNIL, la Ville de Lausanne, le Canton de Vaud, la Confédération suisse et l’Unesco. Quel est le rôle de cette institution ?
Lucie Schoch : C’est une nouvelle organisation qui vise à créer un mouvement mondial cohérent pour l’inclusion et l’égalité de genre dans et par le sport. Elle n’a véritablement pris son envol qu’au printemps, elle est donc très jeune.
La connexion entre l’observatoire et l’Unesco laisse entendre que sa portée dépasse largement les frontières helvètes…
L. S. : Absolument, le projet est soutenu par plus de 150 pays ! Il s’est fixé trois missions principales : collecter des données et réaliser un état des lieux de l’égalité hommes-femmes dans le sport à l’échelle mondiale ; faire office de « hub » international et connecter les différents acteurs engagés dans la poursuite de l’égalité de genre dans et par le sport. Et enfin, aider les gouvernements et les organisations sportives à mettre en place de bonnes pratiques.
Comment la question du genre s’inscrit-elle dans vos recherches ?
L. S. : Le sport est un monde où les inégalités sont très saillantes. En Suisse, la proportion d’hommes et femmes qui en font est à peu près équilibrée, mais ce n’est de loin pas le cas dans d’autres pays. En outre, les femmes recherchent moins la compétition et le cours de leur vie marque davantage leur pratique – beaucoup s’arrêtent lors d’une maternité, par exemple. Mes recherches actuelles portent plus spécifiquement sur ce qui se passe dans la gouvernance et le leadership. La sous-représentation des femmes et leur faible participation à la prise de décision restent flagrantes. À l’heure actuelle, seules 8% de femmes occupent des postes de direction dans le monde sportif associatif en Suisse. C’est encore moins que dans le monde des affaires. Viola Amherd a décrété que d’ici 2024 elles devraient être au moins 40% à ce niveau. Il y a du pain sur la planche !
On imagine aisément que ces différences sont plus marquées dans d’autres pays…
L. S. : Effectivement, les pays les plus conservateurs sont aussi ceux où le sport est le moins accessible aux femmes. Ce qui ne va pas sans poser des problèmes à tous les niveaux de la société. L’impact positif de ce type d’activité sur la santé est documenté ; on sait également que cela permet de développer des compétences interpersonnelles transposables dans le monde du travail…
Fabien Ohl : Le sport est un terrain de conservation des normes traditionnelles de la masculinité. C’est par conséquent un excellent point de départ pour les questionner, tout comme pour interroger la manière dont hommes et femmes interagissent. Le sport peut ainsi être utilisé comme un levier pour infléchir les normes sociales et favoriser une société plus inclusive.
Qui dit « inégalités » pense souvent « femmes »… Les hommes sont-ils vraiment épargnés ?
F. O. : Les enquêtes montrent que les hommes souffrent aussi de harcèlement et de maltraitance dans le sport. À l’entraînement, ils courent davantage de risques de se blesser, parce qu’on les pousse à oser, à montrer leur courage, à ne pas écouter leurs craintes ou leurs souffrances. La prévalence des décès et des blessures liés au sport est beaucoup plus élevée chez les hommes. L’idée consiste véritablement à amorcer un questionnement sur ces normes qui incitent les hommes à se mettre davantage en danger.
Mais comment étend-on une telle réflexion à la société dans son ensemble ?
F. O. : Par exemple, le sport participe à une socialisation qui conduit à associer la masculinité à la puissance, la force ou la prise de risques. Cela peut avoir des effets dans plusieurs domaines comme sur les violences ou l’usage de la voiture en tant que symbole de virilité et de statut social. Ces normes freinent les évolutions nécessaires de nos styles de vie, notamment pour aller vers une société plus durable.
Comment vos recherches sont-elles perçues ?
F. O. : Ce domaine de recherche est très récent à l’UNIL. Donner une légitimité aux sciences du sport n’a pas été une mince affaire. Mais au cours de ces deux décennies, nos formations et nos recherches ont suscité plus d’intérêt. Le sport a une légitimité en dehors du monde académique, surtout à Lausanne, qui nous a aidés à convaincre de l’intérêt scientifique des recherches dans ce domaine et de l’utilité d’avoir un usage critique du sport pour agir sur la société plus largement.