Le langage, cet épouillage social essentiel

Bruno Maurer a publié trois ouvrages de grammaire ce printemps. Pour rappeler que la langue est un outil de communication pour le vivre-ensemble.

Bruno Maurer a publié trois ouvrages de grammaire ce printemps. Pour rappeler que la langue est un outil de communication pour le vivre-ensemble. Comme chez les animaux.

Des normes et des règles, vous n’en trouverez pas dans la Grammaire française du vivre-ensemble. C’est une « grammaire différente, précise d’emblée Bruno Maurer. Une description du réel, pas de l’idéal. » Ce professeur ordinaire à l’École de français langue étrangère de la Faculté des lettres de l’Unil revisite 123 outils pour « faire société », mettre en avant des formes « qui évitent les conflits et traduisent le respect de l’autre ».

Car le langage, c’est exister. La conversation est une « occasion de rejouer chaque fois le vivre-ensemble », écrit-il. Trois déclinaisons, trois universaux du langage : se respecter, se dire, se parler. Le premier, socle fondamental, a trait au respect de soi et des autres au travers des mots, par l’usage de termes adéquats, d’euphémismes ou autres formulations. Par le choix des temps aussi. Là où le présent peut agresser, l’imparfait peut apaiser, le conditionnel atténuer. Même les points de suspension deviennent une invitation au partage et à la connivence. « On se parle pour se montrer qu’on se respecte », explique le linguiste.

Le second, se dire, consiste à « exister à travers sa parole, à exprimer ce que l’on appelle sa subjectivité ». Ou quand le langage nous rend sujets. Quant au troisième, se parler, il s’agit d’inclure l’autre dans son discours, lui faire une place à part entière. « Se parler, ce n’est pas parler tout seul. » Et le linguiste de rappeler que « donner un ordre n’est jamais bon pour le vivre-ensemble » et que « le non est plus délicat que le oui ».

Pourquoi trois ?
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Grammaire française du vivre-ensemble et L’Essentiel de la grammaire française sont les pendants grand public de Grammaire française de l’intersubjectivité. Théorie du langage, description grammaticale, un ouvrage de Bruno Maurer dédié aux spécialistes.

Le professeur ordinaire de l’École de français langue étrangère a donc réalisé deux livres plus abordables. « La Grammaire du vivre-ensemble, c’est ce que les gens font vraiment avec le langage quand ils parlent. Avec L’Essentiel de la grammaire française, on passe de ce qui se fait réellement aux règles de base de la langue. »

Se parler comme on s’épouille

« Dans les grands groupes humains, le langage est un substitut des modes de communication animaux. Un substitut d’épouillage, image le scientifique. C’est l’instrument qui nous permet de dire aux autres qu’ils existent pour nous, qu’on les reconnaît comme des sujets, et c’est le moyen, pour les autres, de nous dire que nous existons. L’essentiel de la communication, sa fonction de base, est de vérifier que l’on existe dans les yeux des autres. »

Et ne dites pas à Bruno Maurer que les banalités sont banales. « Ce sont les choses les plus importantes de la vie ! C’est le degré zéro de l’épouillage, le degré langagier de l’épouillage. En parlant, on est ensemble », rappelle le spécialiste. Et de compléter : « L’essentiel de notre parole, c’est la conversation ordinaire. Dans celle-ci, la fonction la plus essentielle est de se respecter. Si cette fonction-là n’est pas remplie, la communication s’arrête. »

Naissance d’une maison d’édition

Si les voyages forment la jeunesse, ils font aussi germer les idées. L’Essentiel de la grammaire française naît dans la tête de Bruno Maurer lors d’un séjour aux Seychelles. Le professeur ordinaire à l’École de français langue étrangère de l’Unil y œuvre à la construction des programmes d’enseignement primaire et secondaire en créole, français et anglais. Dans l’avion du retour, il songe à ce nouvel ouvrage et en dresse le plan à partir d’autres universaux du langage présents dans son livre Grammaire française de l’intersubjectivité : les opérations de pensées et de langage.

Faute d’éditeur, Bruno Maurer crée Langues-pourtous, avec deux collections, Vivre-ensemble et L’Essentiel. « Ces collections permettent de montrer la diversité de l’esprit humain derrière l’universel. Ce qui m’intéresse dans les langues, c’est leur aspect anthropologique. Le but de ces collections est de les comparer entre elles. »

D’autres publications sont en préparation : l’anglais, l’italien et le grec moderne dans les deux collections. Le russe, le portugais et l’espagnol, mais aussi le wolof, le baoulé, le dioula, le vietnamien et le créole haïtien pour L’Essentiel.

« Discours de la peur »

Mais Bruno Maurer ne se limite pas à la grammaire. Auteur de l’ouvrage Le Covid en ses discours, il analyse également les discours scientifiques, médiatiques et politiques dans leur situation d’énonciation. « Le discours représente toute parole située dans une sphère sociale, précise-t-il. Dans nos sociétés, ce sont des instruments de pouvoir, des outils de gouvernementalité. »

Dans un contexte géopolitique tendu, la parole devient une arme. « De nombreux discours modifient actuellement la pratique démocratique. Trump n’est pas le seul à le faire, souligne le linguiste, qui prévoit de faire paraître un ouvrage sur la question prochainement. Ce qui me frappe dans la société actuelle, c’est l’émergence de types de discours simplificateurs, des discours de la peur, qui transforment le rapport à la citoyenneté. Car la peur, c’est l’obéissance, l’abandon de l’esprit critique. »

A découvrir

Grammaire française du vivre-ensemble, Bruno Maurer, Langues-pourtous, 2025

L’Essentiel de la grammaire française, Bruno Maurer, Langues-pourtous, 2025

Grammaire française de l’intersubjectivité. Théorie du langage, description grammaticale, Bruno Maurer, Honoré Champion, 2025

Le Covid en ses discours, Bruno Maurer, éditions EAC, 2024