Rencontre avec François Gemenne, spécialiste belge du climat et coauteur du sixième rapport du GIEC. Invité par l’UNIL à l’occasion des 20 ans des facultés de biologie et de médecine (FBM) et des géosciences et de l’environnement (FGSE), il donnera fin novembre une conférence à l’UNIL sur la durabilité.
Face à ce qui apparaît aujourd’hui comme « l’enjeu du XXIe siècle », quels rôles l’enseignement supérieur et la recherche ont-ils à jouer ? Grand invité de l’événement conjoint organisé par la Faculté de biologie et de médecine (FBM) et la Faculté des géosciences et de l’environnement (FGSE), pour l’anniversaire de leurs 20 ans, François Gemenne, spécialiste des enjeux climatiques et des migrations, parlera durabilité au palais de Rumine le 30 novembre prochain, à l’occasion de la conférence « keynote ».
Figure médiatique de renom, François Gemenne est un chercheur et politologue belge, auteur de plusieurs livres sur le climat, et surtout coauteur du sixième rapport du GIEC. Directeur de l’Observatoire Hugo dédié aux migrations environnementales à l’Université de Liège, il enseigne également à la Sorbonne, à Sciences po et même, depuis la rentrée 2023, au sein de la HEC de Paris. Si ses multiples casquettes lui confèrent sans aucun doute un œil d’expert sur la thématique du climat, François Gemenne n’a rien pourtant d’une figure militante ou alarmiste. Rencontre.
François Gemenne, à votre avis est-il encore possible aujourd’hui de parler climat ou durabilité sans devenir un vecteur d’angoisse ?
Bien sûr ! Il faut orienter la communication sur toute une série de projets concrets et de solutions auxquels les gens peuvent avoir intérêt. Je crois en effet que le problème majeur de la communication sur ces questions donne actuellement à penser que l’action climatique est une contrainte qui nous tombe dessus, donc une suite d’efforts à réaliser ou de sacrifices auxquels consentir. Et personne n’a envie de ça. Personne ne se lève le matin en se réjouissant des efforts à fournir et des sacrifices à accepter. L’enjeu, c’est donc de faire en sorte que cela devienne non pas une contrainte à laquelle on voudrait se soustraire, mais un projet qui nous mobilise, nous rassemble et qui potentiellement puisse fonder un nouveau contrat social. Mais c’est compliqué et je ne prétends pas avoir de recette miracle.
Quel est le rôle des scientifiques dans l’établissement de ce nouveau contrat social ? Jusqu’où ce dernier relève-t-il, selon vous, de leur responsabilité ?
Je pense que c’est important qu’ils essaient de dégager des solutions et qu’ils ne se contentent pas du rôle de « lanceurs d’alerte ». Aujourd’hui les gens sont suffisamment alertés et l’enjeu n’est plus là. Il y a désormais un rôle d’explication et de pédagogie à prendre par les scientifiques. Il y a par exemple toute une série de mécanismes, assez basiques en fait, relatifs au fonctionnement du climat, qui restent méconnus de la population. Lorsqu’on demande aux gens en France quelle est l’action quotidienne qu’ils font pour le climat, la plupart d’entre eux citent le tri de leurs déchets. C’est une action utile certes, mais dont l’impact climatique est négligeable. C’est bien la preuve qu’il y a encore malheureusement une grande confusion qui règne.
Je pense également que les scientifiques doivent montrer aux gens comment, est-ce qu’à partir du constat, grave et posé que l’on connaît tous, il est malgré tout encore possible d’agir. Jusqu’ici les solutions dégagées ont été expliquées aux gens de façon culpabilisatrice. On leur a demandé de renoncer à des choses. Je ne suis pas sûr que ce soit par là qu’il faille commencer.
Il y a donc un problème dans la communication autour de ces problématiques ?
L’enjeu de la communication autour de ce sujet est réel et fondamental, cela dans l’enseignement, mais aussi dans les médias. Il est fondamental d’ancrer cette communication dans la science plutôt que dans le militantisme ou l’idéologie. Actuellement je suis un peu inquiet de constater comme en France – et j’imagine que ça ne se passe pas très différemment en Suisse – toute une série de propos sur ces sujets deviennent idéologiques ou militants et se détachent parfois un peu de la réalité scientifique. Je suis par exemple très frappé de voir le nombre de messages qui commencent par « Les scientifiques disent que… » ou « Le GIEC dit que… » alors que la plupart du temps le GIEC ou les scientifiques ne disent pas cela du tout.
Je crains que la confusion qui règne aujourd’hui entre sciences et militantisme ne rebute une partie de la population, qui va se détacher des discours scientifiques, parce qu’elle ne se reconnaît pas dans les combats militants. Alors même que par nature la crise climatique est un problème qui requiert un large rassemblement.
Selon vous, comment faudrait-il procéder pour redonner foi dans les discours scientifiques ?
Vaste question. Je pense tout d’abord que cette problématique s’inscrit dans un mécanisme de défiance beaucoup plus profond vis-à-vis de l’ensemble des institutions de la démocratie. On retrouvera foi dans la parole scientifique à partir du moment où on retrouvera foi dans les institutions de la démocratie. Le problème est donc, je crois, davantage politique.
À plus petite échelle, je pense toutefois que le rôle des chercheurs est de parler à tout le monde, donc en essayant de s’abstenir de posture militante qui, pour les gens, les placerait dans un camp plutôt que dans un autre. Je conçois que cela puisse être difficile à tenir. Lorsqu’on voit la détérioration de la situation sur le climat, il est légitime de vouloir alerter davantage. À mon sens il est naturel de vouloir s’engager, mais je pense que les scientifiques devraient veiller à le faire en tant que citoyens. Il ne faut pas qu’en rejetant le militantisme, les gens rejettent la science. Je m’inquiète en effet que la science devienne une affaire de croyances et d’opinions, comme c’est déjà beaucoup le cas aux États-Unis.
Parlons maintenant de l’enseignement supérieur. Quelle place la durabilité devrait-elle prendre ?
Au-delà de l’enjeu basique d’introduire déjà un cours de formation aux enjeux écologiques dans toutes les facultés, je pense que le véritable enjeu, plus profondément dit, c’est celui de la transformation de tous les cours et de l’équipement des étudiants avec des outils qui puissent leur permettre de gouverner cette époque nouvelle, l’anthropocène.
La durabilité fait partie des sujets longtemps confinés dans des facultés spécialisées. Pourtant je pense qu’il est fondamental de ne pas cantonner les questions de climat ou d’environnement à une seule case. Non seulement je pense qu’il faudrait l’enseigner dans toutes les facultés, mais je pense aussi que tous les cours devraient réfléchir à ce que l’éruption du bouleversement climatique, comme nouvelle donne fondamentale, change à la matière du cours. Peut-on encore enseigner la finance internationale, la santé publique ou la géographie comme on le faisait avant ?
À plus large échelle, qu’est-ce que cela impliquerait pour l’institution ?
On a construit l’essentiel de nos connaissances et de nos enseignements en séparant strictement les départements de sciences sociales des départements de sciences naturelles. Mais on se rend compte aujourd’hui de la nécessité de réunir cela. Cette distinction n’a plus réellement lieu d’être, notamment dans les cas de santé humaine, de santé environnementale ou planétaire. On se rend en effet compte qu’il y a des liens très forts entre la question de la santé du corps humain et l’état de santé de la planète. À mon sens, il faudrait aujourd’hui penser davantage par sujets que par disciplines.
Retrouvez toutes les informations sur la conférence « keynote » de François Gemenne le 30 novembre au palais de Rumine, ainsi que sur l’ensemble des activités organisées à l’occasion des 20 ans de la FBM et de la FGSE directement sur les sites dédiés à cet anniversaire conjoint.
Pour suivre en ligne la conférence de François Gemenne, c’est par ici.