Professeur à la Faculté de biologie et de médecine et chef du Service de médecine génétique du CHUV depuis le 15 janvier 2024, Cédric Le Caignec nous plonge dans le secret des gènes.
Il faut entrer sur la pointe des pieds dans l’univers de la génétique quand on ne possède pas les bases nécessaires pour s’y aventurer. Car le domaine, pourtant enseigné par le professeur Le Caignec en première année de médecine à l’UNIL, ne se donne pas facilement à comprendre. Lors de sa récente leçon inaugurale au CHUV, sur le thème « la génétique de l’autisme pour les non-généticiens », il a abordé d’une manière vive la question de cette maladie aux phénotypes variés : le trouble du spectre autistique (TSA) peut être isolé ou associé à d’autres signes, dont la déficience intellectuelle, pour certains, ou le TSA de type Asperger, pour d’autres. Le phénotype est variable en fonction notamment des gènes mutés, mais aussi du type et de la quantité des variations sur plusieurs gènes.
En France, le professeur Le Caignec (qui aime se définir comme breton) a beaucoup travaillé – et continue au CHUV – sur les maladies génétiques rares (par exemple la mucoviscidose, où le fait de porter un gène CFTR muté transmis par la mère et l’autre par le père, et non un seul gène muté, provoque la maladie), l’oncogénétique (les prédispositions au cancer) ou encore le diagnostic prénatal ou préimplantatoire. Dans cet article nous abordons l’autisme et, dans une moindre mesure, la schizophrénie, deux maladies qui touchent au fonctionnement synaptique, avec un diagnostic différent mais quelques traits en commun, et toutes deux influencées dans leur évolution par l’environnement.
Ne pas réduire la personne à son diagnostic
« On ne peut pas aborder l’autisme ou la schizophrénie uniquement sous l’angle de la pathologie ; même s’il y a toujours des souffrances, la présentation clinique est très variable, parfois ou par moments ce sont juste des particularités pas forcément pathologiques, si bien qu’il ne faut pas réduire la personne à son diagnostic », esquisse le professeur. Les patients concernés par un trouble du spectre autistique (TSA) présentent tous, peu ou prou, des « difficultés d’interactions sociales et des intérêts restreints que certains vont explorer de manière très approfondie ». À titre d’exemple fameux d’un autisme Asperger revendiqué, Cédric Le Caignec cite Elon Musk…
La part génétique du TSA est estimée à 80% : il s’agit de «l’héritabilité», qui n’est pas nécessairement héritée, ou pas d’une manière directe via un parent ou des membres identifiés dans la famille ; ce pourcentage génétique est comparable pour la schizophrénie. Dans d’autres cas (20%) la maladie est déclenchée par des facteurs environnementaux (par exemple, au cours de la grossesse, des médicaments ou certaines infections virales). Le rôle du microbiote de l’enfant est une hypothèse actuellement très discutée.
Différentes formes d’héritabilité
Comment se décline l’héritabilité ? Le professeur Le Caignec cite au moins deux situations différentes : la première (10 à 20% des patients) implique presque toujours un autisme (ou une schizophrénie) avec déficience intellectuelle car la maladie dérive alors d’un gène très important pour le bon fonctionnement cérébral ; une fois mutés (phénomène fort heureusement rare), ces gènes tels que les trois membres de la famille SHANK, très impliqués dans le fonctionnement synaptique, entraînent une telle déficience.
Plus d’une centaine de gènes différents peuvent être porteurs de ce type de variation génétique et ont alors un effet très fort sur le TSA. Les cent gènes (et plus…) connus pour entraîner un TSA en cas de mutations rares à effet fort ne sont en outre pas uniquement associés au fonctionnement synaptique ; ils peuvent participer à la structure de l’ADN qui, subissant une altération, va déréguler ces gènes lors d’un « remodelage chromatinien » et faire émerger la maladie…
Petites variations sur plusieurs gènes
La deuxième situation d’héritabilité concerne au contraire des variations fréquentes dans la population générale (mais encore plus chez les patients TSA), quoique à effet faible sur le déclenchement de la maladie. « Chez la majorité des personnes avec TSA on ne trouve pas un gène très fort qui explique la maladie, mais quantité de petites variations ; une seule ne suffisant pas à déclencher les symptômes, on parle de poids mutationnel quand on a une combinaison de dizaines de ces variations sur des gènes différents, car alors on passe un certain seuil qui fait émerger les particularités cérébrales associées à ces maladies. On peut donc être porteur de certaines de ces variations génétiques et ne présenter aucun signe clinique », décrit notre professeur. Le part de ces variations fréquentes à effet faible dans l’héritabilité est encore difficile à estimer. Actuellement, elle serait évaluée à moins de 10%.
Pas une seule cause
Ces variations génétiques peuvent être fréquentes et présentes dans la famille (mais sans effet fort sur le TSA) ou au contraire apparaître de novo lors de la phase de réplication de l’ADN au cours de la formation des gamètes (par exemple s’agissant de l’un des gènes SHANK à effet fort). Le plus souvent, les variations fréquentes à effet faible concernent des gènes différents de la centaine dont le dysfonctionnement rare engendre un effet fort ; cependant, comme le précise notre spécialiste, « il peut s’agir aussi de gènes parmi cette centaine mais avec des mutations forcément différentes, sans effet dévastateur qui casse le gène et le rend inopérant, plutôt donc une variation où la protéine pourra encore jouer son rôle quoique de manière un peu affaiblie, et cette petite dérégulation sur un gène va sans doute contribuer au TSA mais certainement pas en être à elle seule la cause ».
Le mystère demeure
Cédric Le Caignec souligne que pour ces patients dont la maladie relève de l’héritabilité (par opposition à l’environnement) mais porteurs de variants fréquents à effet faible, une analyse génétique ne va logiquement pas révéler un événement fort (héréditaire ou de novo) responsable de l’apparition d’un TSA souvent associé à un autre symptôme tel que la déficience intellectuelle. Pour ces patients, l’analyse génétique ne changera donc rien à la connaissance de leur maladie ni à leur prise en charge.
Enfin, une troisième situation génétique pourrait impliquer des variants rares, cette fois à effet faible, mais on les connaît encore mal. Ils pourraient éclairer « the missing heritability, soit la part génétique de la maladie qui ne s’explique ni par les variants rares à effet fort, ni par les variants fréquents à effet faible », précise Cédric Le Caignec.
Diagnostic génétique prénatal
Un mot, pour terminer, sur le diagnostic génétique prénatal, demandé lorsqu’une échographie révèle de manière assez précise une anomalie pouvant faire suspecter une maladie génétique, autrement dit, le plus souvent, après le cinquième mois de grossesse. « Analyser 5000 gènes pour une anomalie cérébrale est un travail qui prend du temps, côté technique et côté interprétation », souligne le professeur. Selon le problème suspecté, l’analyse porte sur nettement moins de gènes : « Si c’est une malformation cardiaque, on va analyser quelques dizaines de gènes seulement car, en l’état, on connaît beaucoup plus de gènes susceptibles d’intervenir dans un dysfonctionnement cérébral que dans une anomalie cardiaque. Pour le prénatal, nous avons un circuit en urgence mais on devrait pouvoir faire mieux avec plus de généticiens et plus de moyens », considère le spécialiste.
En effet, le temps presse et il devient très délicat de préconiser à la patiente concernée une interruption médicale de grossesse à six ou sept mois. La génétique médicale reste donc à tout moment, et quelle que soit la maladie, un domaine proche des soins face à des personnes bien réelles, pas uniquement des pourcentages. Une réalité que Cédric Le Caignec prend très à cœur.