Un ouvrage passionnant co-écrit par les professeurs Olivier Garraud et Jean-Daniel Tissot narre, sous l’angle biologique et culturel, les histoires du sang comme source de vie et biothérapie.
Formé et reconstitué principalement dans la moelle osseuse, le sang nous apporte des molécules d’oxygène via l’hémoglobine au sein des globules rouges, mais pour cela nous avons besoin de fer et assimilons bien celui de la viande rouge, notamment. Certains légumes font l’affaire et un riz transgénique offre des perspectives pour combler les carences. Le chocolat noir se hisse, lui aussi, sur ce podium métallique et stellaire. Il faut entrer en douceur dans le livre des deux médecins hématologistes Olivier Garraud et Jean-Daniel Tissot (doyen de la FBM entre 2015 et 2021). Sinon on risque de se perdre dans l’abondance des informations, délivrées, il faut le préciser, dans une langue limpide qui s’adresse à un vaste public.
Autres composants sanguins
Comment gérer la circulation entre « le soi et le non-soi » sinon grâce aux globules blancs qui assurent notre défense immunitaire, au risque parfois de surréagir (maladies auto-immunes) ? Ce n’est que le début de toutes les questions et réponses apportées dans Il était une fois le sang. Un troisième acteur sanguin s’annonce déjà : les plaquettes, des cellules essentielles pour la coagulation, phénomène vital qui ne pourrait toutefois pas se produire sans cet autre composant sanguin qu’est le plasma, lequel convoie dans notre organisme des hormones, des virus pas forcément tous dangereux, ou encore, via l’albumine, les médicaments que nous prenons. Vous suivez toujours ?
L’anémie des femmes ayant leurs règles se conçoit bien, mais pourquoi durant la grossesse ? Parce que les globules rouges supplémentaires sont dilués dans un volume encore plus important de plasma ! Les facteurs de coagulation sont boostés : il faut répondre à la fois aux besoins du fœtus et à ceux de la parturiente en cas de perte sanguine lors de l’accouchement…
Le sang des autres
La question des groupes sanguins n’est pas la plus facile à appréhender, surtout en cas de transfusion, puisque nos anticorps sont prompts à attaquer les antigènes associés aux globules rouges et présents en quantités très différentes d’un individu à l’autre. Un receveur A ne peut tolérer que les globules porteurs de A ou de O, un receveur B acceptera les globules B et O, un receveur AB prendra tous les globules rouges (et pourra aussi donner du plasma à tout le monde), tandis que le receveur O ne pourra être fourni que par des globules O, un désavantage évident, mais les sujets O sont par ailleurs moins sensibles au parasite du paludisme (mais plus à la tuberculose…) et feraient une forme de Covid moins sévère (43% des Européens appartiennent au groupe O). Quoi qu’il en soit, les anticorps d’immunisation (et autres types d’anticorps) restent la bête noire des spécialistes avant chaque transfusion (de globules rouges ou de plaquettes) ou lors d’une transplantation de cellules souches de moelle osseuse (chose frappante et à surveiller car le sang nouvellement créé en soi sera celui d’un autre).
Nouvelles thérapies
Vous êtes toujours du voyage ? Car plusieurs bêtes noires guettent nos organismes, comme les leucocytes tumoraux, qui ne permettent plus à la moelle de produire correctement les autres cellules sanguines (manque de globules rouges, de plaquettes avec risques hémorragiques et diminution des globules blancs normaux avec risques infectieux). Avant l’ère des transfusions de plaquettes, on voyait des enfants leucémiques saigner de partout. De nos jours, on peut cibler des molécules actives à la surface de ces cellules malades et les désactiver grâce à d’autres molécules ou des mécanismes dont la découverte a donné lieu à un Prix Nobel en 2018.
Attentifs aux injustices et connaisseurs d’autres sphères que l’Occident, les deux auteurs pointent à la fois les espoirs et les coûts engendrés par ces nouvelles thérapies. Ils sont également réservés au sujet des promesses médicales des biomarqueurs, basés sur l’analyse des protéines dans le sang et susceptibles de débusquer préventivement des maladies comme alzheimer, le diabète ou les cancers, avec un potentiel très lucratif pour l’industrie pharmaceutique. Pourtant, « il est inutile de bien faire ce qu’il est inutile de faire », suggèrent les auteurs.
Une « bio-prostitution » silencieuse
Notre sang se montre généreux avec nous… mais aussi avec des parasites, des virus et des bactéries, qui sont autant de menaces pour la transfusion. Un chapitre revient ainsi d’une manière éclairante sur le fameux scandale du sang contaminé (1980-1990) et les changements qu’il a provoqués dans la pratique et la sécurité de la transfusion pour les hémophiles et d’une manière générale (sécurité infectieuse et sécurité d’approvisionnement).
Le sang est aussi un révélateur du dopage, et certaines études ont identifié des traces biologiques dans celui de sportifs s’étant autosaignés (les mélanges de sangs étant plus faciles à détecter). Le pouvoir rédempteur du sang chrétien ne semble donc pas satisfaire certains athlètes qui s’autocannibalisent pour performer, ni certains drogués ou pauvres qui cèdent régulièrement de l’albumine par besoin d’argent (les auteurs parlent de bio-prostitution silencieuse au profit de l’industrie des médicaments dérivés du plasma dans plusieurs pays, dont la Suisse).
Histoire(s) de sang
Se priver de sang contre rémunération, aujourd’hui, ou hier en offrande à Dieu (manger du poisson, réputé non sanguin, ou ne pas consommer de viande durant carnaval), verser le sang des ouvriers et/ou celui des soldats, héroïser les luttes, ensanglanter le monde dans le djihad islamiste : la légende rouge, noire ou pour le moins ambiguë du sang ne cesse de se renouveler dans l’histoire de l’humanité.
À quelque chose malheur est bon, parfois, puisque « chaque conflit a stimulé la créativité des médecins militaires ou civils en service pour faire profiter aux soldats blessés au front des possibilités de la transfusion… » rappellent les deux auteurs de cet ouvrage riche et éclairant qui ose s’aventurer dans le registre de l’art pictural et cinématographique, sans oublier la littérature avec Montaigne, Molière ou Aragon (qui fut médecin auxiliaire sur le front en 1918, ne l’oublions pas, et auteur notamment du fascinant Aurélien, dont un passage est cité dans ce livre).
La transfusion – nécessaire par exemple pour combattre la toxicité des chimio- et autres radiothérapies ou même en soins palliatifs – comporte surtout un « premier risque » rappelé par les auteurs : «celui de ne pas avoir assez de sang pour les personnes malades, blessées, opérées, accouchées qui en ont besoin». Ce livre exigeant mais très vulgarisateur nous apprend quantité de choses sur le fonctionnement de notre organisme et sur l’imaginaire véhiculé depuis l’aube des temps par le sang.
Il était une fois le sang, par Olivier Garraud et Jean-Daniel Tissot. Éditions humenSciences, La collection du docteur Philippe Charlier, 2021.