Être en première ligne, ce n’est pas facile. Quand il faut annoncer une mauvaise nouvelle, le praticien ou la praticienne est au front. Non sans émotions. Mais gérer l’adrénaline, cela s’apprend. Une étude des universités de Lausanne, Berne et Vienne le démontre.
Comment évoquer une maladie incurable à un patient ? Comment révéler à une future maman que son bébé est atteint dans sa santé ? Certes, des cours de communication existent dans le cursus universitaire des étudiants et étudiantes en médecine, mais pas la maîtrise du stress.
« Par notre travail, notre objectif est de les aider, avec des outils simples à mettre en place, à mieux gérer leurs émotions et à améliorer leur manière de communiquer lors de l’annonce de mauvaises nouvelles. Beaucoup seront confrontés à cette situation délicate. Il s’agit d’une activité fréquente », souligne Patrick Gomez, responsable de recherche au Département santé, travail, environnement d’Unisanté et à la tête du groupe Psychophysiologie du stress et de la santé au travail.
Deux approches distinctes
Quelque 220 étudiants et étudiantes de troisième année de médecine, provenant de diverses universités alémaniques, ont ainsi participé à cette recherche. Divisés en quatre groupes, tous et toutes ont reçu une formation de base. Ensuite, certains et certaines suivaient une intervention de réévaluation du stress, appelée stress arousal reappraisal (SAR), présentée sous forme d’une vidéo de sept minutes. Afin de montrer que le stress et ses manifestations physiologiques peuvent soutenir la performance et permettre de relever des défis.
D’autres visionnaient un exemple pratique, appelé worked example, d’un praticien et d’une patiente, avec des mots clés à chaque étape. Il montrait une manière adéquate de dévoiler une mauvaise nouvelle. D’autres encore bénéficiaient à la fois de la SAR et du worked example.
Dans quel but ? Annoncer à une femme enceinte, jouée par une actrice, un diagnostic de trisomie 21. Tout au long du processus, trois critères d’évaluation étaient analysés : le ressenti du participant ou de la participante, sa réponse physiologique et la qualité de sa communication. Des mesures cardiovasculaires ont été effectuées au repos, juste avant, pendant et après l’annonce.
« Combinaison d’expertises »
Financé par le Fonds national suisse, ce projet a débuté en août 2021 et se terminera en mai 2026. Il est issu d’une collaboration entre les universités de Lausanne, de Berne et de Vienne. « Ce qui rend l’étude particulière est la combinaison d’expertises, relève Michel Bosshard, chargé de recherche à l’Institut d’enseignement médical de l’Université de Berne. Nous avons réuni des experts en stress et en psychophysiologie de Lausanne et de Vienne avec des spécialistes d’enseignement médical de Berne. Le résultat est à la fois scientifiquement solide et immédiatement utile pour l’éducation médicale. »
« État de menace »
Après leur formation, les cobayes avaient 12 minutes pour annoncer cette maladie congénitale. « Au départ, les étudiants et étudiantes se trouvaient tous dans un état de menace, un score négatif qui s’est amélioré grâce à ces interventions. L’idée est de soutenir les personnes dans des situations difficiles, où il y a de fortes exigences », lance Patrick Gomez.
La nouveauté ? « Pour la première fois, nous testions l’approche SAR en éducation médicale, rappelle Michel Bosshard. Elle peut réellement soutenir la performance, en aidant à mobiliser et à utiliser les ressources que la réponse de stress met à disposition du corps et du cerveau. »
Pour sa part, le spécialiste de l’Unil relève que « nous avons observé, avec la SAR, des bénéfices sur le plan cardiovasculaire, ainsi que sur le plan de la communication non verbale : les gestes, la posture, le regard. Quand vous vous trouvez dans un état de défi et pas de menace, vous avez moins de constriction des vaisseaux périphériques et le cœur a tendance à pomper davantage de sang. En revanche, la SAR n’a eu aucun effet sur la communication purement verbale. »
Surprises à la clé
S’inspirer d’un modèle permet aussi d’appliquer plus facilement des compétences. Le worked example a des retombées positives non seulement sur la communication verbale, mais aussi sur celle non verbale et le vécu subjectif. « Mais pas sur le plan cardiovasculaire. C’est une surprise pour le psychophysiologue que je suis », s’étonne Patrick Gomez.
Quant au cumul de la SAR et du worked example, il n’améliore pas l’expérience. « Nous pensions que les effets s’additionneraient, mais ce n’est pas le cas. Il n’y a pas d’effet négatif non plus, note le chercheur lausannois. Une hypothèse expliquant ce phénomène peut être la charge cognitive. La formation a duré 40 minutes. C’était intensif. Pour celles et ceux qui ont reçu la formation SAR et worked example, c’était peut-être beaucoup. À terme, une option serait de donner davantage de temps ou de transmettre ces formations à des moments distincts. »
« Adhésion thérapeutique »
En résumé, rien ne vaut des exemples pratiques, étape par étape, pour appliquer les compétences emmagasinées. « La mise en situation vous permet de transformer l’apprentissage, au niveau purement cognitif, en une expérience vécue », explique Patrick Gomez.
Pour la relation praticien-patient, c’est également bénéfique. « Une bonne communication est importante au niveau de l’adhésion thérapeutique, de la satisfaction globale et de la santé psychologique du ou de la malade, poursuit-il. Elle doit être pensée comme une interaction, où chacun participe, de manière bidirectionnelle. L’habileté du médecin à s’adapter à ce qu’il reçoit compte. » Et le scientifique de l’Unil de conclure : « Il serait possible d’élargir le champ d’application de ces outils à d’autres situations stressantes. »
Vous avez dit trac ?
Patrick Gomez a d’autres cordes à son arc. « J’ai un axe de travail depuis longtemps : le trac et son impact sur les musiciens et les musiciennes. L’étude a été réalisée. Les données doivent désormais être exploitées. Le but est d’investiguer la réponse au niveau émotionnel, cardiovasculaire et respiratoire, en lien avec la qualité de la performance. »
Quelque 120 étudiants et étudiantes des hautes écoles de musique de Lausanne et de Genève ont joué avec et sans public. « Nous avons analysé dans quelle mesure un état de flow, de concentration totale, était plus ou moins présent et sa variation selon l’anxiété de l’artiste. L’objectif étant qu’il ou elle puisse jouer en public en atteignant cet état. » Un article sur le flow est d’ailleurs paru en 2022. Un autre sur la réponse psychophysiologique est attendu pour 2026 ou 2027.
Le chercheur étudie en outre les technologies de l’information et de la communication et certains de ses effets sur les employés et employées. « Cela implique notamment la télépression, ce sentiment de devoir être constamment connecté pour répondre rapidement aux mails », ajoute-t-il.