Au croisement des neurodivergences

Un projet soutenu par UCreate souhaite améliorer la vie des personnes neurodivergentes confrontées à une société indifférente. Rencontre.

Parmi les projets soutenus par le programme UCreate, celui de Sarah Amrein et Lisa Garrelts vise à améliorer la vie des personnes neurodivergentes confrontées à une société indifférente à leurs problèmes. Rencontre.

Sarah Amrein vit depuis l’enfance avec un trouble du déficit de l’attention (TDAH), diagnostiqué il y a deux ans seulement. Sa condition ne l’a pas empêchée d’obtenir un Master en biologie médicale à l’UNIL. « Le bachelor avec sa succession d’examens a été plus difficile, car j’ai tendance à laisser passer le temps jusqu’au dernier moment, ce qui n’est pas idéal pour se préparer », raconte-t-elle. À 37 ans, la Zurichoise travaille comme consultante pour une société active dans la recherche sur les maladies orphelines. Elle évalue les médicaments dans ce domaine et conseille les acheteurs.

Après ce mandat, que fera-t-elle ? « Je ne le sais pas encore, mais j’ai besoin d’être stimulée, voire de ressentir une pression au travail car si je reste chez moi, je me disperse, c’est comme s’il y avait un petit enfant dans ma tête qui me pousse tout le temps à faire autre chose », décrit-elle. Depuis quatre mois, elle prend chaque matin une molécule – la lisdexamfétamine – qui augmente sa concentration. « Savoir pourquoi je fonctionne ainsi m’aide et je pense qu’il faut vraiment améliorer le diagnostic chez les enfants très actifs dans leur tête, ce n’est pas simplement une affaire de ritaline. Sur moi par exemple la ritaline n’a pas marché », explique-t-elle.

Un fonctionnement déconcertant

À bientôt 35 ans, Lisa Garrelts s’est émancipée du cadre strict d’une entreprise, qu’elle a bien connu comme spécialiste du leadership, du changement et des ressources humaines, découvreuse de talents et coach. Après une longue expérience à travers différentes organisations et plusieurs pays, cette Allemande établie à Zurich travaille maintenant chez elle, bien consciente d’avoir un fonctionnement cérébral déconcertant dans une société qu’elle juge très mal informée au sujet des neurodivergences.

Depuis qu’elle a été diagnostiquée, il y a seulement trois ans, elle affiche son autisme sans détour et revendique une complète liberté dans l’organisation de son temps et l’exploration de sa créativité. « Je suis bourrée d’énergie et au travail j’explique les choses très vite, il faut suivre car je ne vais pas tout le temps répéter, or les gens neurotypiques pensent un peu trop à eux-mêmes au lieu de rechercher la sécurité et la joie pour tous », constate-t-elle. Elle a trouvé la recette qui lui convient : bien manger, pas de médicament, se promener avec son chien, soulever des poids. Le yoga lui paraît ennuyeux, en revanche…

S’informer et se rencontrer

« Nous ne sommes bien évidemment pas opposées aux médicaments mais chacun doit trouver le sien avec un dosage approprié, et parfois on peut vivre sans, en apprenant à réduire ses propres symptômes », précise Lisa, qui a entraîné son amie Sarah dans l’aventure de NeuroMynds, une plateforme électronique destinée à mettre en relation les personnes neurodivergentes entre elles, d’une part, et d’autre part avec les soutiens appropriés, coachs et autres spécialistes capables de les aider à s’intégrer dans la vie professionnelle, à s’organiser au quotidien et tout simplement à aller mieux. NeuroMynds présentera en outre une dimension informative et un forum pour se connecter entre pairs. « Contrairement au Royaume-Uni ou à l’Allemagne, et bien sûr à la Californie, où la recherche sur le sujet est nettement plus active, y compris sur les médicaments, la Suisse reste à la traîne s’agissant des neurodivergences », estiment-elles.

Une aide rapide et adaptée à la demande

Leur plateforme vise à offrir un point d’entrée centralisé vers la prise en charge des problèmes rencontrés par les neurodivergents. « Les cas sont divers, on peut même combiner comme moi autisme et TDAH, et le diagnostic est trop lent, les patients rencontrent un spécialiste ici, un autre ailleurs, c’est compliqué, décousu, les hôpitaux psychiatriques sont surchargés par les cas les plus sévères, j’ai même rencontré des personnes au bord du suicide qui ne savaient pas où aller », poursuit Lisa Garrelts. Leur propre expérience entre solitude, lenteur, incompréhension, tâtonnements et autres erreurs d’aiguillage guide leur démarche. « Les comorbidités telles que l’anxiété, les phobies sociales, les troubles obsessionnels compulsifs ou encore la prise de poids exigent peut-être de voir plusieurs spécialistes, mais il faut une vision d’ensemble, qui manque cruellement », complète Sarah Amrein. Surtout pour les cas jugés moins graves, « qui passent facilement inaperçus, alors que la personne se sent livrée à elle-même et incapable d’affronter les exigences décourageantes de la société ».

Rassembler des talents sur une seule plateforme

Concrètement, chaque coach certifié dans toute une variété de domaines en lien avec la problématique des neurodivergences devrait céder sur ses consultations une commission de 30% aux gestionnaires de la plateforme. « Nous voulons offrir des solutions rapides et flexibles, adaptées aux personnes confrontées à un bouillonnement intérieur qui peut déborder, à tout moment, surtout dans un contexte où le soutien et l’information restent trop souvent fragmentés, d’un accès usant et compliqué », précise Lisa Garrelts, qui résume le projet d’une formule : « Kill the problems with skills. » On comprend bien qu’il s’agit d’œuvrer en complément à la psychiatrie et non pas contre elle, dans ses marges ou ses absences, mais le projet doit encore s’affiner pour offrir une véritable complémentarité et permettre ainsi aux personnes concernées par une neurodivergence et ses éventuelles comorbidités d’acquérir une meilleure connaissance d’elles-mêmes grâce à une prise en charge holistique, et dans la perspective de contribuer à leur propre traitement en améliorant leur qualité de vie.

Le soutien du programme UCreate

Ce projet a décroché, avec 35 autres, le soutien du Hub entrepreneuriat et innovation de l’UNIL, sous la forme d’une phase exploratoire proposée dans l’espace collectif et créatif de la Villanova. Lisa et Sarah ont ainsi pu bénéficier d’un coaching individuel et en groupe, à travers des ateliers et de multiples échanges avec des professionnels du campus et d’autres horizons. Lors de leur passage final devant un jury, elles ont réussi à placer NeuroMynds parmi les dix projets sélectionnés en phase 2. Cette étape permet, notamment, d’accéder à un soutien financier de l’UNIL, pouvant aller selon les projets jusqu’à 10’000 francs pour la mise au point d’un prototype à tester dans la réalité.

Responsable du programme UCreate, Anne Liquois indique que cette phase doit permettre de préciser les modèles d’affaires, d’expérimenter la viabilité sociale et économique de chaque projet et d’assurer leur insertion dans un écosystème. Au terme de ce processus d’accélération, les participants sont amenés à présenter un pitch final devant un parterre de professionnels internes et externes à l’UNIL et d’anciens bénéficiaires d’UCreate. « C’est aussi l’occasion de mettre les nouveaux venus en contact avec d’autres organismes de soutien à l’entrepreneuriat pour les faire bénéficier d’un accompagnement et d’un réseau par-delà notre programme », précise Anne Liquois.

Une mentor en marketing digital

Pour les aider à franchir cette phase 2, un coach est attribué à chaque équipe. Dans le cas de Sarah et de Lisa, il s’agit d’une jeune femme de leur âge qui les a précédées dans l’aventure entrepreneuriale. Diplômée de HEC Lausanne, Amrita Etchepareborda a créé Check Your Health autour de l’idée d’un prélèvement facilité à domicile, d’une analyse de l’échantillon en laboratoire et de résultats sous cinq jours sur une plateforme sécurisée, en cas de suspicion de diverses maladies contagieuses ou hormonales. En outre, elle dirige une agence de marketing digital, une expérience qui sera sans doute très utile aux deux porteuses du projet NeuroMynds, dans la perspective de lancer leur plateforme sur le marché.

À Zurich, Lisa Garrelts et Sarah Amrein s’apprêtent donc à entamer cette dernière séquence avec une énergie communicative. « Nous avons déjà constitué une petite équipe pour mettre au point notre plateforme sur le plan visuel et technique », glisse Lisa, qui s’immerge aussi pleinement dans l’élaboration d’un réseau de spécialistes dans le domaine des neurodivergences. On ne peut que leur souhaiter une belle réussite en complément des offres de santé en psychiatrie, mais aussi hors des sentiers battus.