Au cœur des tribunaux de la Réforme

Une nouvelle base de données pour accéder aux secrets des tribunaux de la Réforme en Suisse romande et en France.

Pendant près de trois siècles, le protestantisme a veillé sur ses ouailles de manière intrusive. Une nouvelle base de données permet d’explorer tous les registres des tribunaux réformés connus à ce jour en France et en Suisse romande.

Battre sa femme un peu trop violemment après avoir bu plus que de raison ou danser au-delà du strict minimum dans un mariage : de telles attitudes, parmi d’autres turpitudes, sont poursuivies dès le XVIe siècle par ces tribunaux ecclésiastiques protestants réformés que sont les consistoires. À l’Institut d’histoire et anthropologie des religions (FTSR), le professeur Christian Grosse a réalisé un patient travail en humanités digitales pour permettre, via une base de données numérisées, l’accès aux registres des différents consistoires romands.

Le protestantisme en France et en Suisse romande

«En 2014, mon collègue à l’Université de l’Iowa Raymond Mentzer a rassemblé tous les registres éparpillés en France après la révocation de l’édit de Nantes interdisant le culte protestant. J’en ai fait autant pour les consistoires de Suisse romande, dans un livre paru en 2021. La base rassemble désormais le contenu de ces deux ouvrages, donne les liens pour télécharger les documents contenus dans des registres conservés aux archives cantonales, voire dans une simple cave d’école comme à Moudon, et permet d’actualiser les deux corpus à mesure que des sources nouvelles surgissent de paroisses ou de mains privées», explique Christian Grosse.

Même les enfants désobéissants

Grâce à ces documents accessibles dans leur version originale ou dans une transcription lisible par les non-spécialistes, se dessine toute une vie aux couleurs de la Réforme, entre les XVIe et XVIIIe siècles. Autant d’histoires conjugales, familiales, intimes, professionnelles et de voisinage passées sous le crible des juges (pasteurs et magistrats laïcs) en vue de « pacifier la société » en produisant « une communauté soudée dans le protestantisme ».

Les enfants eux-mêmes pouvaient passer devant le consistoire du village pour désobéissance aux parents ou manquement à l’obligation de se rendre au culte, au moins le dimanche. Car l’une des grandes vilenies, en ce temps-là, consistait à être un mauvais protestant ou, pire encore, à fréquenter une église catholique au détour d’un simple enterrement familial. De la réprimande à l’interdiction de communier, en passant par l’amende ou l’obligation de demander pardon en public, les sanctions pleuvent sur les paroissiens récalcitrants.

Aubergiste, la Bible !

Aujourd’hui, on sourit en pensant à ces aubergistes sommés de mettre une Bible à la disposition des clients en les incitant à prier avant puis après les repas, une mesure qui n’a d’ailleurs pas connu un franc succès. Mais, comme le suggère l’historien, « à une époque où l’essentiel de la vie se conçoit après la mort, une sanction comme l’excommunication est très lourde ». Avec un grand saut temporel, Christian Grosse évoque l’affaire des fiches, où l’on vit que de simples citoyens helvétiques étaient surveillés pour relativement peu de chose (lui-même l’a été pour avoir fondé une association de défense des droits humains). Le protestantisme a-t-il alimenté une passion pour la surveillance des mœurs, la crainte de la dissidence et la dénonciation, bien au-delà de l’époque où il a dû extirper ses adeptes de leurs habitudes catholiques ? On peut le penser…

Des sorcières mal-aimées

« La plupart de ces registres sont inédits et renferment des histoires qui n’ont pas encore été explorées », promet Christian Grosse. On connaissait déjà les registres du consistoire de Genève à l’époque de Calvin, qui ont alimenté 80% de la production historiographique. La base décrivant toutes les autres sources connues à ce jour montre que le terrain des études sur le protestantisme réformé est bien plus vaste dans le temps et l’espace. L’un de ses étudiants, Mathieu Cuénoud, travaille ainsi sur les registres du consistoire de Lutry au XVIIe siècle, lorsque la chasse aux sorcières battait son plein. « Le consistoire établissait les faits mais ne jugeait pas dans le domaine de la sorcellerie, qui relevait du pénal », esquisse le professeur Grosse.

Si ces tribunaux du protestantisme semblent avoir été moins violents que ceux de l’Inquisition catholique, il n’en reste pas moins vrai que des vies ont aussi été brisées et prises dans cette obsession du contrôle social, dont chaque société, y compris de nos jours, devrait se méfier.