Dans le cadre de sa recherche, Aurélie Hendrick a choisi de se plonger dans l’univers des chiens de traîneau afin de mettre en perspective les enjeux d’une relation de travail homme-animal. Pour ce faire, elle a opté pour une approche qualitative, basée entre autres sur l’observation participante.
« La première fois que je suis montée sur un traîneau tiré par des chiens, c’était au Groenland, se souvient Aurélie Hendrick, doctorante à l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de l’UNIL. Au départ ça m’a fait un peu peur, car d’emblée on m’a demandé d’être proactive. » Installée à l’arrière du traîneau derrière le « musher », la scientifique était responsable de freiner et d’effectuer divers gestes pour guider l’attelage. « Je n’avais pas droit à l’erreur, car se tromper peut facilement blesser les chiens ou créer un accident. »
Pour son travail de thèse, Aurélie Hendrick a décidé de partir à la rencontre des « mushers contemporains » et des différents acteurs qui gravitent autour de l’univers des chiens de traîneau. Sa recherche, entamée en 2020 et soutenue financièrement par le Swiss Polar Institute et l’IGD, s’intéresse en particulier aux relations de travail entre humains et chiens, et questionne la manière dont l’évolution de la société les reconfigure en Suisse, en France et au Groenland. « Les chiens de traîneau ne disparaissent pas, mais ils sont aujourd’hui mis au travail d’une autre façon, notamment via le tourisme », explique la jeune chercheuse.
Le tourisme comme pilier commun
Phénomène relativement discret et peu connu sur nos terres, le mushing prend de plus en plus d’ampleur en Suisse et tend même à se professionnaliser chez nos voisins de France. Tourisme et réduction de l’enneigement rendent désormais les stations davantage friandes d’activités qui puissent répondre à leurs besoins de diversification. L’utilisation du mushing dans le tourisme est donc commune aux trois terrains de la scientifique. Au Groenland, le tourisme dit « d’aventure » se développe de plus en plus et propose des expéditions telle que celle vécue par Aurélie Hendrick (cf. suite de l’article).
Longtemps bercée par les récits d’aventures de Jack London, Nicolas Vanier et compagnie, l’ancienne infirmière animalière a opté pour une approche inspirée de l’ethnographie, basée sur les outils types de l’approche qualitative tels que les entretiens, la recherche documentaire et notamment l’observation participante. « Il ne faut pas oublier que l’imaginaire que l’on a du Grand Nord est un produit purement construit et cultivé par les pays du sud, précise-t-elle. Nos stéréotypes occidentaux ne correspondent pas à la vision que les populations autochtones du nord ont d’elles-mêmes. »
De l’observation à l’immersion
Lors de son récent séjour sur le terrain début 2023, au Groenland, Aurélie Hendrick a eu l’occasion de se mettre dans la peau des « mushers » qu’elle rencontre. « En arrivant à l’aéroport international, j’étais censée prendre un petit avion pour me rendre dans la ville où j’avais prévu de séjourner, mais j’ai vu que des guides proposaient le même voyage sur trois jours, sous forme de transport en traîneau. » Malgré quelques appréhensions, la jeune chercheuse n’a pas hésité longtemps. Cent soixante kilomètres en traîneau, par des températures d’environ -25 °C, elle a décidé de signer.
« Je m’attendais à trouver plein de choses difficiles pendant ce voyage, mais finalement ça l’a été largement moins que ce que j’avais imaginé », confie Aurélie Hendrick. Il fallait surtout veiller à suivre les recommandations de base, soit manger, boire et bouger régulièrement. « Le premier soir, nos guides étaient très inquiets pour la touriste retraitée qui m’accompagnait. Elle n’avait pas suivi ces recommandations et lorsqu’on est arrivés à la cabane, elle était transie de froid et s’est directement mise dans son duvet sans boire ni manger. » À nouveau sur pied le lendemain, les guides l’ont cette fois surveillée de près.
Participer sans concession
Cette immersion dans le terrain a été très riche. « J’ai pu apprendre à connaître les chiens, apprendre leur nom, commencer à voir certaines personnalités ressortir et mieux comprendre les interactions du « musher » avec eux. » Mais surtout, la chercheuse a pris conscience de l’interdépendance qui se crée entre ce dernier et son attelage. « Si les chiens n’avancent plus, on est vraiment perdus au milieu de nulle part. Ils comptent sur nous et nous sur eux. » Des pauses étaient par exemple fondamentales afin d’économiser leur énergie. Et lorsqu’il y avait un fort dénivelé, « il fallait parfois descendre du traîneau et marcher à côté, voire le pousser », raconte Aurélie Hendrick.
Le soir, l’équipe dormait en cabane. Et après sept ou huit heures de traîneau, il fallait encore compter une ou deux heures pour dételer les chiens, les nourrir, aller chercher de la glace à faire fondre pour avoir de l’eau et surtout faire chauffer la cabane. Des tâches auxquelles la chercheuse a toujours participé spontanément. Si l’expérience était à refaire, la jeune scientifique n’hésiterait pas : « C’est vraiment différent, les journées ne paraissent finalement pas si longues, car elles ont quelque chose de ressourçant et de reposant, tant au niveau des sensations que du son. On est entouré par un silence que seul le bruit des chiens et du traîneau qui glisse sur la neige brise. »
Pour en savoir plus sur la recherche d’Aurélie Hendrick, découvrez un extrait de son journal de terrain.