Ce qui la fascinait au départ la répugne aujourd’hui profondément. Liliana Wuffli-Wolf, criminologue, juriste et passionnée d’art, a donc imaginé un outil pour tenter de repérer plus facilement les œuvres inauthentiques.
Et si on pouvait distinguer les contrefaçons des œuvres artistiques originales en se basant sur des caractéristiques standards : sujet, taille, date ou encore lieu de signature ? Eh bien, à travers son travail de thèse, mené au sein de l’Ecole des sciences criminelles de l’UNIL, Liliana Wuffli-Wolf a montré que c’était possible ; pour l’instant du moins avec les œuvres de l’artiste franco-suisse Félix Vallotton (1865–1925).
« Démontrer en justice qu’une œuvre est le résultat d’une fraude est un processus extrêmement complexe. Non seulement il faut pouvoir la soumettre à l’expertise de spécialistes, mais il est également nécessaire de prouver la volonté délibérée de tromper de la part de son auteur », explique la criminologue et juriste de profession. C’est pourquoi elle a décidé d’imaginer un outil simple et accessible, basé sur la probabilité pour déceler le niveau d’authenticité douteuse d’une œuvre. Le but ? Pouvoir s’y référer « sans formation en statistiques et sans l’assistance d’un expert en art », précise-t-elle dans sa recherche. Évidemment, « l’œil d’un spécialiste ne pourra jamais être remplacé, avertit-elle. Cet outil s’utilise plutôt en amont pour alimenter les soupçons ».
Mode d’emploi
Il aura fallu six mois d’études de cas minutieuses pour codifier les 201 « faux » connus de Félix Vallotton détenus par la fondation du même nom, ainsi que les 1704 authentiques, et permettre à Liliana Wuffli-Wolf d’établir sur cette base un outil statistique fiable. Fructueux, le modèle a aujourd’hui démontré « une précision allant de 70 à 91% lors de la classification des contrefaçons », annonce-t-elle dans sa thèse. Celui-ci n’est toutefois applicable « qu’aux œuvres de Félix Vallotton ». La méthodologie ainsi créée pourrait néanmoins être reproduite pour analyser les probabilités établies « pour un autre peintre sur la base d’un nouvel ensemble de données incorporant les caractéristiques des faux et des œuvres originales de l’artiste en question ».
« En un sens ça ressemble un peu à un jeu. Il faut compter une quinzaine de minutes pour effectuer le processus. »
Liliana Wuffli-Wolf, criminologue et juriste
Mais concrètement, comment ça marche ? L’experte nous explique : « À partir d’une liste de caractéristiques standards, le modèle calcule, en fonction des diverses combinaisons absence / présence, la probabilité qu’une œuvre soit « vraie » ou « fausse » ». Dans ce cas précis, une dizaine de variables sont pertinentes : le sujet, la taille, la date ou encore le lieu de la signature. Rien de bien sorcier à identifier, même pour un œil amateur, puisqu’il s’agit généralement d’informations disponibles dans les documents qui accompagnent l’œuvre.
Si Liliana Wuffli-Wolf n’exclut pas la possibilité de créer à l’avenir un logiciel informatique ou une application afin de faciliter l’utilisation de sa méthode, elle souhaitait d’abord montrer que celle-ci pouvait être accessible même manuellement. « En un sens ça ressemble un peu à un jeu, considère-t-elle. Il faut compter une quinzaine de minutes pour effectuer le processus. »
Mur de confidentialité
« La standardisation de cette méthode ouvrirait la voie pour un logiciel générique qui pourrait traiter n’importe quelle base de données formatée selon la méthodologie développée dans ma thèse », se réjouit Liliana Wuffli-Wolf, rappelant que « la combinaison des caractéristiques est unique chez chaque artiste, donc les calculs statistiques devraient être adaptés à chacun ». Mais l’obstacle principal pour développer un tel logiciel, c’est l’accès aux bases de données. « C’est vraiment difficile, voire impossible, d’obtenir les données connues sur les contrefaçons repérées car il n’y a aucun intérêt étatique à reconnaître qu’elles le sont, explique la chercheuse. Il s’agit d’une zone grise. Même à l’échelle d’une fondation ou d’un propriétaire privé, l’enjeu est gros et il n’y a vraisemblablement aucun intérêt à reconnaître que l’œuvre acquise est une fausse. Au bout du compte le sujet est un peu tabou. »
Durant sa recherche, la spécialiste s’est donc heurtée à un véritable mur de confidentialité. Si elle avait commencé à codifier les œuvres de Chagall, elle a malheureusement été contrainte d’opérer un demi-tour, faute d’accès aux données. C’est la Fondation Félix Vallotton, établie à Lausanne, qui lui a finalement ouvert ses portes. « Cette collaboration a été rendue possible grâce à la confiance accordée à l’Ecole des sciences criminelles, en raison de sa réputation irréprochable en Suisse ainsi que de l’intérêt marqué pour la recherche », considère Liliana Wuffli-Wolf. Le conseil d’administration de la fondation et ses spécialistes ont ainsi autorisé la chercheuse à accéder aux informations confidentielles, en lui demandant toutefois de signer un accord de confidentialité avant de se plonger dans les archives.
Pour aller plus loin
- Découvrez le travail de thèse de Liliana Wuffli-Wolf.
- Pour plus d’informations : https://www.artcrimeresearch.org.
- Une réalité qui peut se glisser partout, comme le montre cet exemple.