Des données récoltées lors des Jeux olympiques de la jeunesse en janvier 2020 ont été analysées par des équipes de l’UNIL et du CHUV sous l’angle de la violence dans le sport d’élite. Une nouvelle enquête devrait cartographier le paysage sportif vaudois, auprès de mineurs et de jeunes majeurs. Explications avec le sociologue Jacques-Antoine Gauthier.
Je t’oblige à remonter 10 fois sur un appareil après une chute, je te hurle dessus, je t’humilie, je juge ton corps en fonction de ton sexe, je te bouscule et t’enferme dans un casier… Jusqu’où un jeune athlète d’élite doit-il ainsi mettre en péril son équilibre psychique et son intégrité physique dans le but de ramener une médaille à son pays ?
Un dispositif de sensibilisation intitulé And you ? a permis de mettre en lumière ce type de violences subies par de jeunes athlètes et la perception qu’ils et elles en ont. Normal de la part d’un coach, voire d’un parent soucieux de réussite ? Sociologue et directeur de l’Observatoire de la maltraitance envers les enfants, Jacques-Antoine Gauthier souligne que ce type de comportement provient majoritairement des pairs et que les violences physiques s’abattent surtout sur les garçons, tandis que les atteintes psychologiques concernent davantage les filles…
Des exemples cinématographiques
Élaboré par des médecins du CHUV et conçu par une équipe de l’EPFL, le dispositif comprend une cabine dans laquelle les jeunes sont confrontés à quatre extraits de films associés au sport, puis invités à se poser trois questions : qu’auriez-vous fait à la place de la victime ? Jugez-vous ce traitement acceptable ? Pensez-vous que l’intervention d’un tiers serait nécessaire dans ces différents cas ? Citons ces films plutôt grand public, dont certains sont bien connus : Basketball Diaries (entraîneur douteux, proposition de soirée écartée par le jeune, mais absence de contact, niveau suggestion), Tonya (maltraitance verbale, culpabilisation de l’enfant par la mère-coach, dédain de ses besoins psycho-physiologiques), Million Dollar Baby (sexisme, humiliation, insécurité), Whip It (cumul des violences psychologique et physique). Sans surprise, ce dernier extrait est le plus mal noté sous les trois angles précités.
Un cinquième film porte sur le milieu musical avec la fameuse scène de « torture » dans Whiplash, où un jeune musicien est sommé de jouer jusqu’au sang : ici les filles ont réagi plus négativement que les garçons, autant sur le volet quantitatif (scores attribués en cabine) que lors du débrief postvisionnement. D’une manière générale, cependant, le sociologue ne relève que peu de différences notables dans les réactions en fonction du sexe. On notera, par exemple, que les filles réagissent plus vivement face à l’extrait de Basketball Diaries,plus ambigu et potentiellement anxiogène que vraiment violent. En outre, souligne Jacques-Antoine Gauthier, les analyses montrent une certaine cohérence sur les trois dimensions considérées : en gros, plus le rejet du comportement est fort, plus une aide extérieure est souhaitée.
Deuxième étude prévue
Ces réactions de 203 jeunes volontaires (et l’analyse souligne la dimension subie ou du moins côtoyée par ces jeunes participants) ont été récoltées dans le cadre d’un projet plus vaste de prévention et de promotion de la santé, intégré au programme éducationnel des JOJ Lausanne 2020. Dans la foulée, une recherche plus classique et ambitieuse (Roberta Antonini Philippe (Issul), Fabrice Brodard (IP), Sarah Depallens (CHUV), Jacques-Antoine Gauthier (ISS), Pascal Roman (IP), Stéphane Tercier (CHUV) et Marco Tuberoso (Espas) s’adressera aux athlètes vaudois inscrits dans une association, avec une partie relative aux mineurs (14-17 ans) et une autre concernant les jeunes majeurs de 18 à 25 ans.
Une violence encore peu documentée
« À l’UNIL, trois instituts de la Faculté des SSP seront concernés par les différentes dimensions de ce projet financé par le Canton, qui voit l’utilité de cet éclairage inédit pour aider à construire des campagnes de prévention d’une manière ciblée en fonction, par exemple, des disciplines et du niveau », précise Jacques-Antoine Gauthier. Il s’agit des instituts des sciences du sport, de psychologie et des sciences sociales de la Faculté des SSP, associés au Child Abuse and Neglect Team et au centre SportAdo du CHUV.
Des questionnaires différenciés seront adressés aux pratiquants, mais aussi aux coachs et aux parents. Puis des entretiens en profondeur seront réalisés, cette fois uniquement avec les jeunes athlètes, afin de répertorier les situations psychologiques, relationnelles et sportives ambiguës et critiques, voire carrément violentes, derrière les habitudes qui, à ce niveau, tendent à banaliser la souffrance sous le fameux slogan No pain, no gain. Ces entretiens seront menés avec une trentaine de jeunes, 40 au plus (seuil théorique au-delà duquel des témoignages supplémentaires n’apportent pas de nouvelles informations).
À suivre donc avec intérêt, sachant que la question de la violence dans le sport est peu documentée en Suisse et dans le canton de Vaud, comme le souligne Jacques-Antoine Gauthier.
Évaluation de situations de maltraitance par de jeunes athlètes dans le cadre des JOJ 2020.