Destiné à soutenir des projets favorisant les échanges entre les différentes parties de la Suisse, le Prix de l’État de Berne salue cette année le travail de la traductrice Marion Graf. Il lui sera remis lors du Dies academicus, le 2 juin prochain.
La relation et le dialogue, voilà ce qui fait avancer Marion Graf, récipiendaire du Prix de l’État de Berne 2023. Amoureuse des langues depuis toujours, elle a étudié le russe et l’espagnol à l’Université de Bâle, puis la littérature française à l’UNIL. La poésie est la porte qui mène cette Neuchâteloise d’origine, établie aujourd’hui à Schaffhouse, à la traduction.
Après un premier pas dans le cadre d’un travail de séminaire – « j’avais terminé une analyse de texte en proposant la version française d’un poème russe, ce qui avait suscité pas mal de discussions » – elle va frapper à la porte des éditions L’Âge d’Homme. En guise de bout d’essai, Vladimir Dimitrijević lui propose L’Écuyère des vagues de l’écrivain russe Alexandre Grine. Puis les éditions Zoé l’appellent pour traduire des auteurs alémaniques, et surtout Robert Walser dont, au fil du temps, Marion Graf devient la principale voix en français. « Dès les années 1970, Gallimard avait publié ses romans et quelques proses narratives, mais la modernité, la liberté singulière de Walser éclatent dans les formes courtes. Il s’agissait donc de développer un concept éditorial pour présenter ces textes inépuisables par leur diversité et par leur quantité, qui constituent le cœur de l’œuvre », souligne-t-elle. Les éditions Zoé et le professeur Peter Utz, de l’UNIL, spécialiste du poète biennois, unissent leurs compétences aux siennes pour relever ce défi.
Au sein notamment de la collection ch, Marion Graf s’engage pendant une vingtaine d’années pour que des livres d’auteurs suisses franchissent la Sarine et le Nufenen, pour qu’écrivains et traducteurs soient accueillis dans les classes, et en faveur des échanges linguistiques à tous les niveaux de l’enseignement. « Avoir un pays aussi fourmillant d’écrivains et d’éditeurs est une fabuleuse richesse », souligne-t-elle.
À l’heure où certains vantent les mérites des algorithmes, Marion Graf continue à former la relève notamment dans le cadre du Programme Gilbert Musy organisé actuellement par le Centre de traduction littéraire de Lausanne, au sein de la Faculté des lettres. Et rappelle que les performances des robots reposent sur le pillage de textes existants, disponibles sur la Toile. « Un texte n’est pas uniquement une succession normative de signes. Que fait-on des ambiguïtés ? de l’humour ? de l’intertextualité ? de la mélodie, de la force sonore du langage ? »
Également responsable de La Revue de Belles-Lettres, référence en matière de poésie contemporaine dans le monde francophone, Marion Graf travaille à ce que la poésie soit lue, traduite, expression de la vie dans toute son intensité – et son incertitude. Autant d’actes de résistance face à la lyophilisation de la langue et de la pensée, salués par plusieurs distinctions, dont le Grand Prix suisse de traduction en 2020.