Inviter sept doctorants et sept jeunes artistes à dialoguer et croiser leurs pratiques, tel est le programme du cycle « Imaginaire des futurs possibles », organisé conjointement par l’UNIL et le Théâtre Vidy-Lausanne depuis trois ans. Il se déroule durant quatre séminaires et autant de rencontres publiques au fil de la saison, donnant naissance à des objets arts-sciences inédits. Leur résultat sera révélé à Vidy le samedi 25 juin. Darious Ghavami, du Centre de compétences en durabilité et du Service Culture et Médiation scientifique, qui coordonne les événements du cycle, nous explique comment cette forme hybride ouvre un espace de liberté propice à la créativité.
Cette troisième édition est-elle thématiquement liée au sujet des deux premières, où l’on s’intéressait à l’écologie ?
Darious Ghavami : Oui, ces enjeux demeurent au cœur du cycle Imaginaires des futurs possibles. Que ce soit par les constats de la crise environnementale et ses différents aspects ou par les relations que nous entretenons avec notre milieu et le vivant qui le compose, il s’agit d’imaginer des pistes de futurs plus durables et désirables. Pour mémoire, c’est le philosophe et spécialiste de l’écologie politique Dominique Bourg qui a lancé la toute première édition. L’année dernière, c’est la philosophe des sciences et éthologue Vinciane Despret qui nous a invités à enquêter avec d’autres êtres. Cette fois, nous avons voulu ajouter une dimension à ce cycle en explorant ce que cette notion de futur possible peut signifier dans d’autres cultures, en dialoguant avec d’autres réalités que les nôtres, en Occident. Nous avons donc choisi de le faire porter par un duo, la dramaturge lausannoise Claire de Ribaupierre et le chorégraphe congolais Faustin Linyekula.
Comment intégrez-vous cette dimension géographique supplémentaire ?
De plusieurs manières. Physiquement d’abord : nous avons décidé pour cette fois de sortir des murs de Vidy et de l’UNIL, les deux institutions qui coorganisent l’événement, pour les quatre rencontres entre le public et les « séminaristes », comme nous appelons les chercheurs et artistes participants. Ceux-ci se retrouvent tout le vendredi lors d’un « atelier-séminaire » pour échanger sur un thème, rencontrer des acteurs de terrain et préparer les grandes lignes de la journée du samedi où les réflexions s’ouvrent avec le public. Pour encourager au partage d’expériences et à la discussion avec les « séminaristes », nous avons voulu privilégier le décentrement et le mouvement. Ces rendez-vous sont donc « itinérants » et consistent à arpenter un lieu pour se confronter physiquement et in situ à la thématique du jour. Guidé par les séminaristes, le public peut parler avec eux et des scientifiques invités, spécialistes du sujet, plutôt que d’écouter passivement une conférence dans un auditoire. La dimension géographique est ensuite présente symboliquement, car la spécificité de cette saison est l’apport de Faustin. Ce danseur de Kisangani cherche constamment à tirer des fils et relier nos enjeux locaux avec ceux du continent africain, et plus précisément ceux de son pays, le Congo.
Quel rapport y a-t-il entre les lieux choisis et la thématique ?
La toute première séance s’est déroulée au Vortex, où nous nous sommes demandé ce que « faire cercle » signifie. Il a notamment été question d’économie circulaire avec les professeurs Christian Arnsperger et Dunia Brunner. Des performances des séminaristes ponctuaient les déambulations sur cette rampe de 3,5 km. La deuxième s’est faite à la plaine de Mauvernay, au Chalet-à-Gobet, sur le thème de la forêt et de l’agriculture avec les professeurs Joëlle Salomon Cavin et Gretchen Walters. Lors de la troisième, dans le quartier des Faverges à Lausanne, au bord de la Vuachère, nous avons parlé de notre lien à l’eau et avons eu la chance d’être accompagnés de l’intellectuel sénégalais Felwine Sarr. En parallèle, et pour cette troisième rencontre exclusivement, Faustin travaillait sur le même thème au Congo avec une équipe d’artistes et de scientifiques pour un format réduit du cycle durant toute une semaine. Nous avons reçu la matière de leur recherche sous forme d’enregistrements audio et vidéo, que nous avons exploités et diffusés ici à Lausanne. Cela nous a permis d’inclure ce détour par l’Afrique. La quatrième et dernière séance, qui interrogeait le rapport que nous entretenons à l’urbain et à notre quartier, s’est tenue dans le quartier du Vallon avec l’historien Matthieu Jaccard.
Outre le fait d’encourager chercheurs et artistes à sortir de leur routine, quel est le but de ces séances ?
Le but principal est la rencontre. Entre les artistes et les chercheurs d’abord. Créer un collectif, un groupe, éventuellement des affinités et amitiés qui peuvent annoncer des collaborations futures.
Aussi, nous visons une ouverture encore plus large, car chaque lieu draine son propre public, notamment par le fait d’avoir rencontré des acteurs de terrain : les associations d’étudiants du Vortex, le Parc du Jura vaudois et les agriculteurs de la plaine de Mauvernay, la maison de quartier des Faverges, les habitants du Vallon et son centre d’animation. L’idée est réellement de stimuler au maximum les échanges et la créativité, tout en s’extrayant de la pression d’un éventuel résultat. Une grande place est accordée à l’imprévisibilité, pour accueillir les envies et les improvisations de chacun et chacune. Vidy et l’UNIL se contentent de mettre des moyens à disposition des séminaristes, qui se concentrent sur les aspects de recherche, de collaboration et de rencontre. Les rôles se brouillent, les frontières entre les disciplines et genres deviennent poreuses, des synergies émergent. Ils sont vraiment libres d’expérimenter des formats entièrement inattendus. Ou non. À l’heure actuelle, nous ignorons encore ce que le public pourra voir lors de la restitution finale du 25 juin ! Tout cela sera peaufiné durant une semaine de résidence prévue en amont, à Vidy. Deux choses sont sûres : cette journée constitue une porte ouverte à ce laboratoire des imaginaires des futurs possibles, et elle sera gratuite et accessible à toutes et tous !
Mais d’après les œuvres créées lors des précédentes éditions, a-t-on une idée de ce que cela peut donner ?
Oui, il s’agissait de plusieurs formats courts et collectifs (de 15 minutes à une heure), sous forme d’un dispositif déambulatoire dans les espaces du théâtre. L’an dernier, les restrictions liées à la pandémie nous ont obligés à limiter la jauge à 50 personnes par présentation. Et certaines d’entre elles ont servi de matériau de base à des spectacles. Ce fut le cas notamment pour Radio arbres, une création de Laetitia Dosch, ou encore pour Auréliens, de François Gremaud.