L’enjeu du jeu, ou l’humour pour panser la réalité

Le psychologue Vincent Quartier vient de publier un essai. Un temps hors du temps pour rappeler que prendre du recul s’apprend.

Le psychologue Vincent Quartier vient de publier un essai. Un temps hors du temps pour rappeler que prendre du recul s’apprend.

« Né d’une inspiration nocturne inattendue », le livre de Vincent Quartier se veut une réflexion sur le jeu et l’humour comme principes thérapeutiques. Et un éloge à Donald Winnicott. Le pédiatre et psychanalyste britannique a inspiré de nombreux spécialistes, dont le maître d’enseignement et de recherche à l’Institut de psychologie de l’UNIL. Au point que le titre de son nouvel ouvrage, paru en septembre, s’inspire de l’une des célèbres œuvres de Winnicott sur la psychologie de l’enfant. « Je lui suis redevable de l’idée fondamentale selon laquelle l’espace thérapeutique constitue avant tout un lieu (…) de restauration de la capacité à jouer », écrit ainsi Vincent Quartier dans Jouer avec la réalité. Jeu et psychothérapie pour grandir et guérir.

Lien « grippé à la réalité »

Le jeu est essentiel dans le soutien à l’enfant et à l’adolescent en souffrance. « Il ne faut jamais oublier que jouer est une thérapie en soi », rappelle Vincent Quartier, citant Winnicott. La souffrance psychique, ce lien « grippé à la réalité », peut ainsi être pansée. Même chez l’adulte. Sous forme d’humour. Celui-ci devient une valeur cardinale pour affronter la réalité. Pour y apposer sa marque. Salvatrice. Symbole de résilience.

Sigmund Freud évoquait lui-même le « haut plaisir qu’est l’humour ». Et le psychanalyste autrichien n’est pas le seul à le louer. Il est « l’unique remède qui dénoue les nerfs du monde sans l’endormir », écrit le sociologue et billettiste français Robert Escarpit.

« Cercle vertueux »

Car si on ne peut modifier son environnement, on peut changer le regard que l’on porte sur lui. Et Vincent Quartier de convoquer l’acteur et réalisateur Roberto Benigni dans La vita è bella. Enfermé dans un camp de concentration avec son fils, un père tente d’adoucir le quotidien de son enfant en lui faisant croire qu’il joue pour remporter un char d’assaut. Un peu de légèreté dans l’atrocité.

Forme de distanciation, l’humour devient un « cercle vertueux ». Élargir le champ pour mieux rebondir, changer de perspective, une « posture vitale », estime l’enseignant-chercheur à l’Institut de psychologie. Encore faut-il distinguer petit humour et grand humour. Celui-ci est distanciation où celui-là n’est que sarcasme.

Régression et cadre sécurisant

Mesures de l’être, le jeu comme l’humour sont des baromètres de l’âme. Qui est en souffrance joue moins, joue mal, relève Winnicott. Un cadre sécurisant seul peut permettre l’expression de cette créativité.

Pour grandir, la régression représente aussi un espace thérapeutique. Comme l’adage populaire « reculer pour mieux sauter ». Et c’est encore Winnicott que Vincent Quartier invoque ici, avec sa main tendue à cette patiente au plus mal. Comme un pied de nez à la « grimace du réel » qu’est la réalité, comme la nomme Lacan. Et le psychologue de philosopher avec Platon : « On peut en savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation. »

Jouer avec la réalité. Jeu et psychothérapie pour grandir et guérir, par Vincent Quartier, éditions In Press, septembre 2024

Trois questions à Vincent Quartier

Vous affirmez que vous n’étiez pas destiné à écrire cet essai. Pourquoi ?

Ce livre n’était pas prémédité. L’idée m’en est venue une nuit, à l’automne 2017. J’ai eu envie d’ouvrir cet espace de liberté pour jouer moi aussi, laisser mon vrai self s’exprimer, comme le dirait Winnicott. C’est-à-dire ce qu’il y a d’authentique, de créatif à l’intérieur de soi, qui est souvent malmené ou caché par les injonctions de l’environnement, les « il faut », les « tu dois ». Ce livre me ressemble. Il est un encouragement à jouer avec les enfants et les adolescents en psychothérapie. Dans le jeu, on peut tout mettre en scène, y compris les aspects sombres et agressifs, et les exprimer, les partager. Sans honte.

Vous dites de Winnicott qu’il a « sculpté » votre posture de psychologue. C’est-à-dire ?

Winnicott me parle. Il explique des processus intemporels. Il a notamment théorisé la notion d’objet transitionnel. Il jouait beaucoup avec les enfants, se mettait à leur hauteur, les écoutait vraiment, sans vouloir les éduquer, pour découvrir ce qu’ils avaient au plus profond d’eux-mêmes.

Évoqué dans votre essai, l’humour est au fond une forme de relativisme ?

Exactement. Il permet une prise de distance entre monde interne et monde externe. Personnellement, je l’utilise beaucoup au quotidien, à bon ou à mauvais escient. Parfois cela marche, parfois pas (rires). Utiliser l’humour pour donner une voix à des impulsions qui viennent de l’intérieur, face à des peurs, est important. Ce jeu de perspective avec la réalité crée l’humour. Et vice-versa. Cela dédramatise, sans nier la souffrance.