Investissement des préaux et masculinités ; du centre à la marge

Présentation de la recherche

Cette recherche porte sur l’analyse des préaux, la structuration de leurs espaces et les pratiques qui y prennent place. En effet, le préau est un espace généralement planifié et construit par les adultes et l’institution scolaire, comprenant notamment des aménagements fixes – des points de départ, pour des lieux spécifiques et identifiés dans l’espace. Les aménagements fixes engendrent des comportements normatifs1 – on s’attend à certains comportements à certains endroits. Les préaux sont également structurés par lieux-clés2,3. Ils sont centraux dans les expériences de l’espace et ont une valeur particulièrement importante pour les personnes et les groupes qui les utilisent.

En retour, les jeunes et les enfants s’approprient le préau, s’y déplacent et leurs pratiques sont régulées par ce même espace. Les chorégraphies4 sont une métaphore des pratiques spatiales, qui (re)construisent les inégalités de genre2,3. En effet, par nos corps, nos activités et nos déplacements, nous participons à la création de différentes identités et relations, notamment de genre. On peut y observer la construction de différentes féminités et masculinités. Elles sont construites en opposition – elles sont différentes l’une de l’autre, et sont hiérarchisées – socialement, la masculinité a plus de valeur que la féminité, en particulier la masculinité hégémonique qui est également dominante face aux autres formes de masculinités. Alors, on observe une domination de l’espace par les chorégraphies de cette forme de masculinité.

Pour cette recherche, j’ai rencontré cinq jeunes et réalisé des observations et divers types d’entretiens.

Question de recherche

En quoi la performance de l’identité de genre dans le préau révèle-t-elle des inégalités de genre ?

Résultats

Deux lieux-clés ont été identifiés : Le Terrain et L’Herbe. Ces lieux clés sont capitaux dans l’expérience du préau. En effet, ils sont centraux dans les histoires des jeunes.

Nous pouvons y observer deux principales formes de performances de genre ; « la baston »4 et le foot6. Ces expressions font écho aux aspects de compétitivité et de dureté, caractéristiques de la masculinité hégémonique7. Ces lieux-clés sont donc structurés par des comportements et des interactions de la masculinité dominante. En l’occurrence, ces espaces sont vastes et centraux alors que les espaces laissés aux « autres » sont marginaux et plus restreints.

L’Herbe est au centre du préau ; elle devient une arène de la surveillance. Visible de toutes et tous, elle permet un démonstration de force et de pouvoir par la bagarre, et plus généralement des masculinités hégémoniques.

C’est un enjeu majeur des inégalités de genre. Pour autant, les espaces marginaux sont également empreints de relations de pouvoir (entre les « autres » garçons et les filles, par exemple). En somme, toutes et tous n’ont pas accès de manière égale aux espaces des préaux.

Comment est-ce que les chorégraphies des jeunes (les pratiques spatiales des jeunes) sont-elles impactées ?

Les jeunes rencontré·es se distancient tous·tes des performances de masculinités hégémoniques. Elles et ils m’ont confié que leur pratique de l’espace visait notamment à :

1. Éviter les lieux-clés2

  • En étant mobile ou en ne fréquentant pas ces lieux,
  • En s’appropriant des lieux marginaux3, comme les bords du préau ou des endroits plus calmes,
  • En occupant des lieux-clés institutionnels2, proches du secrétariat ou de la bibliothèque par exemple.

2. Investir marginalement les lieux-clés pour tout de même y accéder (jouer contre le mur du Terrain, sur la grille d’aération sur L’Herbe)

Pistes de réflexion et d’action

1. Continuer à adopter une posture critique

L’espace du préau est fondamental dans l’apprentissage de la pratique de l’espace des jeunes et des enfants. Ils et elles sont les premier·ières à les pratiquer et en deviennent ainsi les expert·es. Par leurs pratiques spatiales et leurs chorégraphies, ils et elles participent à la construction de leurs identités et incorporent les inégalités de genre. Il s’agit de continuer à problématiser les préaux comme des espaces qui peuvent accentuer les inégalités spatiales de genre – auprès des enseignant·es, des élèves, et des partenaires de l’école.

2. Réaliser une planification sensible à l’inclusivité des identités de genres

La planification porte aussi l’empreinte du genre. Il existe un avantage masculin évident dans les pratiques du préau. Le reconnaître et l’intégrer aux nouvelles pratiques contribue à la planification d’un espace potentiellement moins genré et sensible à la réduction des inégalités de genre.

3. Proposer des aménagements fixes plus inclusifs

Les aménagements fixes des préaux sont des points de départ essentiels pour la production des lieux et de symboliques. Actuellement, ils sont fortements marqués par les masculinités hégémoniques. En ce sens, il est nécessaire d’être vigilant·es aux points suivants :

  • L’intention des aménagements fixes : suscite-elle des performances de masculinités hégémoniques ?
  • La priorisation : qu’est-ce que l’on maintient, qu’est-ce que l’on transforme, qu’est-ce que l’on délaisse et qu’est-ce que cela signifie ?
  • La centralité : quels aménagements fixes sont centraux, matériellement et symboliquement ? Qui les utilise ? Quels sont ceux à la marge, et donc les potentiels groupes à la marge ?
  • La dimension : quelle proportion de l’espace est allouée à quelle(s) activité(s) ?

4. Opter pour des aménagements éphémères et 4 modulables

Les préaux sont partiellement éphémères et changeants (tout comme les enfances, les jeunesses et les jeux), bien que planifiés sur et pour le long terme. L’éphémérité ainsi que la modularité des aménagements fixes sont des leviers d’action pour améliorer la qualité des espaces, alignée avec la recommandation de Pousses Urbaines (le préau est complémentaire avec le quartier). Ces deux caractéristiques permettraient d’étendre l’espace et de le lier à d’autres par des aménagements transitoires, créant ainsi une flexibilité en période d’incertitude.

5. Réaliser des projets collectifs : des constats aux possibles projets d’établissement

Au moyen de discours et de pratiques portant le projet d’établir un environnement plus égalitaire, les préaux peuvent devenir des espaces d’expérimentation pédagogique et de prise de décision intergénérationnelle. Espace public « à priorité enfants et jeunes », les préaux doivent rester des espaces d’apprentissage ludique. Des projets peuvent y voir le jour, sélectionnés par le vote démocratique des jeunes et des enfants qui habitent et animent les préaux notamment.

Références bibliographiques

1Massey, D. B. (1994). Space, place and gender. Polity Press.

2Monnard, M. (2016). Occupying and taking one’s place : Power relationships in the schoolyard. Espaces et sociétés, 166(3), 127-145.

3Rönnlund, M. (2015). Schoolyard stories : Processes of gender identity in a ‘children’s place’. Childhood, 22(1), 85-100.

4Frosh, S., Phoenix, A., & Pattman, R., (2002). Young masculinities : Understanding boys in contemporary society. Palgrave.

5Blatchford, P., Creeser, R., & Mooney, A. (1990). Playground games and playtime : The children’s view. Educational Research (Windsor), 32(3), 163-174.

6Renold, E. (2004). ‘Other’ boys : Negotiating non-hegemonic masculinities in the primary school. Gender and Education, 16(2), 247-265.