Le métier de concierge scolaire : dilemme(s) entre travail technique et travail relationnel

Par Valentin Brahier

Présentation de la recherche

Si les préaux sont des lieux de jeu pour les élèves, ils sont des espaces centraux de travail pour les concierges. Pour cette recherche sur les préaux en Ville de Lausanne, il est primordial de mobiliser leur expertise et leurs perceptions de ces espaces, ainsi que des activités qui y prennent place.

La tâche n’est pourtant pas simple ; le métier de concierge scolaire est victime d’un mutisme quasi-total dans la littérature scientifique. Il a fallu emprunter des notions clés dans des études scientifiques de métiers parfois très éloignés ; le travail invisibilisé des agents de conduite de centrale nucléaire qui pose les questions de la reconnaissance et de la visibilité des compétences, ou encore la dimension relationnelle du métier d’aide à domicile, qui englobe le nettoyage dans une définition large des métiers du care.

Le but de ma recherche est d’accéder au travail réel du concierge, par les dilemmes, les conflits et les choix auxquels il·elle est confronté·e.

L’idée est aussi de rendre compte de la complexité de ce métier et de dépasser la dimension prescrite des tâches qui lui sont assignées. Pour l’analyser, il fut nécessaire de séparer le travail technique d’entretien du site scolaire, et le travail relationnel de service pour, et avec, les nombreux usager·ères scolaires au quotidien.

Questions de recherche

  • Comment les concierges vivent leur métier, et l’expérimentent au quotidien ?
  • Comment cette profession serait-elle impactée par le projet d’ouverture des préaux scolaires au public ?

Résultats

Chaque concierge scolaire se place sur un continuum du travail à réaliser. Il est en effet tiraillé entre deux grands types d’activités, souvent en tension, les tâches techniques et les tâches relationnelles :

  • Travail d’entretien : il regroupe les tâches techniques d’entretien et de nettoyage des espaces intérieurs et extérieur du site scolaire. C’est un travail dans l’ombre, soumis aux contraintes de l’horaire scolaire et de la météo, entre autres. Ces activités d’entretien ne sont pas valorisées, car invisibilisées, ou invisibles. En effet, la reconnaissance du travail passe par son résultat, mais celui-ci est attendu, considéré comme acquis par les usager·ères. Alors, seul le mauvais travail est perçu ; c’est une reconnaissance du non-travail, honteuse et dévalorisante pour le salarié.
  • Travail relationnel : il représente le travail en relation directe avec les usager·ères, notamment rendre des services et trouver des solutions aux problèmes suscités par une occupation intense des bâtiments. Il s’agit ici du travail en pleine lumière ; les qualités du concierge sont visibles par les usager·ères qui font appel à lui. Sa disponibilité, sa diligence et sa virtuosité pour trouver des solutions forgent son identité au travail. Il est reconnu comme un touche-à-tout, un bricoleur possédant plusieurs casquettes.C’est une reconnaissance de l’action, valorisant l’activité réelle du salarié.

Par conséquent, leur crainte principale est que les changements sociaux, politiques ou structuraux apportés aux préaux augmentent le volume du nettoyage – principales tâches qui y doivent y être réalisées. L’augmentation du travail d’entretien restreindrait davantage encore le temps pour les activités relationnelles, celles-là même qui sont valorisées par eux et par les autres.

Finalement, nous avons observé une certaine hiérarchie de genre dans la conciergerie. Le concierge est souvent un homme ; il est visible et a l’opportunité de performer sur la scène scolaire et d’obtenir de la reconnaissanceSubordonnée à lui, une équipe de collaboratrices en nettoyage, presque toujours desfemmes, s’occupent d’une partie des espaces intérieurs. Elles sont invisibilisées, cantonnées à des tâches associées au travail domestique, et possèdentpeu de possibilité d’interactions avec les usager·ères ou de reconnaissance de leur travail – intervenant souvent en dehors du temps scolaire.

Pistes de réflexion et d’action

1. Reconnaître et valoriser le travail d’entretien du concierge et de son équipe

Il s’agit, d’une part, de leur donner les moyens et le temps adéquats pour mener les activités de nettoyage. D’autre part, il est nécessaire de communiquer sans relâche à tous les usager·ères quotidien·nes du site scolaire de l’importance de chaque geste pour maintenir la propreté des lieux. Concrètement, organiser des collectes de déchets, par les élèves, après les récréations serait une piste intéressante. L’idée est ainsi de former une relation de services par laquelle chacun·e a une implication, même minimale, dans le travail d’entretien.

2. Reconnaître les expertises des acteurs de terrain et les impliquer dans les processus décisionnels

L’ouverture des préaux bénéficie certes à divers acteurs non-scolaires qui peuvent profiter de ces espaces. Néanmoins, ce changement impacte négativement le travail des concierges. Les intégrer aux réflexions et aux projets permet de visibiliser ce travail et de tenir compte des effets oubliés ou pervers de tels changements, en prenant des décisions plus proches du terrain.

3. Proposer une signalétique claire sur le fonctionnement de l’espace des préaux scolaires

Une signalétique claire ferait office de relais de communication entre la conciergerie et les usager·ères des préaux, pendant et hors du temps scolaire. Elle est à élaborer en collaboration avec les concierges – car les premiers concernés par le non-respect des lieux.

Par ailleurs, un nouveau poste consistant à réaliser des tournées dans les préaux en dehors du temps scolaire pourrait être créé et agir de manière complémentaire à la signalétique – à l’instar de ce qui a été mis en place et qui existe déjà pour les parcs publics lausannois. Cela permettrait d’engager une communication directe avec les usager·ères non-scolaires afin d’éveiller les consciences et éviter les débordements.

2. Modifier le recrutement particulièrement genré du domaine de la conciergerie et mener une politique d’engagement favorable aux femmes concierges

Il s’agit de donner plus d’opportunité aux femmes d’accéder aux postes à responsabilité dudit domaine, leur permettant de s’extraire des secteurs de l’ombre, les plus déclassés professionnellement et socialement.

5. Favoriser la collaboration et la coordination avec les professionnel·les des espaces extérieurs

Une meilleure collaboration est à développer entre les autres services impliqués par l’entretien de la périphérie des écoles et les équipes
de conciergerie scolaires. 
Elle favoriserait un climat d’entraide, de soutien et d’échanges de pratiques entre les salarié·es de la ville. Il peut égalemnet être bénéfique de favoriser des collaborations plus spontanées en permettant à ces différent·es professionnel·les

de se rencontrer et d’échanger. L’efficacité et la qualité de l’entretien de ces espaces en sera certainement améliorée.



Références bibliographiques

1Jobert, G. (2005). Engagement subjectif et reconnaissance au travail dans les systèmes techniques. Revue internationale de psychosociologie, 11(1), 67-95.

2Dussuet, A. (2010). Faire le ménage : une activité relationnelle ? Communication au colloque international « Métiers de service », Université de Lausanne.

3Tronto, J., et Maury, H. (2009). Un monde vulnérable. Pour une politique du « care ». Lectures, Les rééditions.

4Brangier, E. et Valléry, G. (2021). Ergonomie : 150 notions clés. Dunod, Malakoff. 

5Goastellec, G., Ruiz, G. & Baudraz C. (2019). Médiateur ou Technicien ? Les deux figures du concierge d’école. In : Durler, H. & Losego, P. (éd.), Travailler dans une école. Sociologie du travail dans les établissements scolaires en Suisse romande. Éditions Alphil, Neuchâtel.